Elle secoua la tête en regardant Sylveste, plongé dans une discussion animée avec la Volyova assise par terre.
— Il devait savoir qu’il y trouverait quelque chose.
— Oui, mais d’où tenait-il cette information ? Le système avait été exploré par des sondes, avant cette expédition, mais il n’y avait jamais eu d’inspection approfondie. Pour autant que je sache, la surface de la planète n’avait pas été scannée d’assez près pour que quelqu’un ait découvert qu’il y avait jadis eu une vie intelligence sur Resurgam. Or Sylveste le savait.
— Ce qui n’a pas de sens.
— Eh non, convint Volyova. C’est bien ce que je me dis.
À ce stade, elle rejoignit sa jumelle auprès de la souche et se pencha si près de l’image de Sylveste que Khouri vit le reflet de ses yeux verts qui ne cillaient pas dans les verres fumés de ses lunettes.
— Que saviez-vous ? lui demanda-t-elle. Ou plutôt, comment l’avez-vous su ?
— Il ne vous répondra pas, fit Khouri.
— Peut-être pas tout de suite, soupira Volyova, puis elle eut un sourire. Mais d’ici peu, c’est le vrai Sylveste qui sera assis à cet endroit même. Et là, il se pourrait que nous en tirions des réponses.
Soudain, son bracelet émit un tintement mélodieux. Khouri ne pouvait dire que ce son lui était familier, mais il évoquait manifestement un signal d’alarme. Le jour artificiel devint soudain rouge sang et la lumière se mit à puiser en rythme avec le tintement.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Khouri.
— Une alerte, répondit Volyova en levant son bracelet devant son visage.
Elle enleva ses lunettes à projection rétinienne et regarda le minuscule écran. Un voyant rouge palpitait en rythme avec la lumière ambiante et le tintement. Khouri vit des mots défiler sur l’écran, mais pas assez nettement pour les déchiffrer.
— Quelle sorte d’alerte ? souffla-t-elle, tout bas pour ne pas déconcentrer Volyova.
Les trois personnages avaient disparu. Elle n’avait même pas remarqué leur départ. Ils étaient retournés silencieusement dans la partie de la mémoire du vaisseau qui leur avait redonné vie.
Volyova releva les yeux de son bracelet, le visage très pâle.
— L’une des armes secrètes…
— Oui ?
Elle est en train de s’armer toute seule.
En approche de Delta Pavonis, 2565
Elles suivirent en courant une galerie incurvée qui allait de la clairière au plus proche ascenseur radial.
— Que voulez-vous dire ? hurla Khouri pour se faire entendre malgré la sirène. Comment ça, elle est en train de s’armer toute seule ?
Volyova ne gâcha pas sa salive à répondre. Elle se rua vers la cabine de l’ascenseur qui attendait sur le palier et lui ordonna de transiter directement vers le plus proche ascenseur du tronc spinal, en ignorant toutes les limites d’accélération normales. La cabine s’ébranla aussitôt, avec une brusquerie qui les plaqua contre la paroi de verre et leur coupa la respiration. L’intérieur de la cabine était baigné par une lumière rouge pulsatile, et le cœur de Volyova se mit à battre en rythme, comme par sympathie. Elle réussit néanmoins à dire :
— C’est exactement ça. Chacune des armes secrètes est monitorée par un système indépendant, et l’un d’eux vient de détecter un afflux d’énergie dans l’arme associée.
Volyova se garda d’ajouter qu’elle avait installé ces systèmes de détection à cause d’une arme qui lui avait paru avoir été déplacée. Depuis, elle avait nourri l’espoir que le déplacement était imaginaire – que c’était une hallucination provoquée par sa veille solitaire. Elle savait à présent qu’il n’en était rien.
— Comment peut-elle s’armer toute seule ?
La question était parfaitement logique. Elle faisait malheureusement partie de toutes celles pour lesquelles Volyova n’avait pas de réponse immédiate.
— J’espère seulement que c’est dans le système de monitoring qu’il y a un os, répondit-elle, pour dire quelque chose. Et pas dans l’arme proprement dite.
— Et pourquoi s’armerait-elle ?
— Je n’en sais rien ! Vous ne voyez pas que j’ai déjà assez de mal à prendre ça calmement ?
L’ascenseur décéléra brusquement, transita vers la gaine axiale en effectuant une série d’embardées qui leur mirent le cœur au bord des lèvres ; puis la descente reprit, si rapide qu’elles se retrouvèrent quasiment en chute libre.
— Où allons-nous ?
— Dans la cache d’armes, évidemment, répondit Volyova en la foudroyant du regard. Je ne sais pas ce qui se passe, Khouri, mais quoi que ce soit, je veux une confirmation de visu. Je veux voir ce que fabriquent ces putains de bécanes !
— Elle s’arme toute seule. Mais… elle pourrait faire autre chose, aller plus loin ?
— Je n’en sais rien, répondit Volyova en s’efforçant de reprendre son empire sur elle-même. J’ai essayé tous les protocoles d’arrêt d’urgence ; rien ne marche. Je n’avais pas vraiment envisagé ce genre de situation.
— Elle ne peut pas se déployer toute seule, quand même ? Elle ne va pas trouver une cible et se déclencher ?
Volyova jeta un coup d’œil à son bracelet. C’était peut-être les infos qu’elle recevait qui étaient erronées ; le problème venait peut-être des systèmes de contrôle. Elle espérait que c’était ça, parce que les données affichées par son bracelet étaient une très, très mauvaise nouvelle en vérité.
L’arme secrète était en train de se déplacer.
Falkender avait tenu parole : les opérations qu’il avait effectuées sur les yeux de Sylveste avaient été pour le moins désagréables et avaient parfois même frisé l’agonie absolue. Depuis des jours, maintenant, le chirurgien de Sluka se surpassait. Il lui avait promis de lui restituer les fonctions visuelles fondamentales comme la perception des couleurs, le sens du relief et la continuité du mouvement, mais Sylveste n’était pas tout à fait convaincu qu’il avait les moyens ou les compétences nécessaires pour ça. Sylveste avait raconté à Falkender que ses yeux n’avaient jamais été parfaits, même au départ. Les instruments dont disposait Calvin étaient trop frustes pour ça. Mais même la vision rudimentaire dont il l’avait doté était préférable à la parodie de monde dans lequel il évoluait à présent, avec ses saccades et ses couleurs insipides. Sylveste douta, et ce n’était pas la première fois, que les résultats justifieraient la souffrance des interventions.
— Je crois que vous feriez mieux de renoncer, dit-il.
— J’ai réussi avec Sluka, répondit Falkender, réduit à une superposition de creux en forme d’homme qui s’agitaient dans le champ visuel de Sylveste. Votre problème n’est pas très compliqué.
— Et quand bien même vous me rendriez la vue ? Je ne peux pas voir ma femme parce que Sluka refuse de nous réunir. Et un mur de prison est un mur de prison, si net qu’il puisse…
Il s’interrompit, comme des ondes de douleur lui poignardaient les tempes.
— En réalité, je me demande s’il ne vaut pas mieux être aveugle. Au moins, comme ça, la réalité ne s’impose pas à votre nerf optique chaque fois que vous ouvrez les yeux.
— Vous n’avez même pas d’yeux, docteur Sylveste, répondit Falkender en exerçant une torsion qui projeta dans son champ visuel des rosettes de douleur roses. Alors arrêtez de vous apitoyer sur votre sort, je vous en prie. Ça ne se fait pas. Et puis, il se pourrait que vous ne soyez plus obligé de contempler ces murs pendant très longtemps.
Sylveste dressa l’oreille.
— Ce qui veut dire ?
— S’il y a du vrai dans ce que j’ai entendu, les choses pourraient bientôt changer.
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