Frédéric Dard - Berceuse pour Bérurier

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Je file un coup de périscope hors de ma tire et j'avise une Aronde qui se pointe à ma hauteur. L'espace d'une seconde, je me dis qu'il s'agit peut-être d'un coup fourré organisé par des malfrats qui en voudraient à mes os préférés, mais je décide que des truands ne klaxonneraient pas pour se signaler à mon attention et que, d'autre part, ils ne rouleraient pas dans une Aronde. Alors je lève le pied…

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Sa mémoire lui joue un petit tour. C’est l’âge et le muscadet. Il se rappelle plus très bien ce que je lui ai seriné. Il a peur de faire un pas de clerc. Et il a raison d’hésiter. Ça revient.

— Pendant l’asphyxie vous étiez dans la salle de bains. Vous restiez devant la fenêtre ouverte. Quand la fille a été morte vous avez fermé le gaz et vous êtes allé à l’Alcazar. Puis vous êtes revenu, vous avez rouvert les robinets et vous êtes retourné dans la salle de bains en faisant couler l’eau par terre pour combler l’interstice sous la porte , et vous tenir ainsi à l’abri du gaz. Quand les flics ont sonné à la porte, vous êtes allé vous étendre près de la fille en avalant tout ce que vous pouviez de gaz pour vous intoxiquer un brin.

« Bon, voilà. Tout ça pour vous dire que je ne vous bluffe pas. J’attends vos propositions.

Cette fois, Landowski se décide à l’ouvrir.

— Quelle proposition ? demande-t-il d’une voix suave.

Pinaud hoche la tête, bon enfant.

— J’ai des goûts modestes et des besoins raisonnables. Je préfère vous laisser faire une offre. Si elle est trop basse, j’essaierai d’avoir mieux du côté de la famille…

— Vous ne m’avez pas regardé…

Et c’est vrai. Pinaud ne regarde jamais ses interlocuteurs. Ses yeux innocents vagabondent dans la pièce pendant qu’il parle ou qu’on lui parle.

Lando, d’une voix étrangement doucereuse et persuasive, répète :

— Voyons, regardez-moi, et vous comprendrez…

Pinaud, pas contrariant, le regarde. Et voilà que, tout à coup, il cesse de battre des paupières. Son regard reste planté dans celui de Lando. Jamais le père Pinocchio n’a soutenu ainsi les mirettes d’un zig. D’ordinaire ses lampions font bravo au bout d’une seconde deux dixièmes. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Eh bien, les gars, ça veut dire que j’ai vu juste. Mais n’anticipons pas.

Landowski parle. Son ton est bas, les syllabes traînent, interminablement.

— Vous ne savez rien, dit-il. Riiiien… Vous avez rêvé…

Pinuche est immobile, figé. L’autre continue la séance.

— Vous avez inventé tout cela. Vous êtes sale de vos péchés ! Oh ! comme vous êtes sale ! Comme vous êtes sale !

Et le miracle s’accomplit. Pinuche sort son pauvre mouchoir, les yeux toujours rivés à ceux de Landowski.

Avec des gestes lents et gourds de somnambule, il le frotte sur son pauvre visage fripé, ce qui ne le rend pas propre, bien au contraire.

— Oh ! non… Non ! fait lentement Landowski. C’est inutile… Seule l’eau de la Seine peut vous nettoyer. Il y a de la belle eau, dans la Seine. De la belle eau pure, limpide, chaude, douce… Douce comme une peau de femme. Vous allez y aller. Vous plongerez dedans… Vous fermerez les yeux et vous resterez immobile, l’eau vous lavera… Vous lavera… Vous lavera… Vous serez propre… Propre… Vous resplendirez ! Votre peau aura un éclat merveilleux… Il faut y aller. Allez dans la Seine ! Allez-y vite !

Le gars Pinuche se dresse. On dirait un automate. Il fait un demi-tour à l’allemande et se dirige vers la porte. C’est le moment d’intervenir.

— Pinaud ! je meugle. Arrête, eh, patate, cet enviandé vient de t’hypnotiser…

En me reconnaissant, Landowski blêmit. Il tente de sauter de son lit, mais son menton, comme par hasard, arrive juste sur mon poing droit qui se précipitait à sa rencontre.

Il part à la renverse. Je le relève avec la main gauche. Je lui ajuste deux parpaings d’un quintal chacun sur la bouille et il est endormi à son tour.

Vite, je me lance sur les talons de Pinaud. Car Pinaud ne s’est pas arrêté. Il arrive au bout du couloir, et j’ai beau hurler à la garde, il continue de filer. Des infirmiers radinent. Je leur montre le Pinuchet.

— Faites vite ! Ceinturez-le, il va se flanquer à la Seine !

Les gars s’empressent. Moi je rentre dans la piaule afin d’avoir une petite conversation avec Landowski.

CHAPITRE XII

Et dernier. Dans lequel j’ouvre les yeux à ceux qui auraient également reçu la visite du marchand de sable

— Bien mijoté, mon gars Lando, mais j’ai été plus fortiche que toi, tu m’excuseras. Où tu as dépassé la mesure, c’est en faisant défenestrer le vieux, à Londres. Ça, c’est du crime plus que parfait. Chapeau !

Il sourit. J’évite son regard parce que je n’ai pas envie qu’il m’arrive un turbin. Mais comme je suis un loyal, je ne puis m’empêcher de bigler mes interlocuteurs, or chaque fois que mes yeux rencontrent les siens, je ressens comme une petite décharge électrique.

— C’est au contact de Petit Marcel que tu t’es rendu compte de ton pouvoir hypnotique, je parie ?

— En effet.

— Lui, ça n’est qu’un brave bougre de charlatan, tandis que chez toi, pas d’erreur, le don y est ! J’assistais à la séance d’hier. Mon collègue, le Gros, il n’arrivait pas à se laisser opérer par Petit Marcel : c’est un sceptique. Et il était monté sur scène pour ouvrir grand les yeux, pas pour les fermer. Alors Petit Marcel a fait appel à toi, mine de rien, parce que dans les urgences, c’est toi qui intervenais. O.K. ?

— O.K. !

— Tu devais en crever de voir le nom de ton maître sur les affiches et sa photo dans le programme, d’entendre le public l’applaudir alors que c’était toi le crack. Non ?

— Un peu.

— Alors, un jour, tu as trouvé l’ouverture en la personne du vieux marchand de nouilles. Une proie facile, hein ? Tu t’es occupé de lui et tu en as fait ta chose… Tu lui as dicté de se barrer avec les diams et de te les remettre. Puis tu l’as envoyé à Londres parce que ton patron s’y rendait et que tu voulais lui faire porter le chapeau. Une fois à Londres, le subconscient de Céleste bien démonté l’a poussé à appeler Zobedenib à son hôtel où tu savais qu’il descendait. Il l’a convoqué. L’autre y est allé. Il lui a remis un bijou, toujours obéissant secrètement aux instructions dont tu avais pénétré son moi second…

Sourire de Lando.

— Puis il s’est foutu par la fenêtre.

— Il faudrait pouvoir prouver tout cela, commissaire, dit cette carne. Vous risquez fort de vous faire ficher de vous en soutenant une pareille thèse devant un tribunal. La justice est bien trop positive pour croire au surnaturel.

— En tout cas, le pipelet de l’Alcazar, c’est pas son subconscient qui l’a buté.

Il reste impavide.

— Ce qui s’est passé, je vais te le dire. Hier, après la séance, tandis que Petit Marcel signait des autographes dans le salon réservé aux admirateurs, tu as découvert mon inspecteur dans la loge de ton patron. Tu l’as endormi, comme tu as endormi mon autre gars à l’instant, et tu l’as flanqué sous le divan. Tu étais talonné par le temps. Si Petit Marcel le découvrait, il allait avoir la puce à l’oreille. Si, d’autre part, mon gars reprenait ses esprits, il allait se rappeler que tu l’avais endormi. Alors, pour tout arranger, toi, tu allais venir tard dans la nuit, et embarquer mon type ailleurs, le pousser au suicide, peut-être, suivant ta bonne habitude ? Seulement, si les hommes ne te résistent pas, les serrures, elles, se laissent moins bien convaincre. Tu as attendu dehors la sortie de Zobedenib. Il posait la clé de sa loge sur la tablette. Tu as pris cette clé. Tu as fixé le numéro qui était joint après une autre clé que tu avais sur toi et tu t’es barré. Mais quand tu es revenu, c’était trop tard, y avait du poulet dans le secteur et on avait retrouvé mon gros pote.

« Les choses se sont déroulées comme tu sais. Mais un truc te tracassait : la clé à toi qui se trouvait accrochée dans la loge du concierge. D’un moment à l’autre on allait s’apercevoir qu’il ne s’agissait pas de la bonne. Ça allait nous donner à réfléchir et si l’enquête faisait découvrir qu’il s’agissait d’une clé t’appartenant, tu étais bonnard.

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