— César, l’interromps-je, il ne faut plus que ta merveilleuse conquête retourne chez elle, rue du Poteau-Rose, jusqu’à nouvel ordre. Vous allez descendre dans un hôtel où vous conduira Violette et y vivre votre dévorante passion jusqu’à ce que je passe vous y récupérer demain. Vous n’en bougerez pas ni ne téléphonerez à quiconque, compris ?
Roméo-Pinaud assentimente. Prêt à tout accepter. L’amour vient de le frapper de plein fouet (d’ailleurs, elle fouette terrifiquement, sa conquête). Il marche non seulement à côté de ses mocassins Testoni, mais en outre vingt centimètres au-dessus, l’élégant !
Je leur prends congé pour aller me zoner. J’ai les vasistas qui font la colle et la clape qui cloaque un chouïe, biscotte la tronche de veau dauphinoise qui me regimbe dans les conduits. Bouffe et stress ne font pas bon ménage.
En arrivant at home , je vais user de la thérapie de mon papa : une cuillerée à soupe de bicarbonate de soude dans du vin rouge. C’est effroyable à écluser, mais ensuite tu retrouves ta paix des profondeurs. Je laisserai un message à m’man, sur la lourde de la cuisine, de ne pas me réveiller avant huit plombes. Ça lui donnera le temps d’aller m’acheter des croissants.
En pilotant, je me livre à un nouveau point de l’affaire. Trois mystères ; je les ai déjà mentionnés, mais dans ce boulot, c’est en se résumant sempiternellement les choses qu’on progresse.
Premier mystère : l’assassinat d’Elise Lalètra. De ce côté : des lueurs. Le « Baron ». On va progresser, c’est sûr.
Second mystère : l’assassinat de Larmiche. On a retrouvé le garage qui a loué la voiture trucideuse, mais rien de positif. « Tarte aux fraises (des bois) » n’a vraisemblablement pas été victime de son réseau de drogue. Alors qui ? Lugo Lugowitz ? Non : ce bandit international ne l’aurait pas buté avant d’avoir mis la main sur la statuette.
Troisième mystère : Les agissements, justement, de Lugowitz. Nous savons à présent pourquoi il a planté « Friandise » : pour retrouver la statuette. Mis à part que nous ignorons tout de cette dernière, nous savons l’essentiel quant aux agissements de ceux qui la recherchent. Ainsi il est clair que, le soir où la femme paniquée s’en est débarrassée dans la loge du danseur, ils ont mis la main sur elle et l’ont « questionnée ». Comme leur première tentative auprès de « Friandise » s’engageait mal, ils ont préféré agir subtilement en « conditionnant » la fille pour qu’elle aille elle-même réclamer son bien.
Résumé : nous avons progressé de combien dans cette affaire triple face depuis qu’elle a éclaté ?
Selon moi : de trente à quarante pour cent.
Mais je suis probablement trop optimiste, non ? Que veux-tu, c’est dans ma nature profonde.
Le peintre de Quai des Brumes (interprété par Le Vigan) déclarait que lorsqu’il voyait un type se baigner, il pensait à un noyé.
Moi, quand je vois un noyé, j’espère toujours qu’avec la respiration artificielle ça va s’arranger !
CHAPITRE DOUZE
D’UNE QUALITÉ DE SUCE
PINCE EXCEPTIONNELLE
Toute la nuit, dans le petit hôtel de la rue Delambre où elle était descendue, Marie-Marie avait noirci des feuilles de bloc. Bonne graine de fac, elle partait du principe que ce qui est écrit se conçoit mieux que ce qui est exprimé verbalement. Alors, avec une fièvre qui n’excluait pas l’application, elle avait consigné les éléments accumulés à propos des meurtres des trois prostituées. Elle agrémentait ses notes de croquis. Bourg-en-Bresse, Lyon, Paris… L’itinéraire d’un fonctionnaire de L’Etat. Ayant elle-même commencé une carrière dans l’enseignement, elle « sentait » qu’elle voyait juste. L’instinct ! Larmiche, le dealer travaillait « sur » les établissements scolaires. C’était devant le lycée André Sarda [18] Compositeur français, né à Carcassonne en 1898, auteur d’opéras : Le Joufflu du Trou Vert, La Damnation de Fos , d’oratorios, de contrarios, d’agios, d’adagios, de concertos et de saucisses de Toulouse symphoniques.
qu’elle avait remarqué cet homme au parapluie qui étudiait leurs faits et gestes. Ce qui contrariait quelque peu sa certitude, c’était la déclaration de Mme Princesse, laquelle prétendait que le « Baron » fréquentait leur gentil clandé en début d’après-midi. Or, il est rare qu’un enseignant dispose de son temps pendant cette période de la journée ; mais, après tout, peut-être avait-il une ou deux brèches dans son emploi du temps de la semaine ?
Au petit morninge, quand elle entendit fredonner les premières chasses d’eau, elle se mit au lit et s’endormit toute crue pour ne s’éveiller qu’à quatorze heures trente, heure locale. Marie-Marie se fit servir du café noir et des œufs brouillés, habitude contractée à London, puis elle procéda à une toilette minutieuse et, drapée dans un peignoir-éponge mis à sa disposition par l’hôtel, vint s’asseoir devant le petit poste de télé et eut la chance de trouver un excellent film sur Canal-puce. Après le générique de fin qu’elle suivit scrupuleusement jusqu’au nom du laboratoire ayant procédé au tirage, elle zappa dans l’espoir de trouver encore une heure de dérivatif, mais on ne lui proposa que de la merde en branche et elle laissa se refroidir le téléviseur pour reprendre ses élucubrations de la nuit par le détail.
Elle les déchira avant de quitter la chambre et les confia à MM. Jacob-Delafon qui les expédièrent aux abysses de la fosse septique, car ils étaient eux-mêmes sceptiques.
La cour du lycée était déserte dans le crépuscule. Le froid hivernal venait de se faire plus tranchant avec l’approche de la nuit et, malgré son Burberry’s doublé, Marie-Marie grelottait.
Elle contourna les bâtiments, la tête rentrée dans les épaules et aperçut la maison dont lui avait parlé le proviseur. Elle avait été bâtie en additif au groupe scolaire et son style moderne contrastait avec celui, III e République, du lycée.
Elle pressa le timbre à gauche de la porte d’entrée. Presque aussitôt on lui ouvrit : une femme d’une quarantaine d’années à l’allure douce et avenante. Elle était brune et sans fard ; tout juste discernait-on une vague trace de rouge à lèvres très pâle sur ses lèvres.
Marie-Marie voulut se présenter, mais la femme du proviseur prit les devants :
— Je sais ce qui vous amène, mademoiselle, mon mari m’a prévenue. Entrez, je vous prie, il ne va pas tarder.
Elle la pilota au living, une grande pièce claire dans laquelle brûlait un feu de cheminée. Deux canapés se trouvaient disposés perpendiculairement à l’âtre. La maîtresse de maison la débarrassa de son manteau et la pria de s’asseoir. Il régnait dans la pièce une chaleur capiteuse qui réconfortait lorsqu’on venait de braver le froid extérieur. Marie-Marie se sentit bien. Elle trouvait son hôtesse sympathique et quelque chose lui disait qu’elle ne tarderait pas à découvrir ce que les plus célèbres romanciers du genre n’hésitent pas à appeler : « la clé de l’énigme », ces cons.
La femme désigna une chemise bleue sanglée de toile sur une console.
— Mon époux a préparé une documentation ; je crois sincèrement que vous serez contente.
— Dieu vous entende, lâcha Marie-Marie, tout en se disant qu’une telle invocation n’était pas de mise dans un établissement laïque.
— Prendrez-vous un petit cocktail avec moi ? demanda l’épouse du proviseur. Je ne vous cache pas que j’en brûle d’envie, il ne me manquait que le prétexte.
Elle avait un rire spontané, à trilles. « Un rire d’oiseau », songea Marie-Marie. Comme si les oiseaux riaient !
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