— Ne vous penchez pas tant, coassé-je (j’ai plus la force de croasser), vous allez vous défenestrer.
Ce disant je saisis sa taille à deux mains, le plus bas possible.
Est-ce une illuse ? Il me semble la sentir frémir sous mes doigts. Le butoir continue de résister. Moi d’accentuer ma pression. Je me plaque contre elle. V’là ma tête chercheuse qui dévergonde aussi sec. Je me sens venir un panais du diable. J’oublie les convenances, les lois de l’hospitalité, celles de l’amitié. Flottt ! Mes deux paluches glissent au bas de sa jupe. Flopppp ! Elles la retroussent. Et la savante qui ne bronche pas ! Elle a même cessé de s’attaquer au volet récalcitrant. Son fignedé, par contre, ne l’est pas du tout (récalcitrant). Ma jubilation physique se teinte d’un étonnement sans limites. Elle a si peu l’air de « ça », cette respectable personne ! C’est si peu son genre !
Je fais dégouliner sa culotte d’honnête femme le long de ses jambes. Un petit gligli mutin dans la moniche pour repérer le territoire. Ça s’annonce bien, la carburation est parfaite. Nous sommes attendus, que dis-je : espérés, mon camarade Popol et moi. Je le circonvolutionne tout autour de l’objectif. La rosée du soir tombe sur la savane. Et, mollo, j’engage les pourparlers. A toi, à moi la paille de fer ! Frotti et frotta sont sur un bateau. Une gondole ! Envoyez les mandolines !
Oh ! ce que ça lui plaît, ma barcarolle. Tout en demi-teinte. Je la lonche zéphyr. Je pourrais lui bricoler la laitance ou ponctuer avec deux doigts sur le clito, mais c’est pas la peine : on se contente de ça. On va l’amble. Pas du tout la course de chars façon Ben Hur. Quo Vadis , ce sera pour une autre fois. Là, t’assistes à de l’emplâtrage délicat, nonchalant. Le coït du gentleman qui n’a pas le temps de se dessaper. Un accouplement sans meurtrissure et qui ne froisse pas.
Faut dire que Miss Irma, après s’être respiré la balise à Félix, elle peut voir venir n’importe qui désormais. C’est pas mon braque de seigneur qui va lui craquer les jointures ! Je l’arpente du nœud comme je visiterais le musée de l’Ermitage. J’aime sa passivité, sa gaucherie de damoiselle. Je ne sais plus chez qui il y a un tableautin représentant une jeune fille vue de dos, accoudée à une fenêtre. Chaque fois que j’y porte les yeux, j’ai envie de goder. Faut dire qu’un rien me surexcite. Moi, même quand je croise un enterrement, je pense à la baise.
Alors, Irma, je l’accomplis silencieusement, sans me départir du rythme velouté. Ça dure au moins vingt minutes, et elles sont ineffables, comme disait Florian [5] Tu l’as dans l’os, hein ? Tu croyais que j’allais refaire le coup de « l’ineffable de La Fontaine » ? Je me renouvelle, moi, mon pote ; c’est le secret de la durée. San-A.
. Je risque pas la surchauffe ! Une pétée souveraine, je te dis. Du La Varende ! Le duc de Morny limant sa gouvernante !
Et puis, bon, tout a une fin. Elle jouit sobre, plaçant sa main devant sa bouche pour étouffer la plainte orgasmique. J’opère le pas en arrière réglementaire. Elle se défenestre, mais du bon côté.
De conserve, nous gagnons simultanément la salle de bains pour réparer du gland l’irréparable outrage. C’est rare que je gagne cet endroit en même temps que ma partenaire. Y a que les époux qui se le permettent, ou les amants de vieille liaison, lorsque l’habitude a tué la gêne.
Elle opte pour une place assise, je surplombe le lavabo.
Tandis que chantent les robinets, Irma Ladousse prend la parole :
— Naturellement, vous me prenez pour une catin, ou du moins pour une hystérique ?
— Absolument pas ! réponds-je sans grande conviction, en pleine savonneuse.
Mlle Ladousse se décamote le berlingue avec clapotis agrestes.
— Ce que je vis présentement, voyez-vous, monsieur, est proprement stupéfiant. Il y a quelques mois à peine j’étais totalement éloignée des choses du sexe. Une expérience, une seule, avec un camarade de faculté, avait banni l’amour de mon existence. C’était aussi simple et formel que de renoncer au parachutisme lorsqu’on a raté son premier saut. J’ai vécu sans sexualité, compensant les appels de la chair par le travail et me félicitant d’avoir opté pour cette philosophie.
« Et puis, récemment, il y a eu cette conférence que je suis allée faire à Paris. J’ai connu ce pittoresque bonhomme de Félix, être merveilleux, brûlant d’intelligence et pétri de renoncement. Nous avons sympathisé. Il m’a parlé de son sexe, moi de ma frigidité. Nous avons eu l’audace de les mettre en présence. Les dimensions inimaginables de son pénis ont bouleversé toutes les données sur lesquelles je vivais.
« Il m’est soudain apparu que je devais subir ce membre terrifiant, que lui seul pouvait remplacer ma vie sexuelle perdue, compenser ces années au cours desquelles j’ai connu ce que le philosophe André Sarda, de la faculté de Toulouse, appelle : « la paix lamentable des sens ». A force de ténacité et d’excipients, nous sommes parvenus à l’inconcevable, cher monsieur : il m’a pénétrée ! Entièrement ! Moi ! Si réduite ! Si étroite ! Les jours qui ont suivi ont été terriblement douloureux pour mon siège. Je vous passe mon calvaire. Mais ma volonté fut la plus forte et je suis devenue performante, vous l’avez vu. »
Je proteste :
— Madame, mon pénis est sans commune mesure avec celui de votre fiancé ; ne tenez pas pour une victoire ce qui n’est qu’une modeste introduction.
— Taratata, mon ami, ne vous diminuez pas. Vous êtes de belle venue, votre membre se classe non pas dans la catégorie des phénomènes, mais au tout premier rang des sexes performants. Je vous parais bien renseignée, malgré l’aveu de ma chasteté prolongée, c’est que, depuis mon retour à Bruxelles, je visionne un nombre incroyable de films « X » sur vidéo, ce qui me permet d’apprécier la normalité d’un pénis. Mes sens sont en folie. La solitude et l’imagination les exaltent. Je ne rêve que de réitérer mes exploits avec Félix. Si je viens de vous céder avec une facilité de courtisane, c’est parce que la déception qu’il m’a infligée en me montrant sa pauvre queue poignardée est si intense que je me serais laissé prendre par un âne ou un bouvier des Flandres.
Puis, se rendant compte à quel point cet aveu est désobligeant pour moi, elle ajoute, en se séchant le frifri :
— J’ai commencé notre étreinte par nécessité, mais je l’ai achevée dans l’extase. Vous êtes un superbe amant, aux manières délicieuses. Vous me prîtes avec grâce et détermination. Mon plaisir fut total, mon tendre ami. Je vous en remercie du fond du cœur.
Elle s’avance vers moi, les lèvres offertes. Nous échangeons un baiser de cinéma d’avant-guerre. Puis elle dit cette phrase qui va avoir de grosses conséquences pour la suite de ce roman majeur dans l’œuvre san-antoniaise [6] Comme ne va pas manquer de l’écrire Bertrand Poirot-Delpech.
:
— Puisque, à cause de cet accident, nous allons être condamnés à l’inaction sexuelle, Félix et moi, cela vous ennuierait si nous allions au cap Nord avec vous ?
A vrai dire, une pareille propose ne cadre pas avec mon programme. Notre camping-car va tourner roulotte de romanos. Nous restera plus qu’à tresser des paniers et à voler des poules le long du chemin.
— Ce serait un grand bonheur pour moi, mens-je, seulement notre véhicule n’a pas une capacité suffisante pour permettre qu’on y vive à six. De plus, je doute que la promiscuité avec nos amis Bérurier vous soit très agréable.
Elle sourit :
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