C’était la voiture qui devait emporter Lise et Gérard…
Elle allait emporter Rose-de-Corail et Marie Charmant.
– Y a que les voyageurs de changés, voilà tout, ricana Biribi en s’éloignant rapidement vers la maison.
Bientôt, il reparut portant Rose-de-Corail dans ses bras. Le Rouquin portait Zizi. La rôdeuse et le voyou étaient sans connaissance… Puis Biribi fit un second voyage et, cette fois, il tenait Marie Charmant. La petite bouquetière n’était pas évanouie; elle n’était pas blessée mais ses yeux gardaient l’inexprimable épouvante des visions de carnage; sa pensée flottait dans un brouillard d’horreur; il lui eût été impossible d’esquisser un geste de défense ou de proférer un cri… Lorsque Biribi l’eut jetée dans la voiture entre Zizi et Rose-de-Corail, il lui lia les mains et lui noua un mouchoir sur la bouche.
– Les deux autres, c’est pas la peine, dit-il. Rouquin, tu vas monter dans la guimbarzigo. Quant à toi, ajouta-t-il, parlant au cocher, oublie pas de rallumer les deux falots. Faut pas de contravention, tu sais! Ça ferait d’la casse!
Rapidement, Biribi défit les toiles d’emballage qui enveloppaient les roues et les sabots du cheval.
Le faux fiacre s’ébranla. Cent pas plus loin, celui qui conduisait alluma ses lanternes, et dès lors cette prison roulante eut l’apparence et l’allure d’un honnête fiacre qui regagne le dépôt.
Biribi revint aux fossoyeurs et trouva la besogne terminée, la terre tassée et ratissée.
Alors, la porte de la maison fut soigneusement refermée. Le corps de Jean Nib fut porté hors de la grille; la grille elle-même fut remise en son état normal; et si Max Pontaives était par hasard revenu le lendemain dans la villa, il lui eût été impossible de soupçonner que son jardin était un cimetière, et que sa villa avait été, la nuit, un champ de bataille.
Ici et là, rien ne manquait, tout était en ordre.
À ce moment, il était environ quatre heures du matin.
Biribi saisit Jean Nib par les épaules, les deux autres par les jambes. Ils se mirent en route. Lorsqu’ils furent arrivés sur le bord de la Seine, ils le déposèrent.
– Il est crevé, va, t’inquiète pas, fit l’un des bandits.
Ils entrèrent dans un bateau amarré, là, parmi quelques autres canots.
La Seine était déserte. Au loin seulement, les fanaux d’une péniche endormie, accostée au quai, reflétaient dans l’eau noire des lueurs vertes qui dansaient.
– Une!… Deux!… Trois!…
Il y eut un bruit de papier déchiré et d’écume qui mousse: le corps balancé venait d’être lancé. Il coula à pic. Une minute, Biribi, penché à l’arrière de la barque, regarda couler l’eau qui s’était refermée, indifférente et paisible, puis il gronda:
– Bon voyage!…
Nous prierons maintenant le lecteur de rétrograder avec nous de quelques jours, et de revenir à cette nuit même où eut lieu, dans le pavillon de la rue d’Orsel, la scène que nous avons dite, entre Gérard d’Anguerrand et Adeline, scène à la suite de laquelle Gérard s’en alla, laissant Adeline.
On se souvient que ce fut dans cette soirée que Gérard surprit, rue Letort, un entretien qui eut lieu entre la Merluche et Zizi, ce qui lui permit de découvrir le nouveau repaire de La Veuve, et, par suite, de retrouver Lise.
Nous sommes donc au surlendemain de l’assassinat du marquis de Perles par Pierre Gildas.
La scène que, nous allons retracer se passe boulevard Rochechouart.
Il fait nuit. Il est très tard. Peut-être deux ou trois heures du matin. Le boulevard est désert.
Sur un banc, un homme est assis.
Devant le banc passe et repasse une pierreuse, les mains dans les poches de son tablier, les cheveux en accroche-cœur sur les tempes. À chaque fois, elle fait un signe de tête, une invitation rapide…
Mais l’homme n’a pas l’air de la voir.
Peut-être ne la voit-il pas…
Devant le banc s’ouvre la petite rue Dancourt, qui grimpe raide et aboutit à la place étroite sur laquelle s’élève le minuscule théâtre de Montmartre. Derrière le banc, s’ouvre la rue Bochard-de-Saron, qui longe le collège Rollin et aboutit à l’avenue Trudaine.
C’est de ce côté-là qu’est tourné l’homme.
Or, la rue Dancourt, avons-nous dit, débouche sur la place du théâtre.
Or, sur la place du théâtre, dans un renfoncement, se trouve un poste de police.
Or, au milieu de la rue Bochard-de-Saron, brille l’œil rouge d’un autre poste de police.
L’homme se trouve ainsi placé entre deux postes: qu’il marche droit devant lui une centaine de pas, ou, derrière lui, qu’il parcoure environ la même distance, il aboutira à la police.
Cet homme, c’est l’assassin du marquis de Perles, c’est le père de Magali et de Zizi, c’est Pierre Gildas.
Il avait quitté Neuilly et était rentré dans Paris avec le sentiment du soulagement, une bonne besogne accomplie. Il avait passé le reste de la nuit dans un hôtel du quartier, et avait profondément dormi.
L’acte qu’il venait d’accomplir lui apparaissait naturel: c’était simplement l’exécution d’une résolution prise, la fin d’une angoisse dans sa vie.
* * * * *
Pierre Gildas, sous le nom de Robert Florent vient d’entrer au service du comte de Pierfort.
Le comte de Pierfort écrivait. Dans les lignes qu’il traçait, il eût été impossible de reconnaître l’écriture de Gérard.
Voici ce qu’il écrivait:
«Cher monsieur,
«Mon bon parent Gérard d’Anguerrand, dont le dévouement pour ainsi dire fraternel vient de me rendre d’immenses services, m’a dit quelle obligation j’ai a contractée envers vous, et avec quelle charmante bonne grâce vous vous êtes fait le chevalier de la comtesse de Pierfort.
«Je ne veux pas tarder un instant à vous en exprimer ma gratitude émue, car il est possible que je sois obligé de reculer de quelques jours la visite où j’aurai l’honneur de vous apporter mes remerciements.
«En attendant que j’aie ce grand plaisir de vous connaître et de vous remercier, veuillez donc me tenir dès cet instant pour
«Votre très reconnaissant et très obligé.
«Comte de PIERFORT.»
Sur l’enveloppe, Gérard écrivit: À monsieur Max Pontaives, en sa villa de Neuilly .
Puis il se tourna vers Pierre Gildas et lui tendit la lettre en lui disant:
– Voilà. Vous porterez ça demain, et vous remettrez vous-même en mains propres… Au fait, quelle heure est-il? Dix heures et demie à peine… Avec un taxi, vous arriveriez pour onze heures… Je suis sûr qu’il serait temps encore, et je tiens à ce que ce mot parvienne au plus tôt.
– J’y vais, monsieur le comte, dit Pierre Gildas.
– Oui, au fait… Neuilly n’est pas loin…
– Neuilly? fit Pierre Gildas d’une voix étranglée, sans songer à regarder l’enveloppe.
– C’est l’une des dernières maisons de la rue de Seine, un endroit désert qui touche au fleuve… une très belle villa…
L’assassin tremblait. Son visage décomposé s’inondait de sueur.
Il fit un effort terrible et parvint à bégayer:
– Il n’y a personne dans cette maison…
– Vous confondez avec la villa où le marquis de Perles a été assassiné ces jours-ci, dit Gérard d’une voix très calme et très naturelle.
L’assassin chancela sur ses jambes. Il jeta un regard flamboyant sur Gérard et, la voix rauque, la gorge en feu, oubliant toute marque de respect, il gronda:
– Comment savez-vous, vous! que c’est de cette maison-là que je parle!
– Dame! fit Gérard sans paraître remarquer l’attitude de son intendant, il n’y a que deux villas à cet endroit. Celle où je vous envoie est parfaitement habitée. Celle dont vous me parlez est déserte, en effet. Il n’y a pas d’erreur possible: c’est bien la villa où s’est commis un crime dont vous me parlez. Ah ça! dites donc, est-ce que le crime que vous avez commis, vous, aurait quelque rapport avec celui de Neuilly?…
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