Le pouvoir de récupération de certains êtres — dont moi — n’a d’égale que la couennerie de certains autres — dont vous ! En quelques secondes je me réhabitue à la vie. Oubliant mes avatars, je reluque autour de moi… Un étrange silence, d’une ampleur terrifiante m’environne… Le moteur de l’avion s’est tu, englouti par les nues. Il n’y a dans mes feuilles que le léger sifflement de mon pébroque… Je me détranche un peu et j’aperçois Larieux à quelques mètres de là… Par un étrange fait du hasard, ma chute libre m’a amené dans son quartier… Une même dérive nous réunit…
Brusquement je pense que ce gars est dangereux quand on le fréquente de trop près ! Je me mets à gigoter comme si je voulais m’enfuir hors de son orbite ; mais une force mystérieuse me dirige dans sa direction.
Je me rappelle alors qu’on peut orienter la descente d’un parachute en tirant sur les ficelles. J’en cramponne deux à pleine pogne et je tire dessus. Le résultat ne se fait pas attendre. Très vite je me déroute de lui. Du reste j’approche du plancher. J’en suis à l’étage des frondaisons vertes, lignes à haute et basse tension, flèches de clocher, girouettes de manoir, etc.
Je m’arc-boute… Soudain, à l’approche de la terre, je prends conscience de ma vitesse. J’avais l’impression de flotter mollement, or, en réalité, la descente est rapidos… Je ressens une violente secousse dans les guiboles et je bascule en arrière. Il me semble que mes cannes me sont rentrées dans le baquet, comme les pieds à coulisse d’un trépied de photographe. Ce gland de parachute poussé par le vent me traîne sur le sol… J’ai beau me rebeller, il me trimballe les noix sur les gadins… Je songe à la charge d’explosif dont je suis lesté et mon tracsir me noue la gargante. Un choc malheureux et voyez le feu d’artifice ! C’est en pièces détachées que je monte au ciel. Les élus auront un jeu de puzzle en supplément !
À nouveau, je tire sur les ficelles. Je suis ma propre marionnette. La toile s’affaisse, pantelle et se met à palpiter dans un champ. Voilà, terminus ! Je dégrafe les sangles qui m’emprisonnent et je me remets à la verticale… J’y parviens après plusieurs tentatives. Il me semble que je viens de passer mes vacances dans un concasseur. Je suis vanné, moulu, disloqué… J’ai les guitares qui tremblotent telle de la gelée de groseille… Ma colonne vertébrale doit faire un nœud et je vous parie un enterrement sous la pluie contre un dimanche anglais que mon cou s’est dévissé et que j’ai la figure tournée du même côté que les meules.
Enfin, après quelques exercices d’assouplissement, je me sens mieux… Je roule mon parachute en boule et je le cache dans les broussailles. Le gars qui le dégauchira aura de quoi se faire confectionner une bonne douzaine de limaces.
Ayant souscrit aux exigences de la prudence, je me mets à la recherche de Larieux. J’ai beau sonder l’horizon en carrant ma paluche en visière devant mes lampions, je ne l’aperçois pas…
Je me trouve dans une région déserte. Des champs moutonnent à perte de vue, coupés çà et là de petits bois… J’écarquille les carreaux, mais ni au ciel, ni sur le sol, je ne repère mon co-équipier… Pourtant il est certainement arrivé à bon port… Occupé par mon atterrissage, je n’ai plus prêté attention à ses évolutions. Serait-il tombé entre les pattes d’un courant d’air perfide qui l’aurait embarqué bien plus loin ?
Je m’accroupis et m’empare de mon appareil radio. Je sors l’antenne et je me mets à jacter dans l’émetteur.
— Allô ! Larieux ! Vous m’entendez ?
J’attends un peu. Le récepteur reste muet comme une bouche d’égout. Je refais mon appel.
— Allô ! Allô ! Larieux ! m’entendez-vous ? Si oui, répondez…
Silence intégral. Peut-être que Larieux a cassé son propre appareil en touchant le sol ? Peut-être aussi est-ce son crâne qu’il a brisé ?
Je réfléchis : d’après mes calculs, il a dû se poser beaucoup plus à gauche que moi. Or, sur la gauche, à environ un kilomètre, il y a un bois. Il est fort possible que mon marchand de microbes ait atterri à cet endroit. C’est même probable, s’il s’était posé en terrain découvert, je repérerais la tache blanche de son parachute.
Je fonce donc en direction du bois. En quelques minutes je l’ai atteint et j’en entreprends l’exploration… Chose curieuse, tout en souhaitant vivement dénicher mon pote, je redoute de le faire de façon trop brutale. Vous ne voyez pas que je me trouve nez à nez avec lui ? Dites, ce serait une méchante blague, non ? Venir là pour se farcir une haute dose de virus, très peu pour moi, Mme Jules !
J’avance lentement, en biglant bien où je mets les lattes. Je préférerais marcher sur un congrès de serpents à sonnette plutôt que sur Larieux. De temps à autre je siffle dans mes dents… Mais le silence qui m’environne est épais comme les traits d’esprit d’un coiffeur. Je ne décèle que les craquements des branchages remués par la brise ou le vol ténébreux d’un oiseau de nuit sous les frondaisons. Bon Dieu, pourvu qu’il ne se soit pas brisé le cou ! Si près du but, ce serait rageant !
Je continue d’avancer au cœur du bois. Ça sent bon la terre humide et les feuillages pourris. Cette lourde senteur des forêts m’a toujours causé une tristesse indéfinissable.
Je me mets à gueuler :
— Larieux ! Larieux ! Vous êtes là !
Perdant toute prudence, je cours maintenant à travers les halliers, laissant des lambeaux de ma combinaison aux ronces.
— Laaaarieueeux !
Je t’en fous ! Il a atterri en Pologne, ce cornichon ! C’est pas possible… J’arpente le bois, en soufflant comme un phoque. Et soudain, comme je débouche dans une espèce de clairière pratiquée par les bûcherons, je décèle comme une plainte. Je m’arrête, réprimant mes halètements pour mieux tendre l’oreille.
— Larieux ! C’est vous ?
Un gémissement plus fort me répond… Je bombe en direction de la plainte. Je m’arrête encore… Cette fois je suis dans la bonne direction. Cent mètres plus loin, j’aperçois le parachute du gars au sommet d’un chêne séculaire… Larieux s’est embroché sur la cime de l’arbre…
— Vous êtes blessé ? lui crié-je…
Sa voix étouffée me répond.
— Non, mais je suis coincé dans mes cordages, pas moyen de me dégager…
Je grimpe à un arbre proche pour examiner la situation du plus près qu’il m’est permis. Je fais la grimace. L’enfant se présente mal ! Comme je vous l’ai dit, la toile du parachute couronne l’arbre. Pas moyen de l’extirper de là. Larieux pend, quelques mètres plus bas, ligoté par ses câbles après une branche.
— Essayez de tirer sur vos cordes !
— Je ne fais que ça depuis un quart d’heure, mais sans résultat. En tombant j’ai voulu m’accrocher aux branchages, je me suis retourné les bras dans le dos et maintenant je me trouve tout à fait coincé ; l’une des cordes a dû faire un tour mort autour de ma poitrine ; plus je tire dessus, plus ça me paralyse !
Je déballe une série de grossièretés que ma bonne éducation, jointe à celle de mon éditeur, m’empêche de reproduire ici. Vous avouerez que, comme manque de bol on ne fait pas mieux ! S’il s’agissait d’un être normal, il me faudrait cinq minutes pour le dégager ! Seulement, pour dégager Larieux, il est obligatoire que j’aille jusqu’à lui. Si je vais à lui, je le sors du pétrin, mais je me tape aussi ses virus, et ces bestioles-là, croyez-moi, c’est pas avec de l’onguent gris qu’on les traite !
Je redescends de mon perchoir et je me cramponne à la toiture à deux mains. Qu’est-ce que je pourrais bien essayer pour tirer Larieux de l’impasse ? J’ai beau invoquer Saint Louis, qui s’y connaissait pourtant en chêne, ma pile électronique refuse énergiquement de fonctionner. La situation est tellement critique que j’en ai des aigreurs dans le parc à huîtres ! Sapristi, je ne peux pourtant pas me faire la paire en laissant le gars Larieux dans ses ficelles ?
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