À mon tour, now. Le plus musculeux des deux compères me cloue au mur avec sa torche électrique. Il me presse si fortement contre mon poitrail valeureux que je ne peux plus respirer. D’un geste preste, il me palpe, déniche le feu du père Black et l’enfouille.
— Hé, attendez, bredouille Black, pris entre sa peur du futur et le côté péremptoire du présent.
Les deux gros monstres ne l’écoutent même pas. Black se demande s’il doit insister, mais il se rend compte (et moi avec lui) que ce serait vain ; la formelle accusation de sa femme ; la manière qu’il est détrempé et le plumard inondé ; les morceaux de cordon épars ; les fils électriques noués au lit de cuivre ; le revolver trouvé sur moi sont autant de témoignages accablants pour nous. Essayer de nous blanchir entraînerait le gros cornard dans des complications sans fin.
— Passe-leur les poucettes, Billy ! ordonne le mec qui me cloue contre la cloison au moyen de sa lampe de ceinturon.
— Mais que se passe-t-il ? s’écrie une voix juvénile.
Miss Julia rentre de sa randonnée à moto. Elle a les cheveux décoiffés et le bout du nez rouge. Les deux matuches se tournent vers l’arrivante. Ils s’apprêtent à lui demander qui elle est, Barbara à le leur dire et Julia à répéter sa question. Black s’apprête à attendre la suite des événements et Bérurier, retrouvé, la lui fournit obligeamment.
Sacré Gros. On ne le changera jamais.
D’ailleurs à quoi bon ?
Depuis le plancher où il vautre [24] Note pour l’imprimeur : J’ai bien dit : « Il vautre » et non « Il se vautre ». Vautrer a beau être un verbe réfléchi, moi je l’utilise sans réfléchir.
, ce courageux citoyen de la France bien-aimée file un terrifiant coup de saton dans les testicules de son assommeur. Franchement, pour un homme sur le dos, la détente est impressionnante. À preuve, celui qui en hérite tombe tout de suite à genoux pour remettre en question son dîner.
Aussitôt, mon agresseur me désagresse afin de tirer son feu. L’espace d’un éclair (excusez, mais j’ai pas le temps de chercher une comparaison plus travaillée) je me dis que si je n’interviens pas, il va balancer la fumée à l’ami Béru.
Aussi agis-je (c’est facile à lire, mais dur à prononcer). À la boule briochée, je l’entreprends. Une féroce plongée de bélier dans le placard du flic. Le cop écope et s’affale par-dessus son pote. Il se présente à portée de manchette d’Alexandre-Benoît, lequel se fait un devoir d’assaisonner ces bons messieurs du tranchant de la main. Tiac ! Tiac ! Leurs pommes d’Adam en prennent un vieux coup. Il est poly-glottes [25] Parfaitement, je veux « poly-glottes » et non « polyglotte ». Il y va de mes intentions profondes. Ma pensée est en marche, j’interdis qu’on lui fasse des croque-en-jambes.
, mon cher A.B.
Groggy, les bourdilles ricains. Les poumons pleins de vide. La gorge bloquée. Le faciès couleur d’améthyste. Le regard en orifice de serrure moyenâgeuse.
— Dedieu, soupiré-je, cette fois, c’est la grande mouscaille, Gros.
Bérurier se relève en massant le tranchant de sa chère main dévastatrice.
— Des enviandés pareils, qu’est-ce tu voudrais que j’te dise ? objecte-t-il péremptoirement.
Le geste auguste d’assommeur, il le conserve, croyez bien. Cette mandale qu’il allonge à la Barbara, mes frères ! Elle en traverse toute la chambre, la pétasse au gros Blacky. Naturellement, son vieux radine à la rescousse. Les bonshommes, inutile de vous faire un croqueton, vous en avez déjà vu, je suppose ? Au plus ils sont cocus, au moins ils permettent qu’on houspille leurs poufiasses. Intraitables sur le chapitre du respect dû au paillasson qu’ils se trimbalent. Ninette les coiffe d’une paire de cornes qui les empêcherait de passer par la grande lourde de Notre-Dame, mais ils exigent qu’on soye infiniment galant avec elle. Comme s’ils espéraient lui faire restituer à coups d’hommages déférents la vertu qu’elle a carbonisée à coups de zizi-panpan. Black, il a vu vergeter sa bonne femme avec brio, mais il n’a pas de rancune. Il veut bien qu’on la lui brosse, par contre il interdit qu’on la lui gifle.
Il se jette sur Grasdube.
Nouvelle empoignade.
De courte durée car moi vous me connaissez ? Lorsque je décide d’en terminer avec un énergumène, je n’y vais ni de main morte, ni par quatre chemins, comme l’écrivait si joliment Georges Claudel dans son ode au maréchal Pégaulle [26] Ça, c’est simplement, si par hasard se trouvaient des fins lettrés dans le tas.
.
Ce qu’on peut s’administrer comme torgnoles dans cette étonnante histoire ! Avec la torche électrique du matuche, que j’estoque Black.
Elle tombe pile cette lampe (si je peux me permettre). Pour Black, c’est le black-out complet.
Et de quatre.
Ne reste plus de valide, nous deux exceptés, que la môme Julia.
J’aime assez son attitude.
— En somme, demande-t-elle, ça consiste en quoi ?
— Erreur judiciaire, lui résumé-je brièvement, en surveillant les cops pour gaffer qu’ils ne reviennent pas trop vite de leur erreur.
M’est avis que les événements se sont drôlement précipités au cours des dernières minutes. Je fais part à Béru de mes sinistres pensées.
— Calamitas ! soupiré-je. Il va falloir ligoter tous ces bonnes gens et les placarder dans cette piaule. N’empêche qu’à la maison Poupoule, les copains de service vont s’inquiéter de ne pas voir revenir leurs collègues. Ils enverront une caravane de secours, si bien que dans moins d’une heure on aura tous les perdreaux de Floride aux miches.
— Ben, c’était ton rêve depuis le début, non ? ronchonne le Mozart du passage à tabac. Tu contristais de pas voir foncer les bourdilles au moment du kidnappinge, eh ben c’te fois, on les a, mon pote ! Et pour se tirer les plumes de cette chaudière sans les mouiller, faudra que notre ange gardien ménage pas les siennes, moi je te le dis. En attendant, je vas toujours ficeler la petite pucelle ci-jointe, pas qu’elle nous joue le grand air de mes fils tôt à son tour ?
— Attends !
— Quoi ?
— Occupe-toi de tes chers administrés pendant que je vais bavarder avec mademoiselle.
Béru a la réflexion du siècle, les gars.
Alors que je lui demande de neutraliser quatre personnes, dont deux vilains poulets bourrés d’armes, il murmure en me désignant Julia :
— Fais gaffe à toi, Sana ; les gerces sont si perfides !
— Vous savez que vous me plaisez follement ? murmure Julia, tandis que dans l’écouteur annexe plaqué à mon oreille, une sonnerie d’appel bourdonne à petites stridences cérémonieuses.
Je lui souris.
Elle ajoute.
— Vous venez d’estourbir ma famille et une paire de flics, pourtant, malgré tout, j’ai confiance. C’est dû à quoi, selon vous, à votre charme ?
— Il faudrait qu’il fût bien grand, réponds-je. Je pense simplement que votre instinct féminin vous assure que, malgré les apparences, je suis un garçon honnête.
À l’autre bout, on décroche. Une voix ronchonne affirme « qu’on écoute », d’un ton qui vous ôte l’envie de parler.
Je fais signe à la gosse. Elle a du cran, Julia. C’est pas le genre de petite pétroleuse qui se laisse démonter par un froncement de sourcils.
— Allô ! fait-elle très doucement, ainsi que nous en sommes convenus (je cause impec, hein ?), je voudrais parler à M. Farragus. Vite, je vous prie.
Le correspondant, on dirait que ça lui fait le coup du radeau, cette requête nocturne : il est médusé.
— Comment ça, M. Farragus ? rechigne-t-il. Je… Il… D’abord c’est de la part de qui ?
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