Je regarde le vieux. Bien sûr, c’est ainsi que les choses se sont passées. Ça ne peut pas s’être passé autrement. Cette tire n’avait que quelques mètres dans le ventre après son séjour de quinze ans dans la grotte. Elle ne pouvait venir de loin… Pourquoi ne me suis-je pas fait la réflexion tout de suite ? Parce que j’ai découvert le cadavre et que je n’ai plus pensé qu’à lui ? Oui, sûrement. Comme quoi il ne faut pas toujours regarder ce qui est le plus visible…
Fernand avait raison…
Tout cela, je l’enregistre… Et puis je poursuis mon boulot de déductions et je me dis que si la voiture se trouvait là où elle était, c’était parce que Viaud l’y avait amenée. Je me dis encore que si Viaud l’a amenée dans la fausse grotte c’est parce que c’est lui qui a exhumé le cadavre de l’espion fusillé à sa place. Du reste, n’était-ce pas son intérêt ? Car enfin, si les Allemands avaient appris que le mort n’était pas Viaud, ils en auraient conclu que Viaud était un gars qui les avait drôlement feintés et ils se seraient mis sérieusement à sa recherche… Bon, Viaud a donc déterré son « remplaçant »… Mais alors ? Alors c’est lui qui avait la montre de Laurent ? Et s’il l’avait, c’est parce qu’il avait tué le commissaire… Il l’a tué parce que celui-ci en savait trop. Le Vieux n’a-t-il pas dit que l’I.S. ne laissait rien au hasard ? Pourquoi lui avoir volé sa montre ensuite ? Parce qu’elle contenait quelque chose que Viaud avait confié à Laurent au moment de son arrestation… Par simple mesure de sécurité… Quelque chose que les Allemands ont cherché à récupérer par la suite…
Le vieux Rital est toujours là, titubant sur ses flubes. Il a les yeux qui lui pendent sur les joues. Les poils de son naze frissonnent dans la brise…
D’autres mecs radinent… Une petite gouape entre autres… Je suis prêt à vous parier une rame de papier contre une rame de métro qu’il s’agit de l’apprenti dont m’a parlé le roi de la truelle. Au regard qu’ils échangent je sens ça… Je lâche le vieux et je m’approche du jeunot. Cheveux bruns, rouflaquettes, œil bravache, petite médaille à dix ronds sur la poitrine… Vous mordez le personnage ? Ça se prend pour un casseur. Ça se bigorne avec des potes quand c’est gelé, ça fait de la moto…
— Par ici, petit gars !
Il me regarde. Il s’efforce à prendre l’air vache de vache…
— De quoi ?
— Amène-toi, j’ai deux mots à te dire.
L’apprenti tourne son regard vers le vieux qui détourne le sien. Je guide le petit mec jusqu’à ma voiture et le fais monter. Puis je m’installe au volant. Je réfléchis. Je n’ai pas envie d’attaquer sec… Autant le laisser mijoter et ne pas faire de fausse manœuvre…
Je pense que ce gamin s’est donné bien du mal à sortir l’auto de la grotte… Il a déplacé des fagots, il l’a nettoyée, il a bricolé le moteur, mis de l’essence… Tout ça, ça n’était pas pour voir si elle fonctionnait. C’était autre chose qu’un jeu… Il voulait la chouraver, simplement. Il s’était dit que le propriétaire du coin étant clamsé, il pouvait s’emparer de la vieille tire sans gros risques… Seulement il ne l’a pas fait ! Pourquoi ? Aurait-il ouvert le coffre et vu son contenu ? Non, le coffre était rouillé, j’ai dû faire de gros efforts pour l’ouvrir… Alors ?
Je le sens fondre. Sa pomme d’Adam monte et descend… Il salive pour essayer de parler, mais il a peur que sa voix se brise. Enfin il articule, comme s’il parlait dans un cornet de carton :
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
Je lui montre ma carte.
— Police !
Ça le stoppe presto. Je m’élance :
— Le vieux m’a tout dit… Allez, aboule ce que tu as trouvé dans l’auto lorsque tu l’as eu sortie !
Il reste un instant immobile…
— T’entends ! Ça va chauffer pour tes plumes, gars, je te le prédis sans avoir besoin de lire tes lignes de malchance !
Il hésite encore… Je lui prends l’oreille délicatement entre le pouce et l’index.
— Tu as tort de te faire tirer l’oreille… Elle pourrait me rester dans les mains… Tu entends ! ! !
J’ai hurlé, il a eu un sursaut…
— Oui, m’sieur… Je ne savais pas de quoi il s’agissait… Je…
Il relève son pull, il a comme ceinture une large sangle de cuir avec des poches hermétiques… Il fouille dans l’un de ces compartiments et en sort une petite boule de papier de soie.
Je la lui arrache des doigts et je me trouve nez à nez avec un splendide diamant… Fiévreusement, je m’empare de la montre de Laurent et je colle le diam dans le boîtier. Il s’y emboîte juste…
— Ce… C’était sous le klaxon, dans le volant, bégaie l’autre… Le disque était coincé… Je l’ai dévissé et… Je… Je ne savais pas…
Je lui montre la portière.
— Fous le camp ! Et n’y reviens plus… Tu as de la chance que je sois un bon type… Va gâcher ton mortier et apprends à bâtir des maisons, ça te rapportera tout compte fait davantage que les sales petites combines.
Il se taille sans demander son reste…
Je glisse la montre dans ma poche…
— Sacré Viaud ! Je comprends pourquoi il a buté Laurent…
Le Vieux examine le caillou à la loupe. Le verre grossissant sert de prisme et crible le crâne du boss de mille feux scintillants.
— Magnifique pierre, décrète le patron…
— On n’en trouve pas dans des pochettes-surprises…
Le boss se caresse la coupole.
— Viaud avait ceci sur lui au moment de son arrestation. Cette pierre appartenait aux Allemands, sans doute devait-elle servir à payer une grosse légume étrangère… Il l’a confiée à Laurent à toutes fins utiles en attendant que son cas s’éclaircisse. Laurent a gardé la gemme. Il n’a pas voulu la rendre à Viaud qui l’a buté pour s’en emparer…
Triomphant il me regarde.
— C’est très simple.
Je secoue la tronche.
— Pas exactement de votre avis, patron…
— Voyez-vous !
— Si la pierre avait appartenu aux Allemands, Viaud l’aurait emmenée en Angleterre… Il ne l’a pas fait parce que, au contraire, le diamant lui avait été remis par les Anglais. Lorsqu’il a été libéré quelques heures après son arrestation, il s’est dit qu’après tout il pouvait se constituer un gentil capital… Il a repris la pierre à Laurent et a tué ce dernier, de façon que l’I.S. croie que le policier marron avait été victime de gens du milieu auxquels il proposait le caillou. Croyez-moi, c’est plutôt quelque chose dans ce goût-là…
« Veller-Viaud a pu faire admettre cette version à ses chefs anglais. Il a poursuivi son boulot de l’autre côté du Channel. Et puis il est revenu en France pour y mener une existence de peinard…
« Alors l’idée lui est venue de construire sa hutte sur le terrain de ses premiers jeux… Il avait pris ses précautions pour que celui-ci ne soit pas vendu par sa « veuve », étant donné le véhicule qu’il recélait ! Comme ça devait être, d’après ce que j’ai appris de lui, un fameux combinard, il a voulu se procurer du liquide par Carotier… Il est probable que l’I.S. surveille pendant un certain temps ses serviteurs après qu’ils l’ont quitté. Viaud, qui le savait, n’était pas pressé de monnayer le caillou…
Le Vieux fait couler la pierre dans sa main.
— Et dire que je vous avais ordonné, ce matin, de lâcher l’affaire…
Je le regarde en biais.
— Il y a ordre et ordre, chef… Vous avez des « non » qui veulent dire « oui »…
Un heurt à la porte. C’est Pinaud qui vient au rapport. Il se tient un instant immobile dans l’embrasure de la fenêtre, pour faire valoir son beau costar. Et le Vieux et moi pouvons constater qu’il s’est assis sur un banc fraîchement peint.
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