— Oui, oui, réponds-je, je la vois très bien.
— C’est là qu’ j’sus v’nu av’c le vendeur de came. T’auras p’t’êt’ du mal à t’ reconnaît’, biscotte ça s’est bâti à tout-va dans les alentours et les environs. Tu prends la grande avenue et quand tu vois un’ estation B.P., aussi sec t’enquilles la p’tite rue qu’est en face. Not’ villa est à main droite, deux cents mètres z’après.
— J’arrive !
— Voilà que tu dois repartir, mon pauvre grand ? soupire maman. J’espérais que ta qualité de directeur te permettrait de mener une existence plus calme…
La coquine ! Je comprends pourquoi elle me poussait tant à accepter cette promo.
— Voyons, m’man, tu sais bien que je ne serai jamais un sédentaire. L’immobilisme, c’est la mort ! L’homme qui cesse de remuer entre en agonie sans s’en apercevoir.
J’achève hâtivement (et c’est grand dommage) la tête du brave veau dauphinois venue se faire déguster à Paris.
— J’adore quand elle est craquante, assuré-je à ma petite folie. Et cette sauce ! Réussir ça en moins de cinq minutes, faut être douée !
Elle a une façon de rire, rien qu’avec les yeux, qui n’appartient qu’à elle, Féloche. Je la fixe un peu, mais c’est pas correct d’admirer sa mère la bouche pleine. Plus inconvenant encore que de parler. Je détourne mes carreaux des siens. Peut-être qu’on se dit pas suffisamment les choses, qu’on se laisse baiser par les pudeurs ? Le drame c’est qu’on n’arrive jamais à communiquer totalement avec ceux qu’on aime. Bêtement, on en garde pour soi, se consolant en pensant qu’on se mettra à jour plus tard. Seulement voilà : y a pas de plus tard !
De loin, je vois la tire de service stoppée tout contre la masure. Je me range derrière elle et vais toquer à la porte vitrée que l’on a gracieusement aveuglée en collant du papier journal sur les carreaux. Fort heureusement, ce sont des pages de Télé 7 Jours , et on y peut admirer force vedettes de la télévision : Bruno Masure à l’œil pétillant, l’adorable Sophie Davant, Patrick Sébastien avec sa chevelure à ressort, d’autres encore, mais des cons !
Le bruit de mon arrivée a alerté Bérurier, lequel me crie d’entrer.
Décidément, cette bicoque est riche en « spectacles forts ». Le fauteuil géant de l’ogresse disparue est toujours là, lui, mais agrémenté de coussins cretonne. Aujourd’hui, c’est le marchand de neige qui l’occupe. Il s’y trouve entravé par un spécialiste du ligotage scientifique. Tout au fil de fer galvanisé, s’il vous plaît ! Les bras rivés aux accoudoirs, les chevilles aux montants du siège, la poitrine contre son dossier. Il a les deux pommettes pétées, ainsi que les deux « arcanes souricières », et les feuilles nettement décollées de leur branche. Néanmoins, il rit comme un bossu et chantonne allègrement Boire un petit coup c’est agréable !
Bérurier est assis devant une table et dévore des cervelas posés sur un papier. Chacun d’eux lui permet deux bouchées. Il trempe le cervelas dans un grand pot de moutarde extra-véhémente avant de le croquer et ponctue ensuite d’un verre de picrate.
— J’ai biché une d’ ces fringouzes, dit-il, ’reus’ment qu’on garde toujours quéques babioles de dépannage à la villa.
Je désigne sa victime.
— Toi, au moins, tu n’as pas peur des bavures, Gros ! Tu sais qu’il en a déjà pour quinze jours d’hosto au compteur ?
— Ça l’empêche pas d’êt’ gai, objecte Dubide.
— Justement, que lui as-tu fait pour qu’il le soit tellement ?
Il me désigne une petite bonbonne dans sa jupe de paille, posée à même le plancher.
— Calva ! explique-t-il. Un cousin de Saint-Locdu-le-Petit qui l’ distille en loucedé. Quand t’est-ce je retourne au pays, j’en ramène plusieurs bonbonnes. Faut dire qu’y cueille mes pommes d’la ferme pour le faire. C’t’un produit somme toute personnel. Tu veux l’goûter ?
— Pas à cette heure. Je montre l’entravé.
— Et tu lui en as fait avaler ? Acquiescement muet du Mammouth.
— Pas qu’un peu ! Au début, y refuserait d’boire. Y a fallu qu’j’le morigénasse pour qu’y comprenne où qu’était son intérêt.
— Il en a tuté beaucoup ?
Le Gros répond par ce bruit que fait le gars marrant à qui tu demandes s’il aime les haricots secs.
— J’peux pas t’dire. La bonbonne était pleine, vérifille d’ toi-même !
Je soulève le récipient. Misère : il n’est plus qu’au tiers plein (terre-plein).
— Il va en crever ! protesté-je.
Béru a cette réponse désarmante :
— Et alors ? Tout l’ monde meurt !
Tout en consommant ses cervelas joufflus, Alexandre-Benoît me livre le produit de sa pêche. Après avoir absorbé (de mauvaise grâce) un litre et demi (environ) de gnole, l’homme a commencé à se raconter. Sa Majesté a continué de l’arroser (mais c’était maintenant le « camériste » qui en redemandait). Il ressort (pas à boudin : à cervelas) de cet interrogatoire que ce ne sont pas les gars de l’Organisation qui ont refroidi Larmiche. Impossible, pour la bonne et péremptoire raison qu’ils ne le connaissaient pas. Le réseau de drogue est terriblement cloisonné.
Le souffre-douleur du Gros, un certain Chaufroix (de volaille) reçoit la marchandise d’un homme dont il a livré les coordonnées à mon pote, mais il ignore tout, absolument, des autres membres du trafic. Lui, il a organisé personnellement son petit réseau de dealers , auquel appartenait Larmiche. En tout huit mecs (dont il a également balancé les blazes au cours de son traitement éthylique). Donc, il n’y a pas que lui qui pouvait scrafer « Tarte aux fraises (des bois) ». Non seulement il n’avait aucune raison de le faire, car il ignorait l’incident de son arrestation, mais en outre, le soir du meurtre, il se trouvait à Marseille, chez son fournisseur. Il peut le prouver !
Ces nouvelles me désappointent (d’asperges). Un mystère de plus à résoudre. Je croyais dur comme Defferre (en voilà un, tiens, qui était brave) que la mort de Larmiche était imputable au réseau de came !
Et puis non, tu vois…
Je soupire :
— On pédale à vide, Gros.
— Ça nous fait de l’entraîn’ment pour quand on pédalera pour de bon, rétorque ce philosophe.
— Comment vas-tu résoudre le problo de monsieur ? m’enquiers-je en montrant l’homme attaché.
Il hausse les épaules.
— Tu rigoles ou tu te marres ? Ce nœud, j’y ai fait signer ses déclarations à propos de son bizenesse. Quand il aura récupéré un peu, j’l’ramèn’rerai à Pantruche et j’y dirai d’rester sage si y veut pas qu’j’l’emballe.
« Ent’ des années de mitard et quéqu’ points d’soudure, m’étonn’rait qu’il hésite. »
CHAPITRE ONZE
QUI COMPTERA DANS LES ANNALES
Le biniou de ma tire est en train de gueuler aux petits pois lorsque je regrimpe dans celle-ci.
Je décroche, ce qui libère les cordes vocales de Violette.
— J’ai rappelé chez vous où votre maman m’a appris que vous étiez parti en voiture, explique-t-elle. Elle a eu la gentillesse de me communiquer le fil de la 500.
— Si tu me cherches c’est qu’il y a du nouveau ? présumé-je.
— Exact, monsieur le directeur. Mais je pense qu’il serait bon que vous veniez jusqu’ici puisque vous ne dormez pas.
Je ne demande que ça.
A y regarder de près, j’ai pas dû passer beaucoup de vraies nuits de dorme dans ma putain de vie flicardière. C’est tellement vrai que lorsqu’il m’arrive de disposer de douze heures de repos, j’arrive pas à les pioncer toutes. Sur les couilles de deux plombes je refais surface et mât cache bonne eau pour me rendormir ! Je lis, ou bien je vais claper une petite briffe à la cuisine. J’adore manger en pleine noye. Et pourtant j’ai horreur des repas solitaires. Mais le casse-graine de la franche nuitée, c’est quasiment jouissif. Tu redeviens animal : la vache qui se met à tirer sur le foin de son râtelier parce qu’une démangeaison s’opère dans son estomac gigogne.
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