— Avec ça, je suis renseigné !
— J’ai entendu dire que nous pourrions bientôt avoir des visiteurs, précisa Falkender, ponctuant sa remarque d’une manipulation qui provoqua chez Sylveste un nouvel élancement douloureux.
— Cessez de parler par énigmes. Quand vous dites « nous », de quelle faction voulez-vous parler ? Et de quel genre de visiteurs ?
— Ce ne sont que des rumeurs, docteur Sylveste. Je suis sûr que Sluka vous mettra au courant en temps voulu.
— Comptez là-dessus ! rétorqua Sylveste, qui n’avait pas d’illusions sur son utilité, du point de vue de Sluka.
Il en était arrivé à la conclusion que Sluka ne le gardait que parce qu’il lui procurait une distraction fugitive, un peu comme un fabuleux animal en cage, d’un intérêt discutable mais indéniablement nouveau. Il n’était pas certain du tout qu’elle lui confierait un jour une information sérieuse, et même dans ce cas, ce serait soit parce qu’elle en avait assez de parler aux murs, soit parce qu’elle avait inventé un nouveau moyen de le torturer verbalement. Elle avait parlé plusieurs fois de le cryogéniser à moins qu’elle ne lui trouve une utilité.
« J’ai bien fait de vous capturer, disait-elle. Oh, je ne dis pas que vous ne pourriez pas servir à quelque chose, c’est juste que je ne vois pas bien à quoi. Mais je ne vois pas pourquoi quelqu’un d’autre se servirait de vous. »
Dans cette perspective, comme il l’avait très vite compris, peu importait pour Sluka qu’elle le maintienne en vie ou non. Vivant, il l’amusait parfois, et il se pouvait évidemment qu’il lui soit utile un jour, quand l’équilibre des forces en présence dans la colonie se modifierait. Mais il était tout aussi vrai que l’éliminer maintenant ne lui poserait pas un gros problème. Au moins, comme ça, il ne constituerait jamais un fardeau et il ne risquerait pas de se retourner contre elle.
Et puis ces suaves agonies prirent fin, il y eut un passage vers une lumière plus calme et des couleurs presque plausibles. Sylveste tendit la main devant lui, la retourna lentement, pour s’imprégner de sa consistance. Sur sa peau était inscrit un réseau de stries et de nervures qu’il avait presque oublié, et pourtant il ne devait pas y avoir plus de quelques dizaines de jours – de semaines – qu’il avait été aveuglé dans le réseau de galerie des Amarantins.
— Et voilà, comme neuf ! s’exclama Falkender en rangeant ses instruments dans l’autoclave de bois.
Le drôle de gant cilié disparut en dernier ; lorsque Falkender en ôta sa main d’une finesse féminine, il se tortilla, se recroquevilla comme une méduse échouée sur le rivage.
— Lumière, s’il vous plaît ! dit Volyova dans son bracelet alors que l’ascenseur entrait dans la cache d’armes.
La cabine ralentit, s’immobilisa, et la pesanteur reprit ses droits. La lumière s’alluma dans la cache d’armes, faisant étinceler les armes massives, nichées dans leurs nacelles.
— Où est-elle ? demanda Khouri en plissant les yeux.
— Un instant, que je me repère, répondit Volyova.
— Je ne vois rien qui bouge.
— Moi non plus… pas encore.
Plaquée contre la paroi de verre de l’ascenseur, Volyova tentait de voir ce qui se passait derrière l’arme la plus volumineuse. Elle ordonna, en jurant, à la cabine de redescendre de vingt ou trente mètres, réussit à trouver la commande qui interrompait la lumière rouge, pulsatile, et la sirène intérieure.
— Vous avez vu ? fit Khouri dans le silence relatif qui s’ensuivit. Un mouvement, là-bas…
— Où ça ?
Elle tendit le doigt vers le bas. Volyova regarda ce qu’elle lui indiquait en fronçant les sourcils, puis elle dit à nouveau quelques mots dans son bracelet.
— Éclairage auxiliaire – cache d’armes, quadrant cinq. Allons voir ce que mijote ce svinoï, ajouta-t-elle en regardant Khouri.
— Vous n’y croyiez pas vraiment, hein ?
— À quoi ?
— À une défaillance du système de monitoring.
— Pas vraiment, répondit Volyova en continuant à scruter les environs tandis que les auxiliaires se connectaient, éclairant une partie de la cache d’armes qui se trouvait loin en dessous d’elles. Appelons ça de l’optimisme. Mais je sens qu’il commence à décroître.
L’arme, expliqua-t-elle, était de la catégorie des tueuses de planètes. Elle n’était pas très sûre de son fonctionnement. Elle ne savait pas très bien non plus de quoi elle était capable au juste. Mais elle en avait une petite idée. Elle l’avait testée des années auparavant, au minimum de ses possibilités destructrices… sur une petite lune. En extrapolant – Volyova était très bonne à ce jeu-là – l’arme aurait pu aisément détruire une planète située à des centaines d’années-lumière. Il y avait dedans des choses qui portaient la signature de trous noirs quantiques, et qui, bizarrement, refusaient de s’évaporer. Tout se passait comme si l’arme créait un soliton – une onde stationnaire – dans la structure géodésique de l’espace-temps.
Et voilà que l’arme s’était animée sans qu’elle intervienne. Elle glissait dans la chambre, sur le réseau de pistes qui finirait par l’amener vers le vide de l’espace. C’était comme si un gratte-ciel se déplaçait dans une ville.
— Nous ne pouvons rien faire ?
— Si vous avez quelque chose à proposer, je suis preneuse.
— Eh bien, reconnaissez que je n’ai pas eu beaucoup le temps de réfléchir…
— Allez-y, Khouri.
— Nous pourrions essayer de la bloquer, répondit Khouri, le front plissé comme si, en plus du reste, elle était en proie à une soudaine migraine. Il y a des navettes, sur ce bâtiment ?
— Oui, mais…
— Eh bien, mettez-en une devant la sortie. Ou bien c’est trop primaire pour vous ?
— Pour l’instant, l’expression « trop primaire » n’entre pas dans mon vocabulaire.
Volyova jeta un coup d’œil à son bracelet tandis que l’arme poursuivait son déplacement le long de la paroi, tel un escargot blindé suivant sa propre trace de bave. Au bout de la cache d’armes, un immense iris s’ouvrit. La piste menait, à travers l’ouverture, dans une salle obscure située en dessous. L’arme était presque au niveau de l’ouverture.
— Je pourrais déplacer l’une des navettes… l’amener à l’extérieur du vaisseau… mais j’ai peur que nous n’y arrivions pas à temps…
— Faites-le ! hurla Khouri, le visage crispé. Perdez encore du temps, et nous n’aurons même plus cette solution !
Volyova hocha la tête et regarda sa recrue d’un air soupçonneux. Qu’est-ce qu’elle y connaissait, après tout ? Elle avait l’air à la fois moins sidérée que Volyova, et bien plus agitée qu’elle n’aurait cru. Mais son argument était recevable. L’idée de la navette méritait d’être creusée, même s’il y avait peu de chance qu’elle marche.
— Nous avons besoin d’autre chose, dit-elle en appelant la sub-persona qui contrôlait la navette.
L’arme était déjà engagée dans l’iris de transfert et glissait vers la seconde chambre.
— Autre chose ?
— Au cas où ça ne marcherait pas. C’est du poste de tir que vient le problème, Khouri. C’est peut-être là que nous devrions contre-attaquer.
— Comment ? fit Khouri en blêmissant.
— Je voudrais que vous preniez place dans le siège.
Elles descendirent si vite vers le poste de tir que le sol s’inversa pour devenir le plafond – et Khouri eut l’impression que son estomac en faisait autant. Volyova murmurait dans son bracelet des instructions frénétiques, hachées. Il lui fallut quelques secondes affolantes pour accéder à la bonne sub-persona, quelques-unes de plus pour répondre aux procédures de sécurité qui interdisaient le contrôle à distance des navettes par des personnes non autorisées. Encore une poignée de secondes, le temps de faire chauffer les moteurs de l’un des appareils, qu’il se déconnecte de ses amarres, quitte son emplacement sous la coque et commence à se déplacer avec une lenteur désespérante, comme si ce foutu machin – dixit Volyova – était à moitié endormi. Le gobe-lumen accélérait toujours, ce qui compliquait d’autant la manœuvre.
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