Pour ma part, je me suis contenté de la besogne la plus facile et la plus lâche, ajouteré-je manière de faire mon m’encule-pas (disait ce pauvre Béru). Ma manchette asphyxiante à la glotte si gracieuse de Miss Peggy. Elle suffolk, suffoque, couine du corgnolon, tombe à genoux. Je la ramasse tel un pacsif de linge sale et la jette à l’arrière de la bagnole. M. Blanc la rejoint.
Décarrade à l’arraché. Bien joué ! Temps de l’opération : quatre secondes six dixièmes ! Y a mieux, mais dans les dessins animés seulement.
Notre action se décompose de la façon ci-dessous et suivante :
Neutralisation de notre prisonnière par l’irremplaçable M. Blanc.
Récupération de notre propre tire à quinze cents mètres de là.
Le Noirpiot la drive.
On retourne à l’esplanade aux travaux sur la route de la Cordelière des Indes (toujours le regretté Béru dixit). Pour quelle raison prends-je un tel risque ? Parce que, mon vieux protozoaire décadent, quand on a accidentellement commis une bavure de ce tonneau, il faut en tirer profit, afin de « l’amortir ». Ce qui va maintenant se dérouler (c’est le verbe idéal), je te parie une orchite double contre une cornemuse écossaise que cela doit nous assurer en un temps record la totale confession de Peggy Ross.
Je la fais descendre de bagnole. Elle a les poignets liés dans son dos et ses chevilles sont entravées de telle sorte qu’elle ne peut pas se permettre des enjambées supérieures à douze centimètres pièce.
— J’espère que vous avez le cœur bien accroché, douce Peggy, ma superbe tubéreuse de l’ombre.
J’adresse un signe d’intelligence (rien ne m’est plus aisé) à Jérémie et le voilà qui gravit le marchepied donnant accès à la cabine du cylindre.
Moteur !
Je crois tourner un film.
Action !
Cette fois, la pesante et trépidante machine se met à reculer lentement. Je braque le faisceau d’une torche électrique sur le sol, au ras de la roue de fonte et d’acier.
Hug ! Je te mets au défi de pas gerber, même que tu sois chirurgien ou boucher. Tu balances ta fusée éclairante, devant un aussi ignominieux spectacle. La tronche à Horace est large comme un couvercle de lessiveuse. On le devine à peine dans cette flaque : aplatis de la sorte, les poils de sa barbe restent en partie collés après le cylindre. Ah ! l’abomination !
Peggy défaille.
— On peut pas croire que c’est Berkley, hein ? fanfaronné-je sinistrement.
Le rouleau démasque progressivement ce qui reste du corps d’Horace. Surréaliste dans l’horreur !
— Peggy Ross, fais-je en assurant ma voix (à la Lloyd), si vous ne répondez pas à mes questions avec la plus grande franchise, voilà ce que vous serez d’ici dix minutes. Horace m’a déjà dit beaucoup, suffisamment pour que je sois en mesure de savoir si vous mentez ou parlez vrai. Seulement, lui n’a pas tout dit , soit parce qu’il s’obstinait à nous faire des cachotteries, soit parce qu’il ne savait pas tout . Toujours est-il qu’il se retrouve dans ce triste état. J’ai voulu vous le montrer pour que vous compreniez notre détermination. Les menaces sont prises au sérieux quand on peut fournir la preuve de leur réalité. Sommes-nous bien sur la même longueur d’onde, avant de démarrer ?
Ah ! les femmes !
Tu sais quoi ?
Alors qu’elle est tétanisée (j’allais pas le rater, çui-là) par la terreur, vitrifiée à la vue du plus horrible spectacle jamais offert à l’homme depuis que sa mort a été inventée, oui, malgré elle, elle trouve le moyen de murmurer :
— Vous me tuerez, même si je parle !
— Quelle idée !
— Parce que vous ne pourrez plus me laisser en vie après ce que j’ai vu ! analyse-t-elle.
C’est charognard comme situation. Ce cadavre aplati me crédite d’un terrible préjugé. Il fait de nous, à ses yeux, des individus impitoyables pour qui la vie humaine compte moins qu’une épluchure de cacahuète sur le paillasson de Jimmy Carter. Elle se dit que nous sommes allés trop loin avec elle. En lui découvrant cette galette humaine, nous la condamnons à mort pour nous assurer de son silence, comprends-tu-t-il ? La logique même ! Et pourtant ! Tu me vois la buter ? Une fille comme elle, avec une peau de cette ambrerie, une chatte aussi veloutée, une cressonnière aussi luxurieuse (et ante). Mais ce serait de la confiture donnée à la mort ! Un crime de lèse-baise !
Je la prends par les épaules.
— Vous avez souvenir de mes caresses dans le palace de Denver ? Quand on fait à une femme ce que je vous ai fait cette nuit-là, on n’a pas envie de l’assassiner. Votre dernier atout est de croire en ma parole, Peggy. Si vous parlez, je vous jure que je ne vous tuerai pas. Je vous le jure sur la tête de ma mère qui est l’être que j’aime le plus au monde.
Elle objecte en montrant la cabine du rouleau compresseur.
— Mais lui, là-haut ?
— Il fait ce que je dis et rien de plus !
A présent, elle semble tout à fait en condition. Me reste plus qu’à lui soumettre le questionnaire décisif. Pas celui de Marcel Proust : le mien !
* * *
La maisonnette mauve ressemble à quelque illustration pour un conte de Grimm, dans l’éclairage incertain de l’aube.
Nous y parvenons par-derrière, en suivant une sente herbue que nous indique Molly, car nous ne voulons pas nous faire repérer par les voisins. Je laisse ma vieille tire (nous avons abandonné l’autre que les « amis » de Peggy doivent chercher ardemment) derrière un buisson de noisetiers et nous aidons Peggy à en sortir sans avoir à la détacher.
Une vingtaine de mètres nous amène sur la porte arrière de la masure, porte dont mon sésame se rit comme les sulfamides chargés de neutraliser une chtouille ordinaire. La gentille Molly, frêle et meurtrie, nous suit comme un chien perdu sans collier (je lui en achèterai un chez Cartier où je vais faire mes provisions avec un caddie).
On pénètre. J’explore. Choisis. Ce sera la soupente aménagée en dortoir. Il y a trois lits bas disposés n’importe comment. Une tabatière opacifiée par la poussière et les toiles d’araignée. On y conduit Peggy, plus morte que vive. Cette maison abandonnée ne lui dit rien qui vaille et elle craint que je ne faillisse à ma promesse.
— N’ayez pas peur, lui soufflé-je, il s’agit d’une simple parenthèse ; vous allez rester ici très peu de temps afin que nous ayons les coudées franches.
— J’ai une surprise pour toi, Grand ! m’annonce Blanc en sortant de sa vague une paire de menottes américaines. Je les ai dénichées dans la voiture de Berkley.
— Parfait.
Je visionne de près le topo de la pièce. Tuyau du lavabo scellé au mur. En poussant l’un des lits de camp tout contre, Peggy pourra y être reliée sans grand dommage.
— L’aile ou la cuisse ? lui demandé-je en brandissant l’une des boucles ?
Elle hausse les épaules. Généreux, je lui emprisonne la cheville et fixe le deuxième bracelet au tuyau rouillé.
— Essayez de vous reposer le plus possible, dis-je. Pour ce qui est des fonctions naturelles, quand vous aurez besoin, Molly vous apportera un seau. Quant à la bouffe, vous serez contrainte à une petite diète, toutes les deux. Elle ne devrait pas excéder la journée. Nous vous apporterons de la nourriture dès que possible. Cela dit, l’eau fonctionne encore et il y a un pommier chargé de fruits dans le jardinet, c’est bon pour la ligne. Molly, je compte sur vous.
Je l’entraîne sur le palier.
— Vous avez confiance en moi, petite aubépine-en-fleur ?
— Oh ! oui.
Fervente, tu vois ? Conquise ! Une queue pareille, dis, ce serait dommage qu’elle l’oublie déjà !
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