Elle balbutia quelques paroles confuses.
– Ce n’est pas moi, continua le baron avec une sorte de rudesse. Jamais je ne vous ai parlé de Prospoder. Si vous prononcez ce nom familièrement, il faut donc que quelqu’un vous en ait souvent parlé… quelqu’un qui connaisse Prospoder!… Et qui cela peut-il être, sinon lui!…
Hubert eut un geste violent.
Lise tremblait…
Oh! la réconciliation!… Oh! le bonheur entrevu!…
Le baron fit quelques pas dans le salon, puis il se frappa le front; toute sa violence de tempérament se déchaînait… Tout à coup, il vit Lise qui, le visage dans les mains, sanglotait doucement, éperdument.
Il courut à elle.
– Pardonnez-moi, dit-il, d’une voix altérée. Insensé! Je ne fais que du mal autour de moi!… Chacune de mes paroles sème du malheur… Oui, ah! oui, insensé! Et je vous proposais de venir avec moi et votre mère à Prospoder!… Fuyez-moi plutôt comme un pestiféré… Car, à vous qui m’avez apporté un pardon sublime, je ne me sens pas la force de répondre par un autre pardon!… Celui que vous aimez…ce Gérard!… Eh bien, je…
– Arrêtez, monsieur le baron! dit Lise avec un accent de tristesse, de résignation et de dignité.
Un instant, ils demeurèrent l’un devant l’autre, frémissants. Pour tous deux, c’était l’écroulement d’un rêve. Elle sentait que jamais il n’y aurait de réconciliation entre le père et le fils; et lui, comprenait que toujours l’amour de Lise serait vivant.
– Pauvre petite!… Pauvre martyre!… Laisse-moi te parler comme si tu étais encore ma fille… Tu l’aimes donc à jamais?…
– De toute mon âme, dit Lise avec la fermeté passionnée de tout ce qui est irrévocable.
– Rien ne pourrait te guérir de cet amour?…
– Rien. Pas même de savoir que Gérard aurait encouru la réprobation du monde entier…
– Eh bien! laisse-moi réfléchir… peut-être…, oui, peut-être.
– Ah! s’écria Lise dans un sursaut de joie ineffable, vous lui pardonnez?
– Attends! Je ne sais encore… Je te jure, pour toi je ferai l’impossible… Pour toi, je dompterai tout ce qui se révolte en moi à l’idée de revoir celui qui fut mon fils… Mais j’ai besoin de descendre en moi-même… Écoute: tout d’abord, dis-moi, et surtout comprends-moi… Tu l’as revu, n’est-ce pas?… Oui, c’est sûr, puisque lui seul a pu te parler de Prospoder…
– Je vis dans la maison où il vit, murmura Lise avec une telle fermeté, une telle simplicité, que le baron en eut comme la vision d’un rayonnement.
– Écoute. Jure-moi que tu ne diras rien de ce que tu as fait, ni que tu m’as vu, ni ce que nous avons dit.
– Soit! Je ne dirai rien.
– Ensuite, laisse-moi quelques jours de réflexion. Dans huit jours, j’aurai retrouvé ma fille…
– Dans huit jours, je reviendrai donc vous voir?…
– Oui, mon enfant. Et alors, je te dirai ce que j’aurai résolu pour ton bonheur…
* * * * *
Le soir, comme il l’avait dit, Gérard conduisit Lise à l’Opéra-Comique. C’était la première tentative de ce genre qu’il faisait. Il est vrai qu’il avait fait une visite à Max Pontaives et que Pontaives lui avait rendu la visite. Il est vrai que Pontaives ne l’avait pas reconnu. Mais Gérard voulait faire l’expérience en grand. Il voulait s’assurer que nul ne pouvait reconnaître dans le comte de Pierfort ni Gérard d’Anguerrand, ni surtout Charlot.
La présence de Lise à ses côtés n’était donc qu’un déguisement de plus. Il supposait que cette beauté délicate, cette adorable distinction de celle qui s’appelait comtesse de Pierfort attireraient une partie de l’attention de ceux qui auraient l’idée de le regarder de trop près.
Il est probable que les raisonnements de Gérard à ce sujet étaient assez justes. Car, dans cette soirée, il causa à vingt personnes, la comtesse de Pierfort reçut vingt invitations. La plupart de ceux ou de celles qui le virent de près avaient connu Gérard d’Anguerrand. Il parla même de Gérard d’Anguerrand. Et sur aucun visage il ne surprit une ombre de doute ou de soupçon.
Seul, Pontaives, qui l’avait présenté à diverses familles, lui dit, sur la fin de la soirée:
– C’est extraordinaire, comme vous avez les yeux de Gérard…
– Dame, fit Gérard en riant, nous sommes cousins issus de germains, vous savez…
* * * * *
Au moment où la limousine du comte de Pierfort s’éloignait de la place Boïeldieu, où s’élève l’Opéra-Comique, une femme quitta le coin où elle se dissimulait et monta à son tour dans une automobile de louage qui partit dans la direction de la place Vendôme.
Gérard avait songé à tout excepté à cela qu’Adeline pouvait le voir… et qu’Adeline, elle, le reconnaîtrait infailliblement, si bien grimé qu’il fût!…
Cette femme, en effet, c’était Adeline. Du fond d’une loge, pendant toute la représentation, elle n’avait pas perdu de vue Gérard. Ce qu’elle avait souffert dans cette soirée peut s’imaginer, mais non se dépeindre. Cent fois elle avait été sur le point de s’approcher de Lise, dans les couloirs, et de l’étrangler de ses mains. Et si elle s’était contenue, c’est que l’espoir d’une vengeance plus complète lui en donna seule la force.
Lorsqu’elle fut rentrée à l’Impérial-Hôtel, elle eut, dans sa chambre, une crise de désespoir et de rage qui, près d’une heure, la tint rugissante sur le lit où elle s’était jetée, mordant l’oreiller pour étouffer ses cris.
Enfin, elle se calma peu à peu, remit de l’ordre dans sa toilette, rafraîchit son front brûlant et ses yeux rouges de larmes, et elle passa dans le petit salon qui faisait partie de l’appartement loué par elle. La Veuve était là.
Adeline lui montra un visage impassible.
– Votre Finot est un maître homme, dit-elle. Il a dit la vérité…
– Ainsi, c’est vrai? Vous les avez vus?…
– Au théâtre que Finot nous a indiqué dans la soirée.
– Ah!… Et il ne s’est rien passé?…
– Rien! fit Adeline d’un ton bref. Rien, sinon que je ne voudrais pas, pour la vie, recommencer une pareille épreuve, et que si je me retrouvais prés d’eux, comme ce soir, si je les voyais comme je les ai vus, serrés, laissant éclater leur amour et leur bonheur, je ne sais si je pourrais supporter une fois encore une pareille damnation!…
Il y eut entre les deux femmes un silence funèbre.
– Et Finot? reprit La Veuve.
– Il ne les quitte pas. Demain matin, il sera ici pour faire son rapport. Demain matin, nous verrons donc à prendre une décision… En attendant, ne nous séparons pas. Je vais vous faire arranger un lit pliant dans ce salon. Jusqu’à ce que tout soit réglé, demeurons ensemble. Est-ce votre avis?
– J’allais vous le proposer, dit La Veuve de sa voix morne, emplie de sourdes menaces.
Jean Nib avait visité tous les bouges où il avait quelques chances de rencontrer Biribi. Pendant des jours, il avait battu le pavé. Mais toutes ses recherches étaient demeurées vaines. Le désespoir s’emparait de lui. S’il ne retrouvait ni Biribi ni La Veuve, Rose-de-Corail était perdue pour lui.
Qu’en avait fait le bandit?…
Des jours se passèrent.
Jean Nib se sentait mourir.
Deux ou trois fois, il vint en plein jour jusqu’à l’hôtel d’Anguerrand, résolu à voir le baron, celui qui devait être son père.
Mais, à chaque fois, au moment de sonner, il fit demi-tour, et s’en alla en murmurant:
– C’est pas vrai. Tout ça, c’est comme qui dirait un rêve… J’me rappellerais, d’abord, si c’était vrai! J’me rappelle rien du tout. Donc, c’est pas vrai. Faut être maboul pour se fourrer des idées pareilles dans l’ciboulot…
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