— Naturellement ! sinon pourquoi serais-je venu à Courchevel. Me prenez-vous pour un pilier de bar ?
— Des gens viennent uniquement pour le grand air, objecté-je.
Ça le fait marrer.
— Ces gens-là prennent un bol d'air dans la journée et douze whiskies le soir dans les boîtes de la station, vous le savez bien !
— Demain matin, monsieur Lormont, vous partirez faire dû ski en ayant soin d'endosser un accoutrement aisément repérable. Si vous n'avez rien d'extravagant dans votre garderobe, allez faire un tour chez Jean Blanc tantôt. Affublé de cette tenue voyante, coiffé d'un bonnet et le nez chaussé de lunettes vous viendrez à mon hôtel, je suis au Sapin Bleu.
— Ensuite ?
Je prends mon scotch dans lequel un cube de glace joue les peaux de chagrin.
— Ensuite je vous expliquerai mon plan, monsieur Lormont. D'ores et déjà je vous recommande la plus grande discrétion. Comportez-vous exactement comme d'ordinaire et ne parlez à personne de ma visite.
Il hoche la tête.
— Entendu. Mais, entre nous, commissaire, ce mic-mac ne me dit rien. Je suis ici en vacances et ce cinéma m'est très déplaisant.
Oh ! ma douleur ! Vous verriez votre San-A. piquer sa rogne des jours J, les mecs !
— Confidence pour confidence, monsieur Lormont, je suis également en vacances à Courchevel et je préférerais dévaler le Biolley en ce moment plutôt que de m'occuper de votre sécurité !
Là-dessus, je vide mon godet d'un trait. C'est du chouettes, du super-chouette, pur Malt !
— Ne vous fâchez pas, mon cher ami.
— Je ne me fâche pas ; mais il est déplaisant de voir les gens bougonner parce que vous essayez de sauver leur peau.
Je me lève et marche à la porte. Lormont m'escorte. Avant de me quitter il pose, sa main racée sur mon épaule musculeuse.
— Merci, et pardon, San-Antonio. Vous me plaisez beaucoup !
C'est le moment de s'évacuer, les gars, des fois que le Monsieur aurait un gros coup de tendresse pour moi !
De retour au Sapin Bleu, je demande à la mignonne standardiste si M. Belloise est levé et elle me répond que non. Je m'enquiers de son numéro de piaule : c'est le 22, ce qui ne manque pas de sel comme disait un marchand de morue de mes amis.
Parvenu au second, j'appuie mon oreille exercée contre le chambranle de la lourde 22, comme le ferait un toubib contre le placard d'un patient.
La porte ne compte pas 33, 33, mais elle laisse filtrer un dialogue d'amoureux :
— Passe-moi ma crème, chéri.
— Encore ! riposte Riri, maussade.
— Le soleil est mauvais et j'ai le derme si fragile.
— Derme, mon c… ! rétorque Belloise, j'ai horreur que tu te foutes ces trucs gras sur la frime.
— Mais pourquoi ? s'étonne Lydia.
— Quand je t'embrasse, j'ai l'impression de bouffer un beignet. Et j'aime pas les beignets !
Je me dis qu'il est temps de stopper ces roucoulades et je toque à la turne. C'est Riri qui vient m'ouvrir. Il a un slip pour tout vêtement. A poil, il ressemble à une colonne Morriss. Sa viande est couverte de graffiti. Sur une de ses jambes, il y a tatoué : « Je ne marche plus ! » et sur l'autre : « Moi non plus. » Au bas de son bide on lit cette précieuse indication : « Robinet des officiers. » Sur l'un de ses bras : le buste de la République, une et indivisible m'a-t-on dit ; sur son buste un bras de lumière du 17 esiècle ; sur son autre bras un portrait en pied de l'amiral japonais Bokono-Tumaplu avec toutes ses décorations. Enfin, autour du cou de notre kiosque à journaux-ambulant le classique « à découper en suivant le pointillé ».
— Tiens ! m'sieur le commissaire !
Je touche son cou.
— Voilà qui sera précieux à M. Desfourneaux le jour où tu te pèseras sur la bascule à Chariot !
— Parlez pas de malheur ! grogne Riri en touchant du bois.
— Emballe tes tatouages et viens me trouver dans ma carrée, je suis au 7.
Tout en parlant, je file un coup de périscope en direction de la môme Lydia. J'en ai le palpitant qui fait un triple Nelson en arrière sans appui. Elle ne porte qu'une culotte grande comme le mouchoir d'une marquise, un soutien-lolo et, un porte-jarretelle en dentelle arachnéenne. Le tout est bleu ciel et vous convulse le grand zygomatique depuis le disjoncteur polyvalent jusqu'au glotemuche supérieur droit. Elle me regarde dans la glace de sa coiffeuse et me virgule un regard tellement brûlant que, d'instinct, je regarde autour de moi dans l'espoir de découvrir un extincteur.
— Hello ! commissaire !
Cette gosse, mes amis, vous la consommeriez sans pain ! Je me dis que d'ici pas longtemps et peut-être avant, il faudra que je m'occupe de sa géographie. C'est pas juste qu'il se goinfre tout seul, Riri. De la confiture à un cochon, quoi !
Y a des statues de marbre qui ont sûrement chopé la danse de Saint-Guy en l'apercevant ! Elle rendrait sa virilité à un tramway désaffecté. Non seulement elle est belle et carrossée façon sirène, mais de plus elle a ce je ne sais quoi qui vous déguise le chmizblik en Fenwick. On se demande à quoi ça tient : un éclat de regard ? Un reflet de la peau ? Un parfum ? Mystère !
— C'est d'accord, je vous rejoins tout de suite ! m'assure Belloise qui n'apprécie pas tellement ma contemplation.
Mon regard colle à cette fille comme du sparadrap. Je l'arrache d'un coup sec. Ça fait mal, mais je serre les chailles !
— C'est ça, mon gars, remue-toi ; je suis pressé.
Là-dessus je regagne ma piaule. Je la trouve terriblement vide. Une chambre sans femme, c'est une choucroute sans jambon.
Vous ne pensez pas ?
Il est payant Riri, avec sa limace fantoche et son futal rouge. On dirait un zouave pontifical en vacances. La chemise porte un motif bizarroïde. Le truc représente confusément une course de traîneaux dans le Grand Nord (en anglais the Big North). Il s'est cloqué un serre-tronche, histoire de faire plus martial. Et le serre-bol comporte lui aussi un motif : des feuilles de lierre. On dirait que le gars Riri vient d'enlever le premier prix de tir au poulet à la Faculté de défouraillage de Bidanlair.
Comme je me marre, il s'inquiète :
— Quoi t'est-ce qu'il y a, m'sieur le commissaire ?
— Tu ressembles à Néron enfant, lui dis-je. T'aurais une plume dans le prose, la ressemblance serait hallucinante !
Il ronge son frein en gardant les bas morceaux pour plus tard.
— Vous vouliez me causer ?
— Oui, mon lapin. J'ai pris mes dispositions concernant l'attentat.
— Alors ?
— T'as le feu vert.
— Comment ça, le feu vert ? bée Belloise.
— Tu peux trucider Lormont tout est O.K.
On lui mettrait des fourmis rouges dans son calbart qu'il ne serait pas plus surexcité.
— Vous vous foutez de moi, commissaire.
— Pas du tout !
— C'est complètement insensé !
— Justement : j'adore les histoires de dingue.
Mais exciter trop longtemps la curiosité d'un type comme Riri n'a rien de plaisant. Son cervelet n'a pas le format Magnum, ce serait plutôt la bouteille échantillon. Je me décide à l'affranchir.
— Demain matin, Lormont viendra ici. Il sera fringué d'une manière un peu tapageuse ; tu me suis ?
— Avec peine.
C'est un cul-de-jatte de la matière grise. Avec cécoinces, il faut adopter la vitesse croisière et ne pas oublier de mettre ses clignotants dans les carrefours.
— Oui, mais…
— Une fois dans ma carrée il se dépoilera. Pas parce que j'ai des mœurs contre nature, mais parce qu'il refilera ses fringues à un homme à moi. Lorsque mon gars aura mis les vêtements de Lormont il ira faire un peu de ski.
— Tu le suivras, tu me files toujours le train, baby ?
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