Il me répond que je suis un tas d’excréments nauséabonds et que je peux aller me faire sodomiser, ce qui procède d’une même démarche de la pensée sans doute, mais me paraît toutefois d’une réalisation délicate.
Un nouveau seau d’eau ne fait qu’accroître sa rogne. Il se contente de fermer les yeux et la bouche au moment où je le lui téléphone, pour les rouvrir aussitôt après, plus frénétique que jamais.
— Bon, à nous deux ! tonitrue Bérurier en déboulant. J’ai un compte à régler avec c’t’ouistiti.
— Après moi s’il en reste ! protesté-je. Je tiens à bavarder avec ce brave Black.
— C’est pour le faire causer que tu l’arroses ? fustige mon ami. Tu le prends pour une plante grimpante, ou quoi ? Si tu tiens à le dorloter, souate, mais si t’es pressé, faudrait p’t’être trouver mieux dans ta boîte à gamberge.
Tout en me blâmant, il s’active.
Et savez-vous ce qu’il maquille, le bon génie poulardier ? Il arrache le fil électrique de la lampe de chevet.
Le détortille sur une dizaine de centimètres.
Dénude les deux brins.
Les entortille aux barreaux de cuivre du plumard.
Ingénieux, non ? Il a tout de suite remarqué que le vigile avait les mains liées aux barreaux.
Accroupi, Pépère cherche la prise le long du mur.
— Surtout, lâche la rampe, hein, Sana ! recommande-t-il. Qu’autrement sinon tu morfles une giclette de sauce dans les pognes.
Il vise bien les deux trous de la prise et, à plusieurs… reprises, très vite, il y engage les dents de la fiche.
Black hurle comme un damné.
— C’t’un douillet, annonce Alexandre-Benoît. Tu te rends compte que je viens à peine de le taquiner. Fais-y observer ce que ça sera lorsque je prendrai le temps d’aller faire rebelote à sa gonzesse avant de débrancher.
Il rit et renouvelle l’opération, par jeu. Il est d’humeur blagueuse, cette nuit, mon compère. Les beuglements du garde-fric le font pouffer. Un rien l’amuse. Il a le côté farces et attrapes pour fin de banquet.
— Ça va comme ça ? demandé-je à Black.
— O.K. ! nasille l’interpellé.
— Alors, vieux, racontez-moi simplement ce qui s’est passé chez Farragus, l’autre après-midi, après qu’on vous eut endormi.
Il est agité de frissons et tarde à répondre.
— Allons, encouragé-je, ayez un bon mouvement, ensuite on vous foutra la peace.
Motus ! La carpe !
Je déteste les obstinés. Je n’ai pas la patience de mon saint patron. Saint Antoine de Padoue aussi usait d’un pseudonyme. Lui aussi prêchait pour des poissons.
Remarquez, moi, ce serait plutôt (il vaut mieux plutôt que Plutarque) à des nœuds-volants que je m’adresse.
Ils accourent par centaines de milliers et m’écoutent pérorer en ouvrant de grands yeux sidérés, sidéraux, sidérants. Des fois, je me dis que j’aurais meilleur compte d’apostropher des moules, elles ont le regard plus compréhensif.
Une petite exclamation trouble ma morosité. La mère Black, les jambes et les yeux cernés, est là qui nous contemple.
— Qu’est-ce que vous lui faites ? demande-t-elle.
— Salope ! lui lance son mari.
— Rien de bien grave, réponds-je en différé, vous pouvez constater que ce gros sagouin a conservé son tonus. Surtout ne vous inquiétez pas pour lui.
Là-dessus, Béru rebranche la prise. Le vigile égosille.
— Il exagère, affirme A.B.B., c’est que du 110.
Cette fois, Black jure qu’il va parler.
Et il parle. Très vite, comme pressé d’en terminer. Sur un ton bougon, ça oui, mais audible cependant.
Donc, il a été vaporisé par Pinuche et s’est endormi. Quand il est revenu à lui, Maud, l’infirmière, lui faisait respirer de l’ammoniaque. Le personnel de la « Résidence » avait déjà repris connaissance. En apprenant le kidnapping de Pearl, il a voulu alerter la police. Les gens de la maison l’en ont dissuadé prétextant que M. Farragus était prévenu et qu’il exigeait le silence absolu. Comme preuve de ce qu’ils avançaient, ils ont rappelé le milliardaire qui lui a aussitôt confirmé la chose par téléphone.
— Vous êtes certain qu’il s’agissait bien de Farragus, vieux ?
— Absolument certain, je connais sa voix.
— Ensuite ?
— On m’a demandé qui vous étiez et comment je vous avais connu. Je leur ai tout raconté.
— Qu’ont-ils dit ?
— Ils sont allés discuter et m’ont prié d’attendre au salon en buvant un verre ou deux. Moins d’une heure plus tard, des types sont arrivés, genre chinois, si vous voyez ce que je veux dire ?
— Tu parles que je vois !
— L’un d’eux m’a déclaré : « Mon gars, si t’as le malheur de l’ouvrir, tu seras impliqué comme complice dans une affaire de rapt et tu finiras tes putains de jours en cabane. Par contre, si tu la fermes hermétique, tu garderas ton nez propre et, en récompense de ta coopération, M. Farragus te casquera deux mille dollars, que choisis-tu ?
— Naturellement, t’as opté pour les fafiots, hein, Black ?
Il hausse les épaules.
Son mouvement paraît déclencher un coup de sonnette. Le timbre est mélodieux, sur trois notes. Il vibre longuement dans la maisonnette. Je bondis jusqu’à la pièce voisine pour cramponner le revolver du garde dont le ceinturon est accroché à un dossier de siège. Ça sert d’avoir une mémoire visuelle digne du music-hall, non ?
La lourde crosse râpeuse me rassérène.
À pas plus prudents je retourne sur le palier, manière de couler un œil par-dessus la rampe.
Et qu’avisé-je ? Cette garce de Barbara avec deux flics en uniforme. Silencieusement, elle leur montre le premier étage. Vous parlez d’une peau de banane, cette bonne femme ! Notez que je la comprends un peu. La seule manière possible d’arranger un peu les gamelles avec son croquant, c’est de chiquer à la malheureuse qu’on a droguée et violentée. Alors elle a rameuté les archers de Miami pour se refaire une virginité, prouver sa bonne foi au vigile.
Déjà les pandores s’engagent dans l’escadrin.
Je bondis jusqu’à la chambre et avec une promptitude qui ne serait pas croyable en d’autres circonstances, je défais les liens de Black.
— Ta vieille a alerté les poulets, lui dis-je. Si tu l’ouvres sur ce qui vient de se passer, la prédiction du Chinetoque se réalisera : on te foutra en taule pour tellement longtemps qu’un jour tu te souviendras même plus d’avoir vécu en liberté.
Là-dessus (ou là-dessous) les cops pénètrent violemment dans la chambrette.
Des mauvais. J’sais pas pourquoi les matuches américains sont si féroces. Rien qu’à les voir, vous faites glagla. Comparés à ces affreux yétis, nos poulets les plus sourcilleux, nos gueules de vache les plus patibulaires font songer à des nounours en peluche.
— C’est ces deux, là et là ! glapit la Barbara en nous montrant, Béru et mézigue. Et c’est le gros qui m’a violée !
— Qu’est-ce qu’a dit, la mère Prend-du-Prose ? s’inquiète ce dernier.
— Que tu l’as violée, gouaillé-je.
Il manque s’étouffer, Jumbo. L’injustice lui détraque l’aorte.
— Quoi ! mugit-il. Cette radasse escalade l’homme comme s’il serait un escabeau de cuisine, elle te prend le fade du siècle, que même l’arrivée de son vieux y arrête pas son panard, et le remerciement c’est d’appeler Police-Secours ! Laisse que j’y ramone le museau à c’te belette blette !
Menaçant, il s’avance.
… Juste assez près pour morfler un formide coup de goumi derrière les oreilles.
Z’ont des matraques impardonnables, les bourriques yankees. Longues et fines comme des zézettes de Saint-Cyriens, bien souples et renforcées tige d’acier. Le Gros ne dit pas le moindre « ouf » et s’accordéone sur le plancher.
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