– Bon. Pendant ce temps, amène-moi Zizi. Il doit en savoir long, ce gosse.
Quelques minutes plus tard, Zizi, amené par Biribi, comparaissait devant La Veuve. Zizi, qui perdait rarement la tête, avait préparé toute une histoire pour expliquer sa présence à la villa Pontaives. Le coup de couteau qu’il avait reçu le faisait souffrir, mais n’avait rien de dangereux.
– Est-ce que ça te fait bien mal, mon petit Ernest? demanda La Veuve.
– M’en parlez pas, j’ai d’abord cru que mon compte était bon… Faudrait que j’aille me faire soigner par la mère Bamboche, qui s’y connaît. Aussi, La Veuve, je vais vous dire arrevoir…
Zizi fit un mouvement vers la porte.
– Tu ne peux pas t’en aller comme ça, mon pauvre Zizi. Je te soignerai, moi. Je ne veux pas te laisser partir avant que tu sois guéri… Alors, depuis quand habites-tu Neuilly?
– Moi! mais j’perche pas à Neuilly, vous l’savez bien, La Veuve…
– Alors, qu’est-ce que tu faisais là-bas? Tu vois, mon enfant, combien tu as été imprudent! Quand deux bandes se battent, faut pas se mettre en travers. Biribi et Jean Nib avaient un compte à régler, tu comprends?… Fallait pas te trouver là; tu as failli recevoir un mauvais coup…
– C’est bien fait! Ça m’apprendra. Une autre fois, j’ouvrirai l’œil, et le bon! D’ailleurs, Neuilly, j’y remets plus les pattes, pour commencer! La première fois, j’m’y suis écorché pire qu’un lapin qu’on dépiaute; la deuxième, v’là que j’suis saigné comme un goret… Non, en v’là z’assez! Et puis, quand on m’y repincera à marcher avec Jean Nib, y fera chaud! j’ai pas d’veine avec lui…
La Veuve, voyant que Zizi venait de lui-même à l’explication qu’elle désirait ardemment, écoutait avec une profonde attention, sans que son visage décelât autre chose que l’intérêt qu’elle portait à Zizi.
– Oui, reprenait celui-ci, je crois qu’on peut tout vous dire, pas vrai, La Veuve? Y a du grabuge entre vous et Jean Nib. Mais vous n’êtes pas capable de le vendre… Donc, vous vous rappelez de la maison de Neuilly où nous avons été ensemble, où Jean Nib a été arrêté? Eh bien! il paraît que Jean Nib avait remarqué la maison voisine. Alors, v’là qu’y me rencontre y a trois ou quatre jours et qu’y m’dît: «Zizi, veux-tu m’aider à. faire un riche coup que j’prépare avec Rose-de-Corail?…» Bien entendu, j’accepte. Il m’indique la maison; il me donne rendez-vous. À l’heure dite, j’arrive. Je trouve Jean Nib et Rose-de-Corail. On se prépare à faire des paquets. Et v’là que, tout à coup, nous entendons du bruit. «C’est la rousse!» que fait Rose-de-Corail. Nous étions en haut, pour visiter la maison. Pas moyen de filer. Cette fois, que j’me dis, j’suis frit! Eh bien, pas du tout! C’était pas la rousse, c’était Biribi… L’reste, vous l’savez…
– Et la bouquetière, que faisait-elle là?…
– Ah! dites-le moi, et j’vous l’dirai. J’y ai rien compris. Et puis, je ne pensais guère à demander ceci ou cela. Fallait visiter dare-dare la cambuse et voir c’qu’on pourrait emporter…
Ce récit était plausible. La Veuve le crut ou ne le crut pas. Mais elle comprit que Zizi ne sortirait pas de cette explication, et qu’elle n’en apprendrait pas davantage.
– C’est bon, dit-elle, tu peux t’en aller.
– Chez moi?…
– Chez toi, si tu veux. Tu te feras soigner par la mère Bamboche.
– Veine! songea Zizi en se dirigeant vers la porte. À la revoyure! Et si vous avez besoin d’moi, vous savez oùs que j’perche!…
Mais à peine Zizi eut-il ouvert la porte qu’une main vigoureuse s’abattit sur sa nuque, le poussant et, en même temps, l’empêchant de crier. Deux minutes plus tard, Zizi se voyait enfermer dans une pièce dont la fenêtre était garnie de solides barreaux…
– La Veuve est bien rosse! songea le voyou en pâlissant. Qu’est-ce qu’elle veut faire de moi? Et qu’est-ce qu’elle a fait de Mlle Marie? Et de Rose-de-Corail?…
Un quart d’heure après cette scène, La Veuve montait dans une des voitures du père Tricot. Biribi était sur le siège, en cocher.
Le fiacre s’arrêta net à cent pas de la maison où Biribi avait vu entrer Jean Nib soutenu par l’inconnu. Biribi désigna l’hôtel à La Veuve, puis reprit sa place sur le siège, engoncé dans son col, et sommeillant comme un brave cocher à l’heure qui attend son client.
Les conceptions de La Veuve étaient simples, – et par là même redoutables. Une autre eût espionné dans le quartier, eût interrogé à droite et à gauche, et, au bout d’une heure, eût été suspecte à cent personnes. La Veuve alla droit à l’hôtel, et sonna, après avoir simplement pris la précaution de rabattre son voile sur son visage. Un valet de chambre vint ouvrir presque aussitôt. La Veuve dit paisiblement:
– Je viens apporter à Mme Morin la dentelle qu’elle a commandée chez ma patronne.
– Mme Morin? Vous faites erreur, ma brave femme, dit le domestique. C’est ici l’hôtel du comte et de la comtesse de Pierfort…
– Ah! c’est sans doute à côté. Excuse…
La Veuve se retira et le domestique referma la porte.
– Comte et comtesse de Pierfort, songea La Veuve en rejoignant la voiture. Qu’est-ce que ça peut bien être?…
Conduis-moi au commissariat, dit-elle à Biribi.
– Hein! sursauta le bandit.
– Allons, marche, et ne fais pas l’imbécile!…
Trois minutes plus tard, Biribi, non sans pâlir, stoppait devant le commissariat du quartier. La Veuve entrait sans la moindre émotion apparente, et, introduite dans le cabinet du secrétariat:
– Monsieur, dit-elle, je suis Mme Morin. Je demeure avenue de Villiers, 120, au fond de la cour. Je suis rentière. J’ai un frère qui a disparu depuis trois jours (elle donna le signalement de Jean Nib); malheureusement, mon frère est faible d’esprit. Souvent, il a des idées noires et parle de se jeter à l’eau. Et, chose étrange, c’est toujours du côté de Neuilly qu’il veut aller se noyer: une folie qu’il a… Alors, l’autre soir, il est parti en disant qu’il allait à Neuilly… J’ai peur! oh! j’ai peur de quelque affreux accident… et je viens savoir…
– Madame, dit le secrétaire, jusqu’à cette heure, et depuis trois jours, on ne m’a signalé ici aucun accident de ce genre.
– Ah! je respire!
– Attendez, je vais téléphoner à mon collègue de Neuilly.
Dix minutes se passèrent, pendant lesquelles le secrétaire se mit en communication avec le poste de Neuilly et correspondit avec son collègue.
– Rien, madame, fit-il en raccrochant les récepteurs. Au commissariat de Neuilly, depuis trois jours, on n’a reçu ni noyé, ni blessé… Peut-être votre frère est-il rentré maintenant… S’il n’est pas rentré d’ici ce soir, veuillez m’en informer, et nous ferons commencer des recherches…
– Oh! monsieur, que de remerciements! fit La Veuve en se retirant.
– Bon! pensa-t-elle, lorsqu’elle eut repris place dans la voiture. C’est un certain comte de Pierfort qui a sauvé Jean Nib. Or, ce comte de Pierfort n’a fait aucune déclaration au commissariat. Pourquoi?… Peu importe, après tout. Ce qui est sûr c’est que Jean Nib est soigné chez le comte de Pierfort. S’il l’eût fait conduire dans un hôpital, le commissaire eût été avisé… Il en a bien pour une bonne quinzaine…
Pendant quatre jours consécutifs, à des heures diverses, tantôt le matin, tantôt le soir, La Veuve revint avenue de Villiers, se mettre en surveillance devant l’hôtel de Pierfort.
Mais elle ne vit rien, que les gens de la maison qu’à aucun prix elle ne voulait interroger.
Le cinquième jour, pourtant, elle s’y décida. Ayant mis quelques billets bleus dans son sac pour calmer les scrupules du domestique sur lequel elle avait jeté son dévolu, elle se rendit devant l’hôtel à l’heure où elle avait remarqué que cet homme sortait, c’est-à-dire vers dix heures du matin.
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