– Avec quelqu’un? interrogea le baron étonné.
– Avec une jeune fille, dit Lise.
Hubert d’Enguerrand devint très pâle, et son cœur se mit à battre sourdement.
– Monsieur le baron, reprit Lise avec fermeté, dans cette nuit de Noël dont vous m’avez parlé, sur cette route des Ponts-de-Cé que je connais tant, il y a eu deux fillettes perdues presque à la même heure. L’une des deux, c’était moi, et j’ai établi que je n’étais pas votre fille. C’est donc l’autre, qui est votre fille?…
– Oui… oui… Eh bien?… murmura ardemment le baron.
– Eh bien! cette autre, je l’ai vue, je lui ai parlé, j’ai su en partie son histoire… Cette autre, c’est votre fille… et c’est elle que j’allais chercher pour vous l’amener quand je vous ai quitté. Et c’est cela que je suis venu vous dire. Baron d’Anguerrand, vous êtes pardonné, vous avez expié vos fautes, puisque c’est moi… moi la fille de Jeanne Mareil… moi, Lise Mareil, qui ai retrouvé Valentine d’Anguerrand!…
– Mon enfant! mon enfant! balbutia Hubert égaré, songez à ce que vous dites! Songez qu’une nouvelle déception me tuerait!…
– Cette fois, pas de déception possible. Aussi sûre j’ai été de ne pas être votre fille, aussi sûre je le suis que Marie Charmant est l’enfant qui fut perdue prés d’Angers.
– Marie Charmant?…
– C’est le nom qu’elle porte. Je l’ai vue. Je lui ai parlé. Et je puis vous assurer que, vraiment, elle mérite ce nom, car elle est le charme incarné…
Le baron d’Anguerrand s’était rapproché de Lise, avait saisi ses deux petites mains, et sur les doigts effilés de la jeune fille déposait un long baiser mouillé de larmes…
Mais étaient-ce bien des larmes de reconnaissance et de bonheur qui tombaient de ses yeux?
– Vous êtes admirable, murmurait-il, vous êtes une vraie fille selon mon cœur… Mon enfant, écoutez-moi bien. Je puis maintenant vous dire quelle a été ma douleur lorsque je ne vous ai plus retrouvée auprès de moi. Je puis vous dire que, si je vous perdais, le chagrin serait aussi rude que de perdre ma fille. Le bonheur que vous m’apportez est si grand que je n’osais plus l’espérer. Mais ce bonheur même sera incomplet si vous me quittez. Je voudrais… je souhaiterais… je ne sais si vous consentirez… et puis, tenez… j’ai mille choses à vous dire…
– J’ai toute ma journée à moi, dit Lise en souriant. Elle est donc à vous.
Le baron soupira. Cette réponse allait justement à l’encontre de ce désir qu’il n’osait exprimer. Si Lise lui consacrait la journée, c’est donc qu’à la fin de la journée, elle avait l’intention de le quitter…
– Soit, reprit-il. Commençons donc par aller chercher Valentine… ma fille… votre sœur, ajouta-t-il, en lui-même.
Lise secoua tristement la tête.
– Si je pouvais vous conduire auprès de Marie Charmant… auprès de Valentine, veux-je dire, j’aurais commencé par aller la chercher.
– Vous l’avez donc perdue de vue? s’écria le baron en pâlissant.
– Rassurez-vous. Il sera facile de la retrouver.
Lise raconta alors comment elle avait été à la maison de la rue Letort, et comment elle n’y avait plus trouvé Marie Charmant. Dans ce récit, pour simplifier, et aussi parce qu’il lui répugnait de s’arrêter à ces journées de séquestration qu’elle avait passées rue Saint-Vincent, elle omit de parler de La Veuve.
À mesure que Lise parlait et traçait le portrait de celle qui s’appelait Valentine, le baron évoquait cette étrange jeune fille avec laquelle, un moment, il s’était trouvé enfermé dans la masure du Champ-Marie…
– Ma chère enfant! dit-il, lorsqu’il vit que Lise n’avait plus rien à lui dire sur Marie Charmant, depuis que nous nous sommes vus, vous avez sans doute souvent pensé à votre mère…
– Oui, dit Lise, il n’est pas de minute que je ne pense à la pauvre Jeanne Mareil, morte dans les larmes et le désespoir. Cependant, monsieur, je vous le jure, je n’ai pas de haine contre vous…
– Vous? de la haine? Ah! mon enfant, vous n’avez guère, besoin de le dire, vous êtes l’ange du pardon et de la générosité…
Lise ne put retenir les larmes qui pointaient au bord de ses paupières.
– Pauvre mère! murmura-t-elle. Morte sans même avoir la consolation de voir son enfant… Oh! si j’avais été là! comme je l’aurais consolée!… comme, à force de tendresse, je lui aurais fait oublier son triste passé!… C’est fini… je ne dois plus y songer…
– Qui sait? fit le baron qui se leva pour dissimuler son émotion.
– Que voulez-vous dire? Ne m’avez-vous pas assuré que ma mère est morte?…
– Oui. J’ai dit cela. Dans le premier moment, dans cette minute terrible où j’ai senti que vous alliez me demander compte de votre mère, je vous ai dit que Jeanne Mareil était morte, mais, mon enfant, je vous jure sur mon âme que je n’en suis pas sûr…
– Oh! monsieur, palpita Lise. Et n’étant pas sûr… vous m’avez affirmé une telle chose!…
– Je ne savais pas que vous alliez me quitter! murmura le baron, dont le front pâlit encore. Je pensais, j’espérais vous garder près de moi, et alors, je vous eusse dit toute la vérité…
– Et cette vérité? fit Lise frémissante.
– C’est que je n’ai aucune certitude de la mort de Jeanne Mareil… C’est que, peut-être, elle vit encore… Je dirai plus… c’est que j’ai la ferme conviction que vous la reverrez… Calmez-vous, mon enfant… et, je vous en supplie, ne m’interrogez pas… Laissez-moi faire; ayez confiance… Si ce que j’espère se réalise, je crois qu’avant peu vous reverrez votre mère… Tenez; en même temps que je reverrai ma fille!…
Lise, éperdue, écoutait ces paroles avec cette angoisse qui fait que, si souvent, la joie ressemble à la douleur.
– Maintenant, mon enfant, continua le baron, laissez-moi vous répéter ce que je voulais vous dire tout à l’heure. Vous me rendrez ma fille. Mais si je vous perds, je vous jure que ma joie paternelle en sera comme voilée de deuil. Je voudrais… Écoutez: supposons que nous retrouvions, moi ma fille et vous votre mère…
– Oui! oh! oui!… murmura Lise en joignant les mains.
– Ce sera le plus doux et le plus sacré de mes devoirs d’assurer à Jeanne Mareil une vieillesse heureuse. Et pour cela, je voudrais qu’elle vive près de moi. J’ai en Bretagne une belle propriété qui peut donner asile à plusieurs familles et abriter plusieurs bonheurs, après avoir si longtemps contenu le désespoir et le deuil…
Lise tressaillit. Cette propriété dont parlait le baron, c’était le château de Prospoder, où Gérard lui avait proposé de l’emmener…
– Il faudrait, reprit le baron, que si nous retrouvons Jeanne Mareil… – et nous la retrouverons! – il faudrait qu’elle consente à venir habiter là-bas… avec vous. Y consentiriez-vous?… et consentiriez-vous à décider votre mère?
– Oui, certes! répondit Lise avec la même ardeur. Je crois comme vous que Prospoder peut abriter le bonheur de plusieurs familles…
Et elle songeait que l’une de ces familles serait celle de Gérard, c’est-à-dire la sienne!…
Et elle était sur le point de parler de Gérard, de supplier le baron pour une réconciliation… Mais elle vit à ce moment les traits du baron si bouleversés, elle crut y lire de tels soupçons et des sentiments si amers et si violents, qu’elle s’arrêta, interdite, presque terrifiée.
– Qui vous a dit que ma propriété de Bretagne s’appelle Prospoder? gronda le baron d’Anguerrand.
Lise demeura stupéfiée, prise d’une terrible angoisse devant cette colère furieuse qu’elle devinait. Car cette colère, elle sentait bien qu’elle s’adressait à Gérard…
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