Un serpent constrictor, mec !
Dans une chambre à coucher, ça impressionne davantage que dans la forêt équatoriale. Tu parles d’un motif ! Doit mesurer au moins trois mètres, ce bestiau sans pattes !
Il me rampe sur les targettes. Alors, mécolle, mammiférien à outrance auquel les reptiles flanquent la chiasse verte, je réagis comme un endoffé et je shoote dans ce long tuyau recouvert d’écailles.
Misère ! Que viens-je de faire là !
V’là tous ces sacs et ceintures en devenir qui me prennent à partie ! Le temps de réciter mon acte de « constriction », je suis chaudement habillé pour l’hiver d’un pardingue en peau de boa, des chevilles au menton ! Le sentiment de m’enfoncer dans une broyeuse vivante qui triture le moindre centimètre cube de mon être ! Me jette au sol, me déglingue ! Me tréfile ! M’élongue ! À ce train-là, je serai plus long que lui dans quelques instants ! Pour m’évacuer, faudra m’enrouler comme un cordage. On m’enterrera dans une grande boîte pour copies de films.
Je suis bloqué, moi qui débloque sans arrêt ! je n’ai que le bras droit hors de cette gaine vivante car il était levé au moment où l’animal m’a emparé. Je ne dois pas disposer de plus d’une ou deux minutes avant de périr étouffé.
Gisant sur la descente de lit, j’attrape un paturon de la table de chevet, tire dessus. Le petit meuble se renverse. Une pluie de préservatifs choit. Parmi eux, tu sais quoi, François ? Un pistolet, mon drôle. D’assez belle prestance : crosse gaufrée, détente en acier bleui. Ma paluche libre s’en saisit. J’applique l’orifice du pétard contre l’énorme tube de chair qui m’enserre.
Feu !
Une gerbe de sang m’éclabousse. Une gigantesque secousse dénoue l’effroyable bestiole. Le reptile blessé se tord, se déroule, fouette la chambre à tout va, compose une série de 8, puis le sigle des jeux Olympiques. Il est tellement puissant dans la souffrance qu’il brise : les meubles, les tableaux, les miroirs, les vitres, ce qui l’entaille un peu partout…
Devant cette terrifiante tornade, je m’affole. Je veux en finir avec ce monstre. Lui faire éclater la tronche me semble le plus judicieux. Seulement, si tu veux bien l’admettre, la tête, c’est ce qu’il a de plus petit, le serpent. Et comme il se trémousse follement, impossible de la prendre en photo ! Je n’ai que des nœuds de chair écaillée à portée. Et je connais ballepeau à l’anatomie du boa ! Le cœur, je ne sais fichtre pas à quel niveau il se situe dans cette lance d’arrosage !
Reusement, Monsieur Bon Dieu, qui a déjà pardonné mes écarts de foi, vient à mon aide. L’idée géniale, c’est Lui qui me la souffle. Je vais à l’une des larges fenêtres à guillotine (comme toujours dans les patelins anglo-saxons) et l’ouvre au max. N’après quoi, je ramasse un gros briquet d’argent rehaussé de jade, l’actionne. Une discrète molette permet d’en régler la flamme. Je monte cette dernière. Un vrai chalumeau ! L’approche du constrictor ! Oh ! qu’il déteste ça ! Il s’agite plus fort encore ! Se noue serré ! Forme une masse grouillassante. Inexorable, je le refoule avec ma lampe à souder jusqu’à la fenêtre ouverte. Cézigus sent l’air frais de la noye, se précipite. Ça s’opère kif un tour de magie à M. Liebling. D’un seul coup, d’un seul, le snake disparaît, comme happé par le vide lumineux et l’infernal vacarme de la circulation…
Je me penche au-dessus de la street , distingue une guirlande ronde attirée par les profondeurs et qui s’engloutit dans une flambée de néons apocalyptiques.
Je donnerais volontiers dix ans de ta vie pour explorer les lieux à fond, mais hélas je dois m’évacuer vers des contrées moins houleuses.
J’emprunte l’ascenseur jusqu’au sous-sol afin d’éviter le gardien. Une fois là, me mets en quête d’une issue de secours. Les Ricains sont gens trop organisés pour ne pas en avoir prévu. Je la dégauchis sans mal et me retrouve dans une voie secondaire.
D’une allure de promeneur, je rejoins l’artère principale. Y a rassemblement sur la voie publique ! Des cops en uniforme s’affairent autour de débris calcinés que je tente de « déchiffrer ». De la fumée noire ! Des tôles enchevêtrées ! Un serpent agonique continue de convulser dans les décombres ! Dantesque ! D’autant que j’avise un corps humain couvert de neige carbonique, dispensée par des tomobilistes compatissants.
Avisant un Noir en blouson blanc, je le questionne.
Cécolle me transmet ce qu’il sait : comme il arrive fréquemment aux U.S., un python est tombé de l’immeuble, écrasant le capot d’une voiture appartenant au Daily Red Indian . Le véhicule a pris feu. Son conducteur est mort.
Beau boulot en vérité ! J’aurais mieux fait de rester devant mon Dubonnet-cassis. Lâchement, je joue cassos et vais rejoindre mon oreiller. L’Amérique me pompe l’air : elle est pleine d’Américains !
* * *
La dorme, enfin ! Pas franche et réparatrice, plutôt un sommeil lourdoche de poivrot, et cependant je n’ai rien éclusé. Me sens environné de dangers perfides. Roupille d’homme traqué, de celles qu’on voit au ciné. Tu sais, le trimardeur exténué, réfugié dans une grange et qu’une petite fille à tresses blondes découvre en venant chercher des œufs au poulailler. Subsistent dans mon anéantissement des flashes peu réjouissants : la secrétaire de police, zinguée de première dans son logis ; le boa en folie disparaissant dans les abysses de la ville ; les restes du mec de presse…
Par moments, c’est le spectre de Pinuche qui me joue Hamlet .
Ma pomme, dans ce bigntz ?
La petite voisine de Dolores m’a vu entrer chez la morte. Fera-t-elle de moi une description conforme à ma réalité ? En tout cas, le gardien de l’immeuble où crèche Liebling ne ratera pas mon signalement. Ils ont l’œil exercé, ces cerbères de maisons huppées. C’est pourquoi, très bientôt et sans doute avant, on va venir toquer à ma chambre…
Tiens ! Que te disais-je ?
Boum, boum, boum !
Regard à ma montre. Cinq heures dix-huit !
Les coups reprenant, je saute, sans escale, du lit dans mon slip, en maugréant :
— Oui, oui, j’arrive !
Et de dégager le système de fermeture. Qu’à peine je gire la poignée, ma lourde est violemment poussée de l’extérieur. Je dois pas être stable sur mes fumerons car je tombe assis sur mon cul aristocratique. Une tornade de poils me submerge, une langue dégoulinante et large comme une tranche de Bayonne me lèche goulûment, telle la grande Daphné, en Angleterre. Elle composait un ravissant bouquet de mariée en réunissant dans ses deux mains ma bite et mes roustons, qu’elle savourait avec frénésie, la chérie !
Là, c’est pas une nière qui me déguste, mais mon indéfectible Salami, survolté par nos retrouvailles. Il émet des gémissements de bonheur, mon bébé ; gambade sur place, kif un bourrin au dressage. Le bonheur de me retrouver lui fait enfin perdre sa retenue coutumière.
— Cher compagnon, lui dis-je, vos démonstrations de joie constituent pour moi un baume qui arrive à point nommé !
Ayant proféré, je saisis M. Blanc par le cou pour une accolade sans guillemets. Doux instants d’une euphorie sédative dont mon âme en peine se repaît [6] Phrase de toute beauté qui justifierait pleinement l’entrée de San-Antonio à notre Académie. Robert SABATIER
.
Et puis, voici venir mes confidences.
Jérémie m’écoute ardemment, presque solennellement. Il vient de traverser l’Atlantique exprès pour ça. Alors, comme on perce une poche de pus consécutive à une déconne cellulaire, je me vide de mes tourments, déboires et autres échecs. Évacue toutes les saloperies : la disparition de la Pine, la mort sur ce lit même des sœurs broutées, la fugue des épouses frivoles, le prestidigitateur cocufieux, l’incident du maudit serpent, mes démêlés avec la Police et le meurtre de la jolie secrétaire… Tout, quoi !
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