Belle Isabelle gît sur le pavé parisien, morte. Défenestrée !
Je sors de ma tire pour l’examiner, elle a la nuque à 45 degrés. Et c’est pas beau. Ce que je lui promettais, par taquinerie, en lui grattouillant la pommette avec mon feu s’est opéré.
J’élance dans l’immeuble. Coup de sonnette chez les Broutemiche. J’attends.
L’huis s’entrouvre.
— Qu’est-ce que c’est ? demande la voix ensommeillée de l’ami Wilfrid.
— Ouvrez, c’est moi !
Il ouvre.
— Vous avez oublié quelque chose ? demande-t-il, bonasse.
Les bras, les burnes, les yeux m’en tombent.
— Vous venez de balancer votre rombière par la fenêtre ! explosé-je.
— Moi ! J’étais couché !
On se regarde. Je lis dans ses lotos enfoncés qu’il a renoncé au Sida pour user d’un moyen plus expéditif.
Il soupire :
— C’est cette confession qui l’aura déterminée à en finir, si vous voulez mon avis. Elle a compris que, désormais, sa vie était foutue. Que voulez-vous qu’elle fasse pour continuer avec un papier aussi accablant ? Dont j’ai un double, ayant eu l’idée de placer un carbone à l’intérieur du bloc.
Le vieux brigand !
Tu parles d’un chou, Pépère. Après la séance à laquelle nous nous sommes livrés, Béru et moi, on ne peut guère le traiter d’assassin ; ça plongerait dans les méchantes confusions, les doutes abjects et les médias se goinfreraient de sous-entendus pernicieux.
— Faut appeler Police-Secours ? me demande de Broutemiche avec calme.
— Je crois que c’est le mieux, admets-je.
Alice fit quelques pas et s’assit sur un banc. L’air capiteux du matin la chavirait. Elle venait de passer plusieurs jours confinée dans sa chambre et il lui semblait qu’elle relevait de maladie. Elle se mit à regarder le jardin, émue par tant d’harmonie, de grâce et de parfums. Des orangers, des citronniers, des lauriers-roses à profusion, des plates-bandes de rosiers allant du blanc au rouge en passant par toute la gamme des roses, des amphores d’où coulaient des flots de fleurs rampantes, des pelouses aux étranges arabesques, le sable ocré des allées, tous ces éléments composaient une œuvre d’art. Des colombes blanches, familières, voletaient dans cet éden, se perchant sur les branches basses des arbustes, ou s’ébattant au sol en des joutes amoureuses. Une odeur de jasmin dominait celle des roses. Une tour carrée, blanche et crénelée, se dressait au-dessus d’un moutonnement de toits. La voix d’un muezzin appelait à l’une des cinq prières journalières. Elle était répercutée par un haut-parleur qui la déformait en lui infligeant des nasillements métalliques ; néanmoins, elle ajoutait à l’enchantement de l’instant. Alice continuait d’être en état de totale félicité. Par instants, elle se demandait si on ne la droguait pas à son insu tant elle se sentait radieuse de corps et d’esprit ; mais cette perspective ne l’émouvait pas outre mesure tant elle appréciait cette espèce de magistrale paix, ce bonheur stupéfiant comme elle n’en avait jamais connu jusqu’à lors.
Elle tendit la main vers l’amphore placée à côté de son banc et cueillit une tigette de plante d’un vert presque noir portant une fleurette blanche à quatre pétales. Elle plaça la tige entre ses lèvres. Elle avait un goût amer.
Le soleil emplissait le ciel bleu d’une clarté d’apothéose. Alice renversa sa tête en arrière pour offrir son visage à la chaleur. Elle demeura longtemps dans cette position et s’en arracha parce qu’elle avait le sentiment d’être observée.
Regardant autour d’elle, elle aperçut un étrange personnage à l’autre extrémité du jardin. Un être énorme, à la chevelure brune ondoyante sur la nuque. Il se laissait pousser la barbe et, de loin, on avait l’impression qu’il portait une sorte de bavette noire sous la bouche et que celle-ci descendait jusqu’à sa poitrine. L’homme était vêtu d’un burnous immaculé qui scintillait comme de la nacre.
Il se tenait assis dans un fauteuil de jardin et contemplait Alice sans ciller. La fixité de ce regard était si intense que la jeune fille se dressa et, à pas lents, se dirigea vers l’énorme bonhomme.
Il ne cessa de la regarder pendant tout le trajet, se leva lorsqu’elle arriva à quelques mètres de lui et la salua d’un profond signe de tête.
Ils restèrent un long moment indécis, les yeux dans les yeux. Alice finit par lui sourire et il en fut comme ébloui.
— C’est vous, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.
Il sut à quoi elle faisait allusion et battit des paupières. Il possédait de longs cils noirs qui rendaient son regard sombre plus sombre encore.
— J’aimerais que vous me parliez, fit-elle.
— Je n’ose plus, murmura-t-il.
— Pourquoi ?
— Parce que vous pouvez me voir.
— Justement, s’étonna Alice, c’est mieux ainsi.
Elle avança la main et saisit le poignet grassouillet de son « amoureux ». Elle le trouvait beau et fascinant. Kazaldi le comprit et des larmes firent de ses yeux deux diamants noirs [6] Je viens de relire ce court chapitre ; je voudrais pas me vanter, mais c’est vachement chié ! Tu vois, quand je veux m’appliquer, l’où est-ce qu’ils vont dinguer, les prosateurs assermentés ! (San-A.)
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DEUXIÈME PARTIE
APOLLON-JULES
Ça ne paraît pas tellement le combler d’avoir si vite récupéré sa fraîche, Lambert. C’est un brave gonzier, pas obnubilé par les biens de ce monde. Pour lui, les vraies richesses sont ailleurs ; seulement, de ce côté là il est guère comblé, ce chéri. D’apprendre qu’il a été fabriqué par sa maîtresse, et surtout que celle-ci « s’est donné la mort », le cisaille.
Il touche le fond du gouffre ; le bout de la nuit. Il coule à pic. Tout est perdu, foutu, rincé. Plus le moindre brin d’herbe à quoi s’accrocher au flanc de la falaise qu’il dévale.
Il est penché en avant, la tête presque entre les jambes, c’est te dire ! Qu’à peine il a jeté un œil au pacsif de grisbi dans la valise ouverte.
Ses yeux lui pendent de la tête ; sûr qu’ils vont finir par rouler sur le tapis persan !
Bérurier qui, à présent, connaît les lieux, revient de la cuistance où il est allé se préparer un sandouiche de sa composition en l’absence de la grosse Tania. Un vrai monument classé, ce sandwich. Il a fendu une baguette en deux et y a installé une profusion de nourritures variées : rosbif, foie gras, œufs de saumon, morceaux d’omelette, quiche lorraine, camembert, reste de ragoût, etc. A noter que les végétaux sont absents de cet échantillonnage, Béru affirmant volontiers que le meilleur des légumes restera toujours la viande.
Son bouffement dégouline de partout, chaque fois qu’il y plante ses dents carnassières. Il murmure :
— M’sieur Lambert, sauf vot’ respecte, vous seriez-t-il assez gentil de me dire où est la cave ? Y a plus la moind’ goutte de pichtegorne à l’officiel.
— Béru ! sermonné-je, tu en prends à ton aise.
Le Gros désigne la valdingue.
— Quand c’est qu’on ramène cinq cents tuiles à un monsieur, on peut s’permett’ d’lu solliciter un coup d’rouge, non ?
Lambert, arraché de son désespoir, raconte comme quoi, la cave, faut sortir dans le jardin et que c’est l’escalier de droite et y a la clé dans le tiroir de la cuisine.
Exit le Mahousse qui, avant de sortir, dépose son sandouiche des Mille et Une Nuits sur l’habillage de velours d’une table ronde supportant des bibelots rares dont il devient le fleuron.
Je m’assois face à Lambert.
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