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Frédéric Dard: En avant la moujik

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Frédéric Dard En avant la moujik

En avant la moujik: краткое содержание, описание и аннотация

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Je connais plusieurs centaines de milliers de femmes qui vont avoir un sérieux pincement au cœur en lisant les premières lignes de cette histoire : imaginez un peu, mes belles, le beau, l'unique, celui qui vous fait tourner les têtes, le commissaire San-Antonio vient de se marier ! Et pour mettre un comble à votre désappointement, sachez que sa légitime n'est autre que la fille d'un célèbre savant russe… Mais sachez aussi qu'elle pèse deux cents livres et qu'à côté d'elle Berthe Bérurier est une starlette d'Hollywood ! Rassurez-vous, il y a gros à parier qu'avant la fin de ce chef-d'œuvre, le magnifique Commissaire sera de nouveau disponible… En attendant, il a fallu passer une sacrée nuit de noces ! Heureusement que Bérurier ne sait rien refuser à son supérieur ! Heureusement que rien ne le rebute… Et après tout…, dans le noir…

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Il n’apprécie guère ma boutade. Un léger rictus tord sensiblement ses lèvres bien dessinées.

— Allons dehors, fait-il en se dirigeant vers la porte vitrée donnant sur une venelle, à l’arrière de l’hostellerie.

— Allez-y tout seul, mon vieux, réponds-je en retournant à l’escalier. J’oubliais de vous dire que je ne reçois que sur rendez-vous.

Il s’arrête, mécontent. Puis il sort simultanément ses deux paluches de ses fouilles. Dans la droite il tient un revolver dont, à cause de la pénombre, je ne distingue pas la marque. Dans la gauche il a un silencieux. D’un mouvement précis et prompt, il visse le second sur le premier. L’ensemble de l’opération ne lui a pas demandé plus de quatre secondes. Ce laps de temps m’a suffi pour réfléchir et faire deux constatations assez déprimantes : je suis désarmé, et cet homme est un tueur. Ses gestes comme son outillage ne trompent pas. Mon visiteur du soir doit avoir du monde à son palmarès. Exactement le genre de petit maniaque auquel la Compagnie des « Pompes Funèbres Générales » envoie son calendrier de fin d’année ainsi que ses vœux de « bonne continuation ».

— Sortons, répète-t-il froidement, en me braquant à la cow-boy, le feu appuyé contre sa hanche.

Je hoche la tête.

— Après tout, pourquoi pas ? dis-je. Un bol d’air avant le dodo n’a jamais fait de mal à personne.

Il ouvre la porte d’un geste automatique, en coulant sa main libre derrière son dos, puis il s’écarte pour me laisser passer. En voilà un, mes poulettes, pour le feinter, doit falloir se lever de très bonne heure.

Puisque vous connaissez si bien le Grand Cerf de Comte-Harbourg, vous devez vous rappeler la ruelle de derrière, celle par laquelle vous vous êtes débiné comme un malpropre, la fois où vous avez vu rappliquer votre femme et son amant. Elle borde l’auberge, puis les jardins de l’auberge. En face, c’est la rivière avec ses saules inconsolables.

Il fait un clair de lune à ridiculiser les vers luisants. Grâce à lui j’aperçois une grosse bagnole américaine stationnée dans une zone d’ombre.

— Montez à l’arrière ! m’enjoint le blondinet à pétoire.

Faudrait se rebeller, j’sais bien, d’autant plus que je déteste la passivité. Seulement quand on est en manches de chemise et qu’un monsieur décidé vous tient en joue avec un flingue à semelles de feutre, on doit maîtriser ses impatiences, rengainer ses mouvements d’humeur et méditer à propos de son avenir. En s’ouvrant, la portière actionne les loupiotes intérieures de la chignole. Je découvre un monsieur assis sur la banquette arrière. Un presque vieillard, fluet, ridé, pourvu d’un nez crochu que chevauchent des lunettes identiques à celles de son compagnon. Lui aussi est vêtu de sombre et porte un chapeau noir à large bord. Je ne sais pourquoi, je l’imagine chauve sous son grand bada.

Il fume un long cigare sombre, mince comme une cigarette dont l’âcre fumée emplit tout l’intérieur du véhicule.

— Navré de vous déranger aussi cavalièrement, commissaire San-Antonio, me dit-il d’une voix assez affable où perce un accent mal défini ; rassurez-vous, ce ne sera pas long.

— À qui ai-je l’honneur ?

Il laisse chuter la cendre de son cigare sur son revers qui se met à ressembler à l’âtre d’une cheminée éteinte.

— Samuel, répond le passager de l’auto.

— Samuel qui ?

— Samuel rien. Ça ne vous suffit donc pas ?

Je m’abstiens de répondre. Le jeune blond est venu s’agenouiller sur le siège avant, son flingue toujours braqué sur moi. Il a laissé la portière entrouverte de son côté afin d’être prêt à bondir, le cas échéant.

Résigné, j’attends la suite des événements, en songeant que cet intermède inattendu retarde l’instant fatidique qui devrait faire de Natacha ma femme au sens biblique du terme.

— Nous n’avons que très peu de choses à vous dire, commissaire San-Antonio, mais il fallait qu’elles fussent dites sans retard.

Il tète son cigare, s’avise qu’il vient de s’éteindre et enfonce la touche ronde de l’allume-cigares situé à l’arrière de la voiture, dans l’accoudoir central.

— Nous savons, reprend-il que vous venez de contracter un faux mariage avec la fille du professeur Boris Bofstrogonoff.

Le Vieux m’ayant appris à nier l’évidence, je me fends d’un vertueux « Que me chantez-vous là ? » qui ne convaincrait même pas un arriéré mental. Mon interlocuteur ne se donne pas la peine de m’en accuser déception.

— Demain vous partez pour Moscou, poursuit-il. Il est probable qu’une fois là-bas, vous aurez l’occasion de pénétrer en des lieux qui nous sont inaccessibles.

Je le coupe :

— Qu’entendez-vous par « nous », monsieur Samuel ?

— Par « nous », j’entends « nous », et rien d’autre, répond le grincheux.

Il rallume son cigare à la pastille incandescente de l’allumeur.

— Notez, reprend-il, que nous nous faisons peut-être des illusions, vous et nous, et que votre qualité de gendre ne vous ouvrira pas pour autant les portes interdites. Mais vous avez raison, c’était une chance à risquer. Au cas où les choses confirmeraient vos espoirs, je tiens à vous avertir, commissaire San-Antonio, que vous devrez obéir point par point aux directives que nous vous donnerons sur place.

J’en reste comme deux ronds de flan, mes fils.

« Ton impudence, téméraire vieillard, aura son châtiment », qu’il disait, Don Gormas, en virgulant une mandale au daron du Cid.

C’est bien le comportement que j’adopterais si je n’avais le respect de ses cheveux blancs d’abord (après tout il n’est peut-être pas chauve), et du revolver pointé sur ma vaillante poitrine ensuite.

— Quel genre de directives ? je demande en m’efforçai de prendre un ton désinvolte, manière de masquer mon désarroi.

— Vous le verrez bien ! Je m’empresse d’ajouter qu’elles ne seront pas en contradiction avec la mission dont vous êtes chargé, commissaire San-Antonio. Disons que nous vous emploierons comme extra, à la pige, si je puis dire.

C’en est trop.

— Et vous vous figurez que je vais obéir comme un foutou ! tonné-je. Ah, ça, monsieur Samuel, me prenez-vous pour un paillasson sur lequel n’importe qui peut se décrotter les pieds ?

Il ouvre la bouche comme font les carpes pour larguer un chapelet de bulles. Seulement lui, ce sont des ronds de fumée qu’il expire. Ils flottent un instant comme les anneaux olympiques dans la bagnole avant de s’évacuer par la portière entrebâillée.

— Je vous prends pour un homme, commissaire San-Antonio. Pour un homme courageux, téméraire même. Pour un homme intelligent, subtil, prêt à toutes les audaces… mais pour un homme ; avec tout ce que la chose implique également de faiblesse, de doutes, de craintes et d’abandon. Lorsque vous serez là-bas, vous comprendrez que vous devez nous obéir aveuglément. Cette perspective qui vous fait bondir ici vous semblera naturelle, je vous le prédis. Si je vous annonce l’événement avant votre départ, c’est uniquement pour éviter les errements, les tâtonnements, les hésitations. À Moscou quelqu’un vous contactera, sans doute à un moment qui vous paraîtra inopportun. Ce quelqu’un vous dira simplement ceci : « Hélas ! voici que nous devons embrasser le contraire de la vérité, ce n’est qu’à présent que l’erreur devient mensonge… » Vous vous le rappellerez ?

— Aphorisme de Nietzsche, ricané-je. On fait dans la philosophie, chez vous ?

— Il est agréable de travailler avec un garçon cultivé, soupire le dénommé Samuel. Eh bien, je pense que c’est à peu près tout ce que j’avais à vous dire, commissaire San-Antonio. J’ajoute que, dès l’instant qu’on vous aura donné ce mot de passe, vous n’aurez plus qu’à obéir. Plus vous serez docile, mieux vous vous en trouverez.

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