— Guidez-moi jusqu’à votre époux, ma bonne, fais-je, et laissons ces amants terribles aux prises avec les tribulations de la chair, comme le disait un éboueur portugais.
Il est temps que nous quittions la pièce : Bérurier, en pleine surexcitation glandulaire est déjà en train d’extraire de ses braies odorantes un mandrin capable de servir également de bitte d’amarrage.
Le couloir de l’hosto est gai comme une vespasienne désaffectée. La présence d’aimables infirmières corrige heureusement la pénibilité de l’endroit.
Près de l’ascenseur, une dame plus que vieille : moribarde, attend d’être conduite aux soins intensifs. Un costaud noir de poil, vêtu d’une blouse sans manches, poireaute devant la cabine en sifflotant la marche de la Légion. Il s’accompagne en imitant un ra de tambour (pléonasme) sur la planchette où est punaisée la feuille de soins de l’agonisante.
Grabote claudique un tantisoit. La fatigue qui se fait d’autant plus sentir qu’elle n’a pas dû changer de slip depuis le dernier téléthon à la téloche.
— Je suis ravie qu’Alexandre-Benoît reprenne des relations familiales avec mon homme, me dit-elle. Une brouille aussi longue, c’est difficile à vivre.
Et d’essuyer une larmichette en voie de développement au bord de sa paupière inférieure.
— En effet, conviens-je, rien ne remplace l’harmonie dans une famille. Les épreuves, quelles qu’elles soient, doivent la souder, non la diviser.
— Vous êtes un homme rare, me félicite cette personne d’abnégation.
C’est sur un tel compliment, dûment mérité, j’en conviens sans cérémonie, que nous atteignons la chambre du gars Paray.
Il la partage avec un chpountz à gueule de ganache fossilisée, dont le dentier macère dans un verre empli d’un liquide rose. Le malade garde les yeux fermés et geint à chacune de ses aspirations. Le frottement de la colonne d’air sur les parois de sa glotte produit un vilain bruit agonique.
Nous passons devant lui pour gagner la couche où le malheureux Ambroise est en train de gésir, farouche et silencieux sous un épais pansement.
M’apercevant, il lui vient la force d’un sourire.
Ses lèvres pâles laissent filtrer un « merci de votre visite » qui me donne envie de pleurer. Il voudrait me tendre la main, mais il est trop faiblard.
— Ne vous agitez pas, mon ami, murmuré-je momentanément compatissant.
Grabote se penche sur son mâle.
— Je t’annonce une visite ! dit-elle.
Puis soucieuse de ne pas faire languir le blessé, elle révèle, très vite :
— Sandre !
Le regard du chétif noircit d’épouvante. Il secoue la tête comme un qui branle le chef et gémit :
— Non ! Oh ! non…
— Affole-toi pas, le calme l’épouse : il vient faire la paix, il l’a promis à Berthy.
— Brrvv brvvv ahouavoufff ! émet la ganache trépassante.
Mais, chacun sa vie, chacun son agonie, et nous passons outre.
— Il a bien fini par comprendre que trop c’est trop, commente Grabote.
Elle se tait car une étrange clameur nous parvient, réverbérée par le grand couloir cavernesque. Je reconnais le vocifèrement pâmoisesque du Mastard en cours de pipe matrimoniale.
— Arrrrvroum ! Ta barbe, ta barbe, chérie ! qu’il lance à tous les échos, l’homme-goret ! Bon gu, mais j’peuve plus r’tiende ma passion ! C’est trop to muche, darlinge ! Comme si c’s’rait le père Tolstoï qui m’taille un calumet ! Vvvvouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !
L’immense cri de délivrance se répercute dans les confins de l’hôpital, meurt sans laisser se régénérer un silence mieux approprié à cet endroit où, habituellement, les plaintes et les cris que l’on entend n’émanent pas de gens en rut.
Nous nous dévisageons, indécis. Ce fut si bref et si intense.
Quelques instants s’écoulent et on toque à la porte. Béru se présente, radieux, le sourire large, la braguette béante.
Il est nimbé, l’époux de la femme à barbe. Dégage une lumière qui n’appartient généralement qu’aux apparitions surnaturelles. Il entre, fait trois pas en direction du plumzingue de son beauf, s’arrête au passage devant celui du voisin de chambrée dont la moribonderie le trouble, hoche la tête en le considérant.
— V’là un gus complèt’ment fané, déclare Son Ampleur. M’étonn’rerait qu’y soye enco’ là pour les nouvelles télévisesées du soir. Y feraient mieux d’le ciller diréqu’ment à la morgue ; ça dégagerait l’terrain.
Cet avis, qu’on ne lui demande pas, donné, il vient jusqu’à la couche beaufrèriale, s’immobilise pour contempler à pleines teillées le gisant qui l’occupe.
— Dis voir, murmure-t-il, t’es pas frais non plus, ta pomme. Tu vas pouvoir prend’ des fortifiants.
— Alexandre ! balbutie le blessé. O Alexandre-Benoît. Toi, enfin ! Comme la vie a été longue sans ta chère présence !
Il pleure douloureusement. Sobrement. Larmes de martyr qui remuent les âmes les plus endurcies.
Le Magnanime se penche pour considérer l’individu terrassé qui gît sur la couche d’hôpital.
— Alors, t’as voulu t’flinguer, mec ? Et naturell’ment tu t’as raté. T’as jamais pu réussir quoi ce fût dans l’eguesistence.
Ayant porté ce jugement définitif, il donne au blessé une sobre accolade dépourvue de passion.
— Que c’est beau ! Seigneur que c’est beau ! sanglote Grabote. Je n’eusse jamais pu espérer qu’un jour pareil arriverait. Je sens qu’à compter de maintenant, la vie va démarrer sur des bases nouvelles !
Et, me prenant à témoin :
— Vous ne croyez pas, monsieur San-Antonio ?
— Peut-être, admets-je, mais ça dépend de ce que vous entendez par « des bases nouvelles », ma chère amie.
Elle s’écarquille les lotos derrière son rideau de larmes. Je lui tapote l’épaule, puis lui avance l’une des deux chaises meublant la chambre. La pauvre femme y dépose le cul le moins appétissant du monde.
Ensuite je pousse la deuxième chaise en direction du Mammouth.
— Assieds-toi aussi, vieux frangin.
— Et toive ? s’inquiète cet être exquis, pourtant peu soucieux d’urbanité.
— Je resterai debout, je serai mieux pour parler.
Béru place donc quatre-vingts kilogrammes de cul pas très frais sur le siège.
— Tu sais, Broise, attaque-t-il, je t’absolutionne biscotte j’croive en ton innocenterie. Sais-tu depuis quand est-ce ?
— Oui, chuchote le raté.
— Dis-y-l’moi, qu’on voye ?
— Depuis la nuit où tu es venu avec Pinaud me mettre une rouste au motel.
Là, le Mastard fait le grand écart avec sa cervelle.
— Quoi-ce ! Tu nous as reconnus ? On en a pourtant pas cassé une broque !
— Non, mais tu as loufé à plusieurs reprises, Sandre. Permets-moi de te dire que des pets comme les tiens, y a pas deux anus capables de les produire.
L’Insane éclate d’un rire plus joyeux que la cuisson de beignets dans la grande friture.
— Formide ! exulte Gargantua. S’trahir d’la sorte ! Quand est-ce j’vas raconter ça, à la Grande Masure, les collègues en licebroqueront dans leur froc !
« Pourquoi-ve t’as fait kif si qu’tu m’aurais pas r’connu, p’tit nœud ? »
— J’étais terrorisé. J’avais l’impression que t’aurais pu me porter un coup fatal ; déjà que tu m’en as mis plein la gueule !
Le Gravos hoche sa tête de bovin pensif.
— Faut comprend’ l’état dont j’m’ trouvevais, gars. J’t’ croiliais dur comme fer empliqué dans c’te béchamel. Mais quand après avoir tout r’mué dans ta crèche, j’n’ai trouvé qu’des factures impayées et des rappels d’impôts, j’ai bien compris qu’v’s’étiez pauv’ comme zob, Grabote et tézigueman. Qu’ donc, mes soupçons tombaient à plat.
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