— Ouvre l'œil ! dis-je à Pinaud. Il se peut très bien que ce soit un accident-bidon pour stopper le car.
— J'allais te le dire, balbutie le Déchet, notre gars vient de reprendre la valise au fric. Il sort, mine de rien, du bus.
— Suis-le, mine de rien, et dis-moi ce qu'il fait !
Pinaud obtempère. Dehors les conducteurs se psychanalysent à tout va.
— Et alors, espèce de manche, t'as appris à conduire sur un tracteur, ou quoi !
— Ben quoi, t'étais pas en phares !
— Ah ! parce qu'il te faut des loupiotes de D. C. A. pour que tu respectes la priorité !
Etc., etc.
La chère Huguette, qui n'avait pas bronché jusqu'à présent, quitte discrètement son siège. Il ne reste plus qu'une vieille rombière enrhumée, une petite fille endormie et moi à l'intérieur du véhicule.
— Et alors, l'Amorti, quoi de neuf ?
— Des voitures s'arrêtent à cause de l'accident, dans les deux sens. Le type à la valise s'éloigne mine de rien.
— Et la petite péteuse ?
— Elle le regarde s'esbigner tout en te surveillant à travers la vitre !
— Continue à bien mater, c'est maintenant qu'on joue le Concerto de Varsovie pour flûtes et mirlitons à moustaches, Pinuche. Les poulets qui devaient nous suivre de loin, tu les aperçois ?
— Ecoute, il y a maintenant toute une file de voitures, et tous les conducteurs en descendent ; Alors !
— Continue de filer le mec à la valoche.
Brouhaha, Klaxons, Interjections. Je continue d'être aux aguets. Votre San-Antonio, mes louloutes, c'est kif-kif une corde de violon ultra tendue. Un courant d'air le fait vibrer.
Comment goupiller cette opération ? Nous ne sommes que deux pour l'instant. Et nous avons affaire à des gens supérieurement organisés qui ont préparé minutieusement leur coup.
— San-A ! fait là voix altérée de Pinusky, le bonhomme vient de monter dans une voiture sport conduite par une ravissante blonde. Elle cherche à se dégager de la file pour filer en direction du Midi…
— Note son numéro, vite !
— C'est déjà fait.
— Maintenant, tâche de trouver les poulets qui nous collaient au prose. Il le faut.
J'entends la voix haletante de Pinaud qui se déplace précipitamment :
— Hep ! fait-il, messieurs… Vous êtes bien des policiers d'Auxerre, n'est-ce pas ?
— Qu'est-ce que ça peut vous f… ? répond une voix.
Pas d'erreur ; il s'agit de nos bonshommes. D'ailleurs, Pinuche qui a dû leur produire sa carte de poulaga confirme.
— Nos collègues sont là, San-A.
— Et la voiture sport ?
— Elle vient de filer.
— O.K. Emballez la gosse qui était avec moi, vite fait sur le gaz, j'arrive !
Je parviens dehors à l'instant précis où Pinaud et un gros sanguin cramponnent la chère Huguette par les ailerons.
— Mais que me voulez-vous ? s'indigne-t-elle, qu'est-ce que' c'est que ces manières ?
Je m'approche et je lui déclare en la poussant dans la D.S des flics :
— Fais pas de rebecca, Huguette, sinon je te flanque une telle fessée que tu risquerais de mourir centenaire sans avoir jamais pu te rasseoir !
— Mais je ne comprends pas, proteste-telle. Laissez-moi ou j'appelle au secours !
Des gens nous dévisagent, devinant qu'il se passe du louche. Je file une tarte sur le museau de la gamine et je demande aux deux poulets dépêchés par la rousse d'Auxerre de mettre le grand développement.
— Il faut absolument que vous recolliez à la voiture sport, mes amis ! dis-je.
Ils ne demandent pas mieux que de tourner sous ma direction ce beau morcif de bravoure. Ils ont toujours rêvé de jouer un western en vistavision.
— Où vont tes petits copains, ma choute ? questionné-je ; tu aurais intérêt à nous le dire avant que je fasse un malheur.
— Je ne sais même pas de quoi vous parlez !
— N'essaye pas de me vendre des berlues ; on m'en a livré une caisse la semaine passée et je ne l'ai pas encore entamée !
— Mais je ne sais rien ; je ne comprends pas ce que vous me demandez ! Qu'est-ce que tout cela signifie ?
— Tu veux me faire avaler ton innocence comme tout à l'heure ton narcotique, poupée ?
Elle en reste comme deux ronds de frites.
— Quoi ?
Je lui désigne Pinaud. Elle le reconnaît vaguement et commence à piger qu'il y a eu, à cause de sa pomme, du sable dans l'huile à salades ! Pour l'achever, je lui mets mes lunettes truquées.
— Chuchote quelque chose à la jeune fille, Pinaud, manière de lui faire admettre son erreur.
— Vous êtes marron, murmure très bas le débris vivant.
Cette fois, miss Peste a pigé.
— J'ai été, grâce à cette remarquable invention, tenu au courant de vos moindres faits et gestes, ma gosse. L'échange des valises avec la housse et tout… Et ton complice qui se trouve maintenant dans la brouette de la chère Eva. Tu vois ?
Elle voit. Mais elle s'enferme dans un mutisme absolu.
— Dis-moi tout de suite où ils vont. Tout de suite, entends-tu, sinon ça va saigner pour ta jolie peau !
Moi je pense à mes trois zigotos perdus dans ce coin d'Afrique. Cette fois, je ne laisserai pas échapper l'occasion qui s'offre de coiffer la bande. J'ouvre la portière de mon côté et je cramponne la môme Huguette par le bustier. Elle se débat, hurle, supplie mais je reste aussi insensible qu'une motte de saindoux devant la mer de Glace. Elle a le buste à moitié sorti hors de l'auto. La tête en bas, les yeux à quarante centimètres de la route qui défile à cent quarante à l'heure !
— Tu vas parler, dis, petite garce ? Ou je te largue tout à fait !
Mes collègues d'Auxerre n'en reviennent pas. Ils se disent qu'à Pantruche les poulagas ont de drôles de méthodes : Huguette, morte de frousse, hurle comme une truie qu'on égorge. Je la retire de sa fâcheuse position, mais sans relourder la portière.
— Dis-nous vite où ils vont, sinon tu y passes !
— A l'avion, bégaye-t-elle.
Ses cheveux décoiffés ressemblent à une tête de loup. Elle a le sang au visage et ses yeux sont rouges. Des larmes coulent sur ses joues, elle ne songe pas à les essuyer.
— Et où est-il, l'avion ?
— Dans un champ… C'est dans le Morvan. Je ne sais pas où exactement !
M'est avis que ça ne doit pas être loin d'ici, car sinon l'accident-bidon aurait eu lieu plus loin. Je pense que ces canailles ont pris un chemin de traverse, sinon nous les aurions recollés à l'allure où nous allons !
— Vous avez la radio à bord ? je demande aux poulardins.
— Oui, M'sieur le commissaire.
— Etablissez immédiatement un contact avec la base de Villacoublay.
Ces messieurs les grosses tronches s'activent. La petite Huguette hoquette. Elle est dans un état de prostration très avancé pour son âge.
— Vous l'avez, monsieur le commissaire.
— Thank you vert' much ! fais-je en me penchant par-dessus la banquette pour pouvoir jacter in the micro.
Je me fais connaître, je donne mon chiffre, et j'annonce à ces messieurs qu'un avion clandestin va s'envoler du Morvan d'un instant à l'autre. Il mettra probablement le cap sur l'Afrique. Ordre de l'intercepter coûte que coûte, par n'importe quel moyen et de le contraindre à atterrir sur l'aérodrome de Chalon-sur-Saône.
Les gars me disent que c'est O.K. Ils vont alerter les radars et des escadrilles de chasse. J'ai idée que ma brave Eva va avoir des émotions fortes d'ici pas longtemps et peut-être avant.
— Alors, Monsieur le commissaire, on fait quoi t'est-ce ? s'informe le conducteur.
— On met le cap sur Chalon, dis-je. Inutile de rouler à tombeau ouvert, maintenant c'est aux aviateurs de jouer.
Une heure plus mieux tard, comme le dit Béru qui cause si bien français à ses heures, nous débouchons sur l'aéroport de Chalon. Il jouxte la Nationale. On a prévenu de notre arrivée et il y a des lumières à Giono.
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