Alors je fonce.
Malheur! Ah! funeste sort. Tu sais quoi? Le camion, en s'engageant dans la trouée, l'a obstruée entièrement. Il m'est impossible d'entrer dans le gymnase. J'attrape le rebord du plateau, m'y hisse. La paroi de la cabine est un obstacle tout aussi infranchissable. Par la lucarne dont le verre s'est brisé, je distingue un nuage de vapeur, à cause du radiateur éclaté. Béru n'a pas de mal. Il s'évertue comme un régiment de Cosaques dans l'antichambre d'un bordel pour tenter d'ouvrir sa portière, mais elle est bloquée par le mur. Il est là, l'Enfoiré, fiché dans le gymnase comme un robinet dans la bonde d'un tonneau.
— Recule! hurlé-je. Mais recule donc, Sac à Merde!
— Et mon cul! glapit l'Auroch, à demi asphyxié par la vapeur et la poussière. Tu croives qu'y marche encore, c' moulin, après une pétée pareille!
Soudain, le calme me revient!
— Calmos, Gros! Derrière les sièges, j'aperçois des outils! Essaie de me filer une pioche par la lucarne.
— Et comment veux-tu qu'é passe, fleur de mes couilles!
Mais mon renseignement n'est pas tombé dans l'oreille de Beethoven! Il empare l'outil désigné pour, tant mal que bien, démanteler le cadre du pare-brise. Moi, toujours, guette-au-trou, j'essaie de mater l'intérieur du gymnase. Qu'aperçois-je? Une vaste pièce comportant des portiques, des chevaux d'arçon, des barres parallèles, des anneaux, des trapèzes et autres instruments propres à la musculation d'un individu décidé à se constituer un capital biceps. Dans le fond du gymnase se trouvent deux portes. L'endroit n'est éclairé que par la clarté tombant de la verrière et qui provient du maigre éclairage de la rue. L'une des portes du fond vient de s'ouvrir et deux personnages accourent vers le lieu de «l'accident»: un homme blond et grand, vêtu d'un training rouge et une fille superbe, dans les roux vénitiens, portant un jean noir et un sweater vert.
— Démerde-toi pour sortir du camion, Gros! lancé-je rapidement. Dès que tu seras dans le local, neutralise ce couple et va voir dans les pièces adjacentes.
Quant à moi, je dois affronter la badauderie accourue aux renseignements. Comme je suis juché sur le plateau, ces bonnes gens m'interrogent.
— Aucun accident corporel! les déçois-je. Inutile de prévenir la police, les gens de l'intérieur sont en train de s'en occuper.
Ayant calmé le danger, de ce côté-ci, j'observe les agissements du Gravos. Il est en train de se scalper en franchissant le cadre du pare-brise, biscotte les tessons de verre. Le grand mec blond l'agonise comme un perdu. Il les a à la caille de voir débouler un camion dans leur antre. C'était pas prévu sur son cahier des charges, l'artiste!
Comme Béru ne comprend pas l'allemand, il se contente de clopiner bas en direction du gazier en se massant les hanches. Il geint à fendre du bois et à perdre haleine, mon Gros. Tout juste s'il ne chiale pas.
Le gars continue de vociférer. Alors Big Apple y va de son mémorable coup de boule. C'est chaque fois une sorte de chef-d'œuvre. Un mouvement animal: mi-bouc, mi-taureau (Béru, quoi!). Une amorce de charge avec, le ponctuant, un formide mouvement de tronche. Quand t'as dégusté ce boutoir dans le portrait, plus la peine d'aller te faire photomatonner: les clichés qui en résulteraient ne seraient pas utilisables pour un document officiel. Fectivement, le grand blond cesse immédiatement de se ressembler. Il a la bouche en forme de steak tartare au centre duquel on ménage un trou pour le jaune d'œuf; et puis son nez naguère rectiligne ressemble maintenant au pouce d'un gant de boxe. Il titube, cherche, tel Atlas, un point d'appui pour soulever le monde et, n'en trouvant pas, s'écroule.
Mon Gros, ça ne lui a pris que deux secondes un tel exploit. Déjà il «s'occupe» de la gonzesse. Pour elle, c'est le coup du timbalier qu'il lui a réservé. Une double claque simultanée, avec les deux mains à la fois. En serre-livres! Ça doit lui rétrécir la frimousse de cinq centimètres! Elle aussi va à dame. Pépère se retourne vers moi et, le pouce brandi, me confirme son triomphe.
— Contrôle-les avant de sortir! lui crié-je.
Vu que t'as des natures retorses qui récupèrent en un clin d'œil. Mais il sait la vie aussi bien que moi, mon berger fidèle. Alors: un shoot délicat à la nuque du type: un second plus nuancé, à celle de la fille. Content de soi, il redresse son chapeau cabossé par l'impact, le recoiffe et se dirige vers la porte restée ouverte.
Mais avant qu'il ne l'ait atteinte, deux événements surviennent. L'un positif, l'autre négatif. Le positif c'est l'apparition de Toinet. Le môme paraît un peu chiffonné.
— Tonton Béru! s'écrie-t-il.
Et il se précipite dans les bras du Gravos, très ému. Ce faisant, il bloque les mouvements de notre illustrissime compagnon à un moment où celui-ci en aurait grand besoin! Car l'événement négatif se produit: à savoir le retour des deux «infirmiers» et du garagiste qui nous coursaient. Bredouilles, ils viennent de rallier leur base et, crois-moi, ce retour est extrêmement inopportun. Une brève période d'indécision suit leur entrée.
Ahuris, ils contemplent cet avant de camion dans le gymnase, puis ce gros mec avec l'enfant dans les bras. Cette dernière image leur révèle illico que «l'accident» est, en réalité, un coup de main. Alors le plus gros des infirmiers dégaine son pistolet-mitrailleur, celui qui, naguère, m'a regardé au fond des yeux. Il hurle au Mastar de lever les mains. Béru qui n'a pas eu l'opportunité d'apprendre le boche depuis son entrée fracassante en ces lieux, met du temps à réaliser. Seulement, quand un vilain t'aboie après en brandissant un calibre pour travailleur de force, une certaine interprétation s'opère, fût-ce dans des cerveaux réalisés par M. Bouygues. Voilà pépère qui repose le lardon sur le tapis-brosse et qui cherche à saisir les nuages.
Et moi, dans tout ça?
Moi? Viens, tu vas voir!
Tu sais, dans les dessins animés, la scène clé? Le chat qui poursuit la souris, ou le chien qui course le rat?
A une allure supersonique, je saute du camion. Le temps de crier aux badauds:
— Dispersez-vous, je crois que le réservoir d'essence va exploser, afin de les dissuader de prendre ma place.
Je vais à l'angle de la rue. Vire une première fois à gauche! Puis une seconde. Et une troisième en fin de compte de manière à parvenir dans la cour précédant le gymnase. La camionnette de mes ex-poursuivants s'y trouve. Je fonce à la lourde. Elle est fermée, mais je ne me sépare jamais de mon sésame. Cric! crac! Merci, Jehanne d'Arc!
Un palier avec des portes à bloundi donnant sur le local. Elles sont munies de deux hublots, comme celles qui permettent l'accès à une salle de cinoche. Je regarde et m'aperçois que mister Dodu trempe dans un bain de gadoue assez pas mal! L'un des infirmiers l'a ceinturé et lui maintient les bras dans le dos, tandis que les deux autres l'estourbissent avec leurs crosses! Courageux comme un lion, le Toinet flanque des coups de pied dans les jambes des deux tagonistes, qu'à la fin il a droit à une beigne qui l'étend, mon loupiot!
Il est temps d'interviendre, Sana! Sinon, ce qu'il subsistera de ton brave Béru pourra être rapatrié en France dans une cantine militaire! En loucedé j'écarte les portes. Flingue en pogne, je vise le jarret du plus méchant. La vacca! Ça lui fait exploser la rotule! La douleur est si violente qu'il s'évanouit, le pleutre!
— Lâchez vos armes, vous êtes cernés! gueulé-je d'une voix de stentor vénitien.
L'Antonio, toujours émérite, a pris soin de se coucher derrière les deux portes. Eh bien lui en biche car le deuxième «infirmier» a volté pour un arrosage express. Y a plein de petits trous dans les panneaux de bois.
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