« N’y comptez pas, j’y suis, j’y reste ! Et puis il s’est mis à faire l’imb… »
Il se tait, tout de suite envapé par la reprise de la zizigue. « Tsin tagadagadagada… »
A la fin du spectacle, son slip tiendra debout, cégnace !
Je le moule discrètement, ayant appris ce que je voulais savoir. Sûr que Cravate-violette a enjoint au Gros de sortir ; mais Plein-de-soupe a refusé. Comme le danger devait être grand, il a choisi de se faire emballer par les archers de leurs Majestés Duboudin-Babiola.
Je redescends à l’orchestre. Malgré toutes mes précautions, je provoque des « chuuuut », des « assis ! », des « silence ! ».
Je me trouve en avant du gonzier repéré. Pas commode de le surveiller sans attirer son attention. Heureusement, il y a un petit miroir à l’intérieur de mon étui à peigne. Je m’en sers de rétroviseur. Je n’aperçois pas mon gars, mais la zone où il se tient. S’il se lève, je le verrai. L’ennui, c’est qu’il m’est difficile de garder la petite glace constamment braquée, sans compter que mon manège attire l’attention de mes voisins immédiats, en l’occurrence une grosse dame goitreuse et un petit grêlé charognard qui me visionne à tout bout de champ. Peu soucieux de provoquer un nouvel esclandre, je finis par remiser mon périscope.
Alors tout ça, bon : Don José dans sa prison avec la fleur séchée qui gardait pour lui sa douce odeur, et puis la vachasse de Carmen et son dargeot de percheronne dont elle trémousse pour bien exciter ce pauvre déserteur. Qu’à mon avis il a bien fait de mouler l’armée avant l’arrivée du franquisme. Même pour se faire contrebandier. La musique corridate de plus en plus « Tralala lalalala tralala lalalalère » et je t’en passe, pas te mastiquer les cornets.
V’là the end of the first act .
Je suis le premier à me lever.
Malédiction : la cravate violette n’est plus à sa place !
Me laisse turbuler par le public qui sort aux esquimaux, à la licebroque, au verre de gueuze. Navré. Ragé. Baisé !
Avoir ce mec sous la main, servi sur un plateau (de théâtre) par le cher Bérurier, et le laisser s’enfuir.
Mais, attends, bouge pas. J’ai un lot de rattrapage. Si le gars était au théâtre, c’était pour remettre les fameuses lunettes à quelqu’un. Faut voir si le quelqu’un est toujours en place.
Magnifique.Merci, mon petit Jésus. Il y est.
Et même, tiens, en prime, je te vas dire qui c’est : il s’agit de la mère De Byrooth qu’on a rendu visite à Bruges-la-Morte.
CHAPITRE XIV
DANS LEQUEL ON VA ESSAYER D’Y VOIR CLAIR1
Je l’avais pas reconnue, la morue, car elle est en mirifique toilette et mistifrisage. Pomponnée en grande première belgium. Un fartage digne de l’équipe suisse de ski. Des diams rutilatoires. Une robe grise avec de la dentelle noire. Des petits besicles rectangulaires dont la monture est endiamantée, ben ma vache, pour la frimer, quand tu ne l’as vue qu’une fois, faut drôlement s’exorbiter les carreaux.
Son mari l’accompagne, bien gras, bien chauve, couperosé, smokingé, tout bien. Moi, comprends, j’attendais pas ce genre de clilles. Je reniflais dans le ténébreux. Mais ces deux bourgeois ralingues, non ! Et puis y avait tellement de monde ! Et puis y z’étaient derrière ! Et puis merde, quoi, c’est commak !
Ils ne sortent pas à l’entracte. Restent à leurs places, faisant de-ci, de-là des signes courtois à d’autres mirontons. J’embusque dans un coin, à l’écart, au fond de la salle.
Je me sens dans les ravissements. Les paroles du barbu aux haltères me reviennent à l’esprit. Les seules qu’il ait prononcées lorsqu’on l’a questionné : « Mais non, a-t-il beuglé avant de plonger dans le bassin : je n’ai pas tué Barbara. » P’t’être qu’il disait vrai, après tout ? Alors, si ce n’est pas lui, c’est les De Byrooth qui ont effacé le frère maquerelle en fin de soirée, l’ont mutilé de si sadique façon. Lorsque je me suis rendu chez eux, la vieille nous a parlé du Barbu à la Porsche blanche afin de lui faire porter le chapeau. « Drininininggggg », fait la sonnette.
Les spectateurs se rebraguettent, jettent leur bâton d’esquimau, essuient la mousse de leurs lèvres et regagnent leurs places.
Sitôt que le noir se fait, mécolle, tu sais pas ? Je vais me mettre dans le fauteuil laissé libre par la cravate violette.
La vieille sursaute, ma venue n’était pas prévue dans son planninge. Elle me regarde et reconnaît. Vilaine expression, où se mêlent étroitement la surprise, la crainte, la réprobation et un zeste de curiosité.
— Ça va, p’tit dame ? je lui gazouille.
Elle ne bronche plus. Tu la croirais empaillée, cette chérie. Je me dis que la situation m’est tellement favorable que je serais un criminel de ne la pas déguster à la petite cuiller. J’ai tout mon temps. D’autant que le deuxième acte de Carmen , franchement, je t’en fais cadeau. Le Don José ne vaut pas le Dom Pérignon et la grosse Carmen a l’air d’une tireuse de brèmes pour fêtes foraines qui ne retrouverait plus sa roulotte.
Je fouille mes vagues. Ce qu’il y a de bien, avec moi, c’est que je suis un policier de ressources. Toujours deux trois petites bricoles pour développer mes arguments. Ainsi, je possède une minuscule trousse pas plus grosse que le petit doigt de ta masseuse de prostate qui semblerait receler un cigarillo, mais qui renferme, en fait, une seringue « chargée ». Un capuchon de plastique protège l’aiguille stérilisée. Les deux centilitres de liquide incolore que contient la seringue sont un anesthésique instantané. En une seconde dix, je peux planter ce joujou dans une viande vivante et la rendre inerte.
Posément, je sors la seringue de son étui. La vieille qui me regarde agir, commence à s’agiter sur sa peluche rouge.
Je retire le capuchon avec une lenteur de mouvements qui souligne ma détermination.
— Vous voyez cette seringue, gentille dame ? Si je vous l’enfonce dans la cuisse, vous mourrez sans presque vous en apercevoir. Son contenu est foudroyant. Inutile de crier car j’agirais immédiatement et votre appel passerait pour un cri d’agonie. Même votre bonhomme ne s’apercevrait de rien.
Je cause dans un souffle. Mais je sais qu’elle m’entend malgré le vacarme de ces cons, là-bas, qui se racontent des trucs inaudibles à faire bâiller une bourriche d’huîtres.
Son mironton, le gus qui met des chemises de nuit de grand-mère pour s’acquitter de ses complexes, ne s’est même pas aperçu de ma présence. Du reste, il doit être un peu constipé des trompes, la façon dont il tient sa main en pavillon derrière ses baffles pour pas paumer les don-josérémiades du ténor de mes deux.
Mme De Byrooth est raide et pâle comme la mort que je lui promets.
— Pour commencer, donnez-moi les lunettes ! enjoins-je.
Ma sinistre se pose sur sa cuisse mollasse. La seringue est à la verticale. Suffirait d’une petite becquée de ma pogne pour que l’aiguille lui entre dans le rance.
— Vite ! ponctué-je.
Elle ouvre son sac du soir, en perles, avec un fermoir en or blanc.
Les lunettes me sont tendues. Dans la pénombre, et au toucher, il me semble, effectivement, qu’elles ne diffèrent en rien de lunettes ordinaires. Je les fais disparaître dans ma poche intérieure. Une fois sur mon cœur vaillant auquel rien n’est impossible, elles sont en sécurité. Un soulagement bienheureux s’épand dans mon être, comme l’écrivait la marquise de Sévigné. La suave douceur du travail accompli. J’ai hâte de les aller déposer sur le sous-main du Vieux. Comme le chien de chasse crotté dépose aux pieds de son maîmaître le canard foudroyé qu’il est allé chercher au milieu des marais. Et le Vieux opinera, content-sans-trop-le-montrer, because son putain de standinge. Il aura quelques mots satisfaits. Et ce sera tout. Très décevant, tout ça, au fond… Mais est-ce pour ce Crabe déplumé que j’agis, ou bien en réalité pour moi ?
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