Il pénétra dans une petite pièce à vivre pourvue d'un coin-cuisine. Une cigarette mal écrasée achevait de se consumer sur le méchant carrelage jaspé. Après ce modeste living, suivaient un cabinet de toilette, puis une chambre à coucher tout en longueur. Le Sénégalais ouvrit la porte sans vergogne, en véritable flic qu'il était devenu ; il ouvrit le dormitorium de la blanchisseuse. Le lit non fait et l'odeur pugnace du tabac le renseignèrent.
— Dis donc, Cul-de-rat ! gronda Jérémie, tu ne vas pas jouer à cache-cache avec moi : la fenêtre est fermée et le verrou de la porte de derrière tiré. Conclusion, tu te trouves soit sous le plumard, soit dans la garde-robe. Mon chargeur contient six balles. Pour commencer je tire trois pralines sous le pageot et trois autres dans le meuble ; avec un peu de chance, y en aura bien une pour toi !
Il se tut, rien ne broncha.
Jérémie commençait à douter de la présence du forban lorsqu'une détonation retentit tandis qu'une intense douleur embrasait sa cheville.
Il réalisa que le « gentil » cousin se tenait sous le lit. Simultanément, la couche de Nuit-du-quatre-août se dressait à la verticale, s'interposant entre Jérémie et l'impitoyable Monosperme. Le salaud aurait pu profiter de l'occasion pour tenter un rush vers la sortie donnant sur la cour, mais au lieu de cela, il s'arc-boutait afin de presser son parent contre le mur. Ainsi, jadis, étouffait-on les malheureux atteints de la rage.
Avec une force accrue par le danger et la fureur, il continuait à comprimer le blessé. Il le tint longuement dans cette posture. Jérémie tentait de refouler cette inexorable poussée, mais n'y parvenait pas. Sa main armée, bloquée contre le mur, s'engourdissait rapidement et sa cheville éclatée lui causait une atroce souffrance.
« Ce n'est pas possible de crever comme ça ! » pensa-t-il. Un vertige ruinait sa rébellion. A nouveau, il se revoyait au village en compagnie du misérable. L'école… le fleuve en période sèche, avec ses langues de sable dont ils faisaient des plages !
Au moment où une vague pourpre le submergeait, il lui sembla que la pression faiblissait quelque peu. Il reprit courage. Parvint à se glisser de côté. Sa tête se dégagea et il put voir la pièce. Le garde qu'il avait posté dans le couloir de l'immeuble, entendant la détonation, venait de faire sauter la maigre serrure d'un coup des pôles (pardon : d'épaule). Obéissant aux recommandations de l'officier de police, il braquait son revolver dans le dos de Monosperme.
— Les mains levées ! aboya-t-il.
En guise d'obtempération, l'Enragé passa sa main droite tenant l'arme sous son bras gauche et lâcha deux bastos derrière lui.
La première fracassa un globe en verre recouvrant la couronne de mariée de l'ancienne teinturière, mais la seconde se logea dans la poitrine du courageux flic, à quelques centimètres de son palpitant.
— Putain de ta mère ! jeta le drauper en appuyant sur la détente de sa seringue.
Une série de pruneaux saccagèrent la colonne vertébrale du cousin qui devint dès lors aussi inoffensif qu'un gigot d'agneau piqué d'ail.
Restait au poulet factionnant dans la rue d'accourir pour dresser le bilan de laid chaud fourré. Il trouva un officier de police à la cheville éclatée, un sous-brigadier crachant le sang et le truand noir paralysé à vie.
Devant un tel carnage, Constance pleurait à chaudes lances et promettait au Tout-Puissant d'abandonner sa teinturerie pour devenir religieuse.
Ce qu'elle fit l'année suivante.
Elle devait se retirer chez les Filles de la Contraception où la Supérieure la promut repasseuse de la congrégation.
Deux ambulances survinrent. Dans l'une l'on chargea le garde au soufflet perforé, dans l'autre les Sénégalais.
Jérémie souffrait beaucoup.
Monosperme n'éprouvait aucune douleur. Il était devenu pareil à un bloc de glace. Conscient de son état, il murmura :
— Je suis nase à vie !
— La faute à qui ? riposta son voisin de brancard.
Tout en parlant, Blanc-flic remerciait le Seigneur de ne pas être l'auteur de cette paralysie qu'il aurait passé le restant de ses jours à regretter.
— Oui, soupira le voyou, j'y suis allé fort. Je me croyais invincible !
— Personne n'est invincible, grommela le policier. Conclusion : on est niqués, toi et moi, connard !
Il y eut un silence. L'infirmier se mit à parler avec le conducteur par le judas de séparation.
Monosperme dit doucement :
— J'avais lu dans la presse que tu t'occupais de l'affaire du château de Louveciennes ?
— Et alors ?
— Je peux t'apprendre des choses à ce sujet.
— Toi ?
— Pourquoi pas, le Criquet ?
Jadis, il donnait ce surnom à Jérémie parce qu'il reproduisait à s'y méprendre le bruit de cet insecte.
— Eh bien, si c'est le cas, parle ! geignit le poulet.
Son parent marqua une ultime hésitation.
— Après tout, je te dois bien ça ! dit-il. La solution de tes problèmes se trouve au château de Louveciennes.
Et il s'évanouit.
Le révérend Pinaud passa un temps très bref dans les quetsches. Il surmonta sa douleur et, fier Sicambre, inclina la tête pour vérifier les dommages infligés à sa queue par l'hyène vorace.
La tête du champignon d'amour venait d'être partiellement sectionnée et le cryptogame saignait d'abondance (comme les cornes du même nom). Un morceau de mou, d'un violacé écœurant, gisait sur le tapis.
Le malheureux partit à la recherche d'une salle de bains, lava longuement sa plaie en émettant des cris de souffrance et se fit un pansement de fortune à l'aide d'un gant de toilette en tissu-éponge.
Une sombre résignation l'habitait. Il songeait que cette mutilation sonnait le glas de sa sexualité agissante. Il lui faudrait, désormais, appeler faire l'amour ce qui, jusqu'alors, en constituait les hors-d'œuvre.
Indomptable, il se jura de continuer l'enquête sans davantage perdre de temps avec sa pauvre vieille bitoune mise à mal.
La houri s'était enfuie en abandonnant le tiroir renversé et les objets qu'il renfermait. Avait-elle eu le temps de s'emparer de quelque chose ? Si oui, il ne pouvait savoir de quoi il s'agissait. Il regardait mélancoliquement le fatras jonchant le sol lorsqu'il fit une découverte qui devait l'aider à poursuivre sa chasse.
Dans sa précipitation, la fuyarde avait renversé un pot de porcelaine contenant du talc, matière ayant son rôle à jouer lorsqu'on pratique la masturbation.
La rétive donzelle, en piétinant cette poudre, offrait l'empreinte de ses mignons ripatons et laissait des traces de sa fuite.
Cette aubaine ragaillardit l'héroïque perdreau.
Il allait, s'appuyant sur le faisceau de sa lampe comme sur une canne. Il se réjouissit que la pluie fût calmée, ainsi le talc, bien qu'il s'estompât, continuait de composer un tracé lisible sur l'herbe rase. Il le conduisit vers la partie du mur longeant une voie peu usitée, compromis entre la sente forestière et l'allée secondaire. Une portelle de bois commençait à s'affaisser sur des gonds tordus. Dans sa précipitation, la femme ne s'était pas donné le temps de la refermer.
Pinaud passa un moment à interpréter les indices livrés à sa sagacité. L'anthropophage avait enfourché une bicyclette. Il fut heureux de découvrir un cataphote au support rouillé. Sans doute s'agissait-il d'une bécane exténuée, comme il en agonise dans les greniers parce qu'on n'a pas le courage de la mettre aux ordures.
La pièce avait été arrachée par les ronces contre lesquelles se trouvait le vélo en attente. Partant de cette quasi-certitude, il n'eut plus qu'à suivre les marques des roues. Elles l'entraînèrent jusqu'à un chemin débouchant sur une rue quiète de Louveciennes.
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