Franck Rèche torche sa peine avec l'envers de sa cravate.
— Ecoutez, Santio, bon, pour Klapusky, vous m'aviez expliqué pourquoi ce bas salopard me finançait, c'était afin d'utiliser ma maison de repos comme vivier pour y puiser ce dont il avait le plus besoin et qui est si difficile à dénicher : du bétail humain. Maintenant, vous me dites que son associé David Blumenstein jouait au jobré… Admettons. Mais s'il venait chez moi pour se cacher, pourquoi l'a-t-on kidnappé ?
— On ne l'a pas kidnappé, c'est à son instigation propre qu'il a été emballé.
— Mais…
— Une seconde, j'y arrive. David était donc réputé fou, et même reconnu fou par des spécialistes dont vous. Seulement, être enfermé ne faisait pas son affaire. Il lui fallait sa totale liberté de mouvement. Il a profité du précédent créé par la disparition du footballeur pour s'évaporer à son tour. De la sorte, pendant le temps qu'il lui fallait, il pouvait en toute sécurité participer à une mission de vaste envergure dont la vieille s'est encore refusée à nous parler. Ce qui a tout fait craquer, vieux, c'est mon idée de réclamer une rançon. Ce con de Michu qui ne pouvait pas souffrir son fils dont il savait qu'il n'était pas le père, a vu là une bonne occase de se débarrasser de lui en alertant la presse immédiatement. Il escomptait que les ravisseurs liquideraient David. Il a agi contre le gré de son épouse et a procuré la photographie qui devait être fatale au clan…
— Quelle photo fatale ?
Faudrait lui raconter encore ça, mais comme tu le sais déjà, je m'en abstiens. Je prétexte ma fatigue, lui promets qu'il lira tout dans la spéciale de France-Soir tout à l'heure.
Il se résigne à attendre. Pour meubler le temps il redé-carre dans ses marasmes.
— Franchement, Sana, reconnaissez que pied-noir, de nos jours, c'est pas une sinécure. Tout, on aura tout eu. Moi, du moins ; les Arabes, Mgr. Renard, De Gaulle, une femme laide, les communistes, les juifs, le fisc, et maintenant les fascistes. Mon Dieu, les fascistes, des gens pour qui je… Des gens dont je pensais que… Vous savez que je vais finir par devenir raciste ?
Comme on était vraiment rincés, les trois, fous de sommeil, nous avons décidé d'aller en écraser quelques heures au bureau, manière de récupérer.
Je trouve une immense photographie sur mon bureau, le super-poster. Ça représente un œil. Une note de Mathias est trombonée après. Je lis : C'est là le maximum que j'ai pu obtenir, j'espère que cela pourra vous être utile.
Je fais un dernier effort pour examiner l'œil béant comme l'au-delà qui m'est proposé. En vague, en flou, en ténu, en ectoplasmique, on distingue un bout de visage dans l'iris. Un visage qu'il me semble reconnaître. J'ai un coup de chaleur dans le poitrail, au niveau de mister Guignol.
— Pinuche !
La Vieillasse qui déjà roupillait se ranime comme le général Franco pendant sa longue croisière en agonie.
— Moui ?
— Regarde au centre de cet œil, tu reconnais ?
Il pousse la conscience jusqu'à chausser ses besicles monobranches dont un verre est remplacé par du scotch :
— On dirait…
— Qui donc ?
— Le docteur Franck Rèche ? Mais je peux me tromper.
— Oui, fais-je, on dirait le docteur Franck Rèche, mais on peut se tromper. Nous verrons ça quand nous aurons récupéré. Il aura vraiment tout eu, ce pauvre toubib : les Arabes, les juifs, les communistes, sa femme, les nazis, le fisc. Il ne lui manquait plus que d'avoir les poulets.
Un immense cri me tait.
Renseignement pris, c'est Claudette qui vient d'arriver au moment où Alexandre-Benoît Bérurier posait sa robe.
FIN
Comme j'use volontiers de l'expression si j'ose m'exprimer ainsi, en attendant de trouver mieux, dorénavant j'écrirai simplement, histoire de gagner du temps et de la place s j'o m'e a ; tu te rappelleras, Dunœud ?
Cf : La vie privée de Walter Kiozett.
As-tu enfin compris, parvenu à ce stade, ô mon lecteur trébuchant, que si je déconne dans l'indication des chapitres, c'est seulement pour te prouver qu'un chapitre ne sert de rien, que sa numérotation n'a aucune importance, et que si un auteur en fout plein son book , c'est juste pour dire…
Très con, mais je ne guigne pas le fauteuil de M. Maurice Schumann de l'Académie française par désœuvrement.
Tu penses bien que la Félonie n'existe pas. Pas même dans mon imagination. En réalité, il s'agit d'un pseudonyme que j'utilise pour cacher le blaze d'une nation très connue. Pas qu'on m'impute la rupture de relations diplomatiques.