Frédéric Dard - Les doigts dans le nez

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Les doigts dans le nez: краткое содержание, описание и аннотация

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Il se soulève, prend sa chaise et me l'abat sur le crâne. Aussi fastoche que je viens de vous le dire. Mon bras paralysé par le coup de poêle à frire n'a pas eu la force de se lever pour braquer le soufflant. Je biche le siège en pleine bouille et illico je me trouve inscrit au barreau. Ça se met à toumiquer autour de moi. J'essaie de me cramponner à la table, mais des nèfles ! Je vais à dame. Le couple de petits rentiers tranquilles me saute alors dessus et fait une danse incantatoire sur ma personne.

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Avant Voiron, j’aperçois la grosse tire volumineuse du boucher… Je fais un petit appel de phares et je le passe à vive allure pour qu’il n’ait pas le temps de me reconnaître s’il me laisse ses phares dans le dos. Il n’est pas correct avec les femmes, mais en revanche, il l’est avec les automobilistes car il se fout en code pour ne pas me gêner. Merci, M. l’étrangleur, le Bon Dieu vous le rendra !

Au lieu de ralentir, je colle ma semelle au plancher. Ma voiture semble bondir hors de la zone d’attraction de la Prairie… Les deux phares jaunes se diluent rapidement dans l’obscurité aqueuse.

Lorsque je parviens devant chez le zig, j’ai dû lui coller un bon quart d’heure dans la vue pour le moins.

Je dépasse sa villa Mon Repos et j’avise un petit chemin de traverse, non loin de là. J’y colle ma brouette, j’éteins mes calbombes et je radine à sa forteresse en marchant sur l’herbe du talus pour étouffer le bruit de mes pas. J’ai les arpions qui commencent à me faire mal… Faut vous dire que j’ai un oignon et un œil-de-perdrix au même pied à cause d’une paire de chaussures neuves qui n’étaient pas à ma mesure. L’oignon fait pleurer l’œil-de-perdrix et c’est très désagréable.

Je pousse la portelle de la grille, je gagne la maison. Il y a de la lumière dans la salle à manger. Comme je franchis une zone caillouteuse, la porte s’ouvre. La veuve Viaud, épouse Carotier, paraît dans un rectangle de lumière orangée.

— C’est toi ? s’informe-t-elle.

Je fais deux pas dans la lumière. Elle me reconnaît et a un geste de recul.

— Oui, madame Carotier. C’est moi. J’espère que je ne vous dérange pas ?

Elle se reprend un brin, mais son visage est blafard et des cernes bleus soulignent ses carreaux.

— Je… À ces heures ! balbutie-t-elle.

J’entre, je repousse la lourde… Une bonne odeur de caoua tout frais embaume la pièce. Cette digne personne est aux petits soins pour son toucheur de bestiaux. Elle lui a préparé un Mokarex pour le remettre de ses émotions nocturnes.

— Vous connaissez le dicton, fais-je, il n’y a pas d’heure pour les braves…

Je déboutonne ma veste humide.

— Il fait bon chez vous… Votre mari ne va pas tarder, je l’ai doublé avant Voiron… Il roule son petit bonhomme de chemin… Un brave type, hein ?

Elle me détranche en se demandant si c’est du lard ou du cochon que je lui brade en ce moment.

Je souris.

— Qu’avez-vous, madame Carotier, vous semblez émue ? C’est ma visite ? Vous avez eu peur ? Vous pensiez que tout n’avait pas bien marché pour votre jules ?

Je découvre deux tasses propres sur une desserte. J’en chope une, j’y colle deux sucres puisés dans une poule en verre bleu et je vais à la cuisine me verser un jus carabiné. Je reviens en touillant mon caoua.

— Vous êtes bien installés, ici, dis-je. C’est intime… C’est douillet… La maison dont rêvent tous les Français, avec même des volets rouges ! Comme c’est idiot de perdre tout cela sur un coup de sang…

Elle ne peut proférer un mot. Je la vois se désincarner devant moi. Elle se dilue dans la trouille comme les deux sucres dans ma tasse de café.

— Que ferez-vous pendant que Carotier sera en prison ? je questionne. Vous remarierez-vous une troisième fois ou bien partirez-vous en Afrique pour y soigner les lépreux ?

Le sale mot l’a atteinte en pleine poire.

Elle murmure :

— En prison ?

— N’est-ce pas là, madame Carotier, que finissent presque tous les assassins ?

Autre mot percutant. Elle bavoche :

— Les assassins…

Je regarde ma montre… Je viens de bouffer six minutes sur mon avance présumée. Il s’agit de mouler les mondanités pour entrer dans ce que les littérateurs chevronnés appellent « le vif du sujet ».

Je m’approche d’elle et lui parle sous le nez.

— Un homme qui étrangle une femme jusqu’à ce que mort s’ensuive, c’est bien un assassin, si je m’en reporte au dictionnaire, non ?

Elle secoue la tête, incrédule.

— Non, non ! Ça n’est pas possible !

— Si, ça l’était puisque c’est chose faite. Carotier vient de tuer Charlotte… Voilà ! Ce sont les toutes dernières nouvelles, ma bonne dame : les journaux ne l’imprimeront pas avant un jour ou deux et la police officielle l’ignore encore… Mais moi je suis toujours à l’avant-garde de l’information.

Elle hoquette et ses mains tremblent comme si elle se tenait debout sur un tamis à moteur.

Je poursuis, véhément comme un avocat général réclamant une tête de haineux :

— Le meilleur moyen de faire taire les gens, c’est de les rendre muets. Ce gros salaud a étranglé la rouquine. Comment la connaissait-il ? Quels liens existaient-ils entre elle et vous ? Vous allez parler, ma vieille… Et en vitesse, parce que je commence à en avoir classe de cette bonne femme qui épouse des truands : un espion et un meurtrier, vous parlez d’un doublé !

Elle se cache la figure dans les mains.

— C’est atroce, pleurniche-t-elle.

— Mollo sur le cinéma, je vous prie… Je suis blindé et même les premiers prix de Conservatoire me font dresser les cheveux sous les bras !

Je reprends :

— Depuis quand connaissiez-vous Charlotte ?

Elle me regarde.

— Mais…

— Allez, parlez, ou je vais employer les grands moyens !

— C’est ma belle-sœur !

J’en prends un coup sur la soucoupe.

— Vous dites, madame la marquise ?

— C’est la sœur de mon mari…

J’en ai le grand zygomatique qui danse le cha-cha-cha…

Mais un ronron de moteur m’arrache à ma surprise. Voilà le mec qui s’annonce. Il a gagné un peu sur l’avance que je lui ai prise.

Je bigle la vioque.

— Arrivez par ici, ma bonne dame…

Je la pousse vers la cuisine. Au fond de celle-ci se trouve un réduit qu’en Savoie on nomme la « souillarde » et qui sert de garde-manger. Je fais entrer la dame Carotier dans ce piège à rats puis je referme la lourde et mets le verrou.

— Soyez sage ! recommandé-je, je n’en aurai pas pour longtemps.

Je reviens dans la salle à manger. Je traîne une chaise derrière la porte et m’y installe avec mon revolver sur les genoux.

Le bruit du moteur a cessé. Le pas lourdingue du gros crisse sur le gravier. Il tapote ses lattes sur le perron, comme le font les bouseux, et il entre. Le panneau de la porte me masque à sa vue. Il fait quelques pas, d’un geste machinal, il repousse la lourde sans se retourner.

Le silence l’inquiète. Il demande :

— Tu es là ?

Il tient dans son dos sa grosse main gauche hérissée de poils blonds pareils à des poils de cochon.

Je lui chatouille le creux de la paluche avec le canon de mon composteur. Le froid de l’acier le fait sursauter. Il se retourne, nous aperçoit, Tu-Tue et moi, et il demeure béant, flasque, abruti par la stupeur.

— Alors, mon gros, murmuré-je, quel effet ça fait-il de buter sa frangine ?

Il ne sait que me regarder avec des yeux tellement gros qu’on dirait un bœuf. Un bœuf qu’un premier coup de masse n’a fait qu’étourdir.

— Qu’est-ce que vous faites là ? grogne-t-il. Foutez le camp !

En lui, l’esprit cul-terreux reprend l’avantage. Il se dit qu’il est dans sa maison, qu’il fait nuit et que je n’ai pas le droit de m’y trouver s’il ne veut pas.

Ça me file en renaud.

Je me dresse.

— Dis donc, espèce d’assassin du dimanche, faudrait voir à me parler poliment. Je ne suis pas une faible femme à qui tu peux tordre le cou comme à un pigeon, compris ?

La brutalité de l’image le cisaille. Il ouvre la bouche et je découvre sa grosse langue épaisse posée sur un lit de salive.

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