Frédéric Dard - La vérité en salade

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Le maquillage de la mémère se craquelle comme une terre trop cuite.
Elle a trois tours de perlouzes sur le goitre, deux suspensions avec éclairage indirect aux étiquettes et une dizaine de bagues qui la font scintiller comme l'autoroute de l'Ouest au soir d'un lundi de Pâques.
Figurez-vous que ce monticule aurifié et horrifiant s'envoie un jules de vingt… carats !
Seulement, ce petit téméraire vient de se faire allonger…, du moins tout le donne à penser…
« Fouette dents de scie », comme dit Bérurier, cet angliciste distingué !

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Le standing, c’est le bien le plus précieux des hommes. Plus ils ont une belle vitrine, plus ils sont prêts à toutes les saloperies pour lui conserver sa pompeuse apparence. La façade ! Ah ! Les belles façades bien peintes, bien briquées… Du berceau en bois précieux, au caveau de famille en marbre noir ! Un nom ! Des fringues ! Des bagnoles ! Du subjonctif ! Façades ! Décorations ! Honneurs ! Clubs ! Couenneries ! Réceptions ! Façades ! Façades ! Essayer de rendre durable ce qui l’est le moins ! L’or ! Les bonnes manières ! Les beaux papiers ! Les belles pierres ! Pour servir d’écrin à cette mesquine charogne qu’est un individu ! Façade ! La hiérarchie ! Le droit d’aînesse ! Le culte de la soie ! Le denier du culte ! Trente deniers (et j’y perds) ! Façade ! Coiffures de chez Antonio ! Canard au sang de La Tour d’Argent ! Reines de beauté ! Bravo Cadoricin ! Grandes premières en habit ! Petites dernières ! Balzac zéro, zéro, zéro, un !

Ce que le monde serait beau sans les hommes !

Vous imaginez, cette mélodie ! Cette grande paix ! Ce miracle ! Ce vrai soleil ?

Les arbres qui pourraient pousser sans crainte de devenir meuble ! Les taureaux se reproduire sans crainte de devenir bœuf ! L’or gésir sans crainte de devenir alliances ! Les fleurs embaumer sans crainte de devenir tombeaux !

— Puisque ce cadavre a disparu, observe la dame, en relourdant les portes cette fois, je peux considérer que je suis hors de cause, n’est-ce pas ?

— C’est beaucoup dire. N’oublions pas que vous avez vu le mort chez vous !

La voilà qui reprend du poil de la bête ! Elle regrette de m’avoir abordé. Elle se dit qu’elle a été mal inspirée. Une bonne âme anonyme est venue la débarrasser du cadavre… Maintenant, M. Ponce Pilate se lave les pognes. Il ne lui reste plus qu’à dégauchir un nouvel étudiant, bien tendre, bien famélique… Un adolescent qu’elle pourra élever à la cuillère et à qui elle apprendra à dominer sa répulsion. Après tout, ça doit avoir son charme de faire l’amour dans un sarcophage. Au lieu d’avoir une petite môme, le gars aura une momie ! Et après ! Il n’y a que dans les collections rose tendre que les jeunes gens courtisent des jeunes filles vierges comme des tambours qui attendent sagement le mariage pour virer leur cuti !

Dans la vie, c’est pas pareil ! Où serait le charme ? Y aurait jamais d’histoire, alors ! Parce qu’enfin le bonheur, qu’est-ce que c’est ? Du blanc sur du blanc… C’est pour ça qu’on ne le voit jamais. Tandis que la réalité s’écrit avec de la boue ! Ce sont les fosses d’aisance qui servent d’encrier !

Un soleil miraculeux joue sur les pelouses (l’image est faible, mais je l’écris pour un de mes amis qui habite rue de la Convention).

J’arrête Mme Bisemont.

— Vous êtes arrivée ici en voiture, naturellement ?

— Non !

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas conduire. Il m’est impossible de me faire amener ici par mon chauffeur, vous savez combien ces gens sont indiscrets.

— On devrait les fusiller ! admets-je.

« Alors, vous prenez le bus ?

— Oui… Quelquefois un taxi… Mais je n’aime pas me faire remarquer…

— Et votre amant, il venait comment ?

— Par le bus aussi…

— Il doit bien y avoir un jardinier chargé de l’entretien du parc ?

— Oui, mais il ne travaille ici que pendant ses week-ends…

Je regarde l’allée qui mène au perron… Puis les abords du portail. Je n’y découvre pas de traces de pneus. Et pourtant il a plu ces derniers jours, et le sol est détrempé. Comment diantre a-t-on coltiné le corps du jeune homme ?

Quelle bouteille à encre !

Mme Bisemont prend place à mes côtés dans mon véhicule à essence.

— Donnez-moi le nom et l’adresse de votre amant.

Elle balbutie :

— Est-ce bien indispensable ?

Elle s’est complètement reprise, la vieille morue ! La voilà rebranchée sur ses réceptions mondaines, son salon Louis XV, son pédicure chinois, son masseur et son œuvre de bienfaisance, avec grande kermesse annuelle sous la présidence de M. le chanoine Ipso-Facto…

— C’est indispensable, madame Bisemont.

— Il s’appelait Hervé Suquet… 41, rue de Verneuil…

— Et votre adresse à vous-même ?

— 97, rue de la Pompe…

— Comment se fait-il qu’après avoir découvert le cadavre vous soyez allée sur les Champs-Élysées au lieu de rentrer chez vous ?

— J’étais comme une âme en peine…

Je pilote rapidos. J’ai hâte maintenant de larguer la mémère afin de pouvoir étudier sa petite affaire d’un peu plus près.

— Je vous dépose chez vous ?

— Laissez-moi avenue Victor-Hugo…

« Qu’allez-vous faire, monsieur le commissaire ?

— Tirer cette affaire au clair.

— Vous me tiendrez au courant ?

— Comptez sur moi.

— Quelle attitude dois-je adopter ? gazouille-t-elle.

Je hausse les épaules.

— Attendez ! Jusqu’à plus ample informé, vous êtes la seule personne qui prétende que M. Suquet soit mort !

Je déballe mon tas d’or à l’endroit indiqué, et, sans hésiter un dixième de seconde, je mets le cap sur la rue de Verneuil.

CHAPITRE III

Dans lequel j’ai plutôt tendance à me fier aux apparences

Immeuble vieux et typiquement rive gauche !

La concierge s’appuie sur un balai et raconte à une dame du voisinage l’opération de son petit chat, histoire tragique en deux époques et une ablation définitive ! J’interromps la narration, toujours humiliante à entendre pour un homme envers qui la nature s’est montrée généreuse.

— M. Suquet, s’il vous plaît ?

— Au quatrième gauche…

— Il est chez lui ?

La maîtresse de balai me décoche un regard qui vous ferait passer le hoquet.

— Est-ce que je sais, avec un type comme ça… Des fois il reste couché toute la journée, d’autres fois il part avant que j’aie sorti mes poubelles !

Ne voulant pas perturber davantage la vie intérieure de Mme Ducordon, je me farcis quatre tranches d’escadrins en remerciant le ciel de m’avoir pourvu de deux jambes en parfait état, mais en déplorant, néanmoins, que Roux-Combaluzier n’ait pas pourvu l’immeuble d’une de ces cages d’acier qu’on envoie en l’air avec le doigt.

Parvenu au quatrième gauche, j’actionne le pied-de-biche. C’est un vrai pied-de-biche. La porte est couverte d’inscriptions à la craie, style « Ne dérangez pas le locataire, il en écrase », et autres facéties estudiantines du même tonneau. M’est avis que le petit Suquet devait mener la joyeuse vie. Il allait gagner son pain dans le pageot de Mme Bisemont, mais ensuite il devait le briffer en joyeuse compagnie.

Un petit coup de sésame et la porte s’ouvre.

Oh ! mes aïeux, cette casba ! C’est un grenier blanchi à la chaux, assez vaste, d’ailleurs, où règne un désordre indescriptible. Les ouatères sont sur le palier, l’eau potable itou…

Deux divans recouverts de couvertures flamboyantes, des guitares sans cordes aux murs, ainsi que des tas de c…ries. Des caisses à savon peintes de toutes les couleurs, vous mordez un peu le topo ? Le petit gigolo devait tout de même apprécier la belle baraque de Malmaison. Ça l’aidait sûrement à se forcer, ce pauvre chérubin ! Quand il gravissait le perron des Bisemont et qu’il traversait le hall somptueux, il éprouvait des picotements dans le satellite. La richesse des autres est un doping puissant ! Son grenier n’amusait que les copains. C’était une attraction. On ne vit pas à son aise sur la scène d’un music-hall. Il cachait l’indigence des lieux avec des blagues. Par exemple, au plafond, juste au-dessus du large divan, il y a une inscription : « Le patron n’épouse pas » !

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