Frédéric Frédéric - La sexualité

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Voici un « San-Antonio » comme vous n'en avez encore jamais vu ! Une parodie débridée de l'érotisme qui, de nos jours, submerge le monde de la littérature et du spectacle. Que vous soyez virils ou impuissants, la lecture de ce livre vous passionera. Jamais San-Antonio n'est allé aussi loin dans la caricature, dans la bouffonnerie, dans la farce, dans « l'hénorme ».
« La Sexualité » est grouillante de personnages démesurés qui appartiennent désormais à la littérature.

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— Pan !

Deuxième balle. Cette fois il ne tombe pas. Elle lui a pénétré l’épaule gauche. Ça doit être du gros calibre si j’en juge à l’impact. Blut pirouette légèrement et se place face à moi. Il me regarde. Ses mâchoires sont tellement crispées que sa tête paraît s’être rétrécie. Une troisième balle. Il a dû être cueilli dans le dos. L’acier pleut verticalement. C’est la méchante averse. L’Allemand choit à genoux. Il a de l’eau jusqu’à la poitrine. Il continue de me regarder. Une fantastique résignation se lit dans ses yeux clairs. Il accepte. Son banco qui finit de foirer. Il est d’accord. On ne baise pas la maffia ! L’heure de la mise à mort a sonné. Il attend que la cérémonie s’accomplisse. Son dernier réconfort ? Un regard d’homme rivé au sien, et qui essaie de le confirmer dans son courage, qui l’exhorte à bien mourir. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un témoin lorsqu’il rend l’âme. La seule chose que je puisse faire pour l’aider, c’est juste ça : le contempler…

Le contempler fixement. Sans ciller.

Pan !

Les balles s’égrènent avec une lenteur calculée. Elles sont savamment tirées, machiavéliquement espacées. Il s’agit de faire durer l’agonie. Percer l’homme à petit(s) (coups de) feu.

Et le plus impressionnant dans cette exécution, c’est le mutisme du supplicié. Pas un cri, pas une plainte, aucun gémissement. Il meurt comme un arbre sous la cognée du bûcheron !

Combien de balles en tout ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Par la suite, dans mes insomnies, je sais que je referai le compte mentalement ; comme pour ces jeux radiophoniques où l’on vous demande combien il y a eu de coincoin et de sifflets pendant la diffusion d’une bande sonore.

Dix balles ?

Douze ?

Il est percé de part en part. Son veston est constellé de trous qui, au fur et à mesure, sont noyés dans des flots rouges. Il a un veston rouge, Blut. D’un pourpre étincelant.

À la fin il s’abat d’une seule masse, le nez en avant. Pendant un instant on entend gargouiller, tandis que des grappes de bulles se bousculent autour de sa tête. Et puis plus rien. Il est immobile. Enfin foudroyé.

Le silence revient.

Je n’entends que le sifflement saccadé de ma respiration. De la sueur me coule contre les ailes du nez. Ça me chatouille.

— Parfait, déclare la voix dans le haut-parleur. Monsieur le commissaire, vos deux confrères d’ici vont venir chercher le corps. Pendant qu’ils s’occuperont de lui, restez où vous êtes.

Les mots me parviennent après avoir perdu la plus grande partie de leur sens. Je suis obligé de m’appliquer à les penser. « Vos deux confrères d’ici ?… Ah, oui : le Champignon et Mao… Chercher le corps ?… »

Un double bruit de pas, amplifié par les voûtes. Des cric et des crac , des pfouiiit et des plaof . Toute la séquelle de serrures et de verrous de nouveau actionnés… La porte s’ouvre. Les deux acolytes me refoulent d’une bourrade. Je tombe de l’escalier et me remets à clapoter du bec dans ce sirop de pisse. Je me redresse. Mais tonnerre de sort, quel est ce soudain vacarme qui me fait éclater les tympans ? Un nuage âcre tournoie autour du réflecteur. Je tousse, j’éternue. J’avise le Champignon et Mao effondrés, criblés de balles, par-dessus la carcasse de Peter Blut. Des rafales de mitraillettes continuent de partir du plaftard. Rrrraaaaâ ! Encore ! Des pleins chargeurs. Un jet de prunes actionné en rond dans un tout petit périmètre. Ils sont hachés. Leurs tronches sont en bouillie. On les transforme maintenant en purée de bidoche. On ne les massacre pas : on les passe au mixer.

Lorsque le silence revient, le bruit des détonations continue de crépiter dans mes portugaises dévastées.

Pour la dernière fois, le haut-parleur s’adresse à moi.

— Vous pouvez partir, monsieur le commissaire, ce sera tout !

La lumière s’éteint !

S comme sains et saufs

Ça ne vous est jamais arrivé Ne vous arrivera jamais De vous trouver dans un - фото 26

Ça ne vous est jamais arrivé.

Ne vous arrivera jamais…

De vous trouver dans un trou de balle de basse fosse [56] Je me convertis lentement à la politesse. vénitien, en compagnie de trois cadavres truffés de projectiles, avec de l’eau fangeuse jusqu’aux genoux.

L’obscurité est sinistre, pire qu’avant l’hécatombe. Mais plus forte que la peur et que l’émotion, c’est la stupeur qui m’accable.

M’est arrivé d’être abasourdi dans ma garcerie de carrière. Jamais pourtant à un tel degré.

L’exécution de Peter Blut, à la rigueur, je veux bien. Mais celle des deux convoyeurs ? Un massacre si brusque. Et moi indemne… Voilà le plus sidérant. Le San-A. flic d’élite ayant découvert le fin mot de l’histoire. Mis au parfum complètement. Devant lequel on flingue à tout-va et auquel, la tuerie accomplie, on conseille de rentrer chez lui ?

C’est pas croyable, hein ?

Vous êtes bien d’accord ? Vous ne croyez pas à ça, cartésiens de mes deux ? Vous déniez, non ? Vous daignez dénier ! Tout comme le fils unique de Félicie, vous vous dites que ça cache quelque chose d’hautement épouvantable. De prodigieusement affreux [57] Je suis un adverbiste pas très distingué mais fervent. . De forcément terrible.

J’en ai la conviction, au point que je n’ose pas quitter ce lieu effroyable. Je me dis qu’il va m’arriver un coup de Trafalgar (aux taches) carabiné (ou carabinier puisqu’on est en Italie). Quéque chose de rigoureusement inédit et fâcheux. Du raffiné, du Ruffino, de l’irrationnel peut-être (mon rêve). Mais quoi, on doit marcher vers son destin pour qu’il devienne destin. Le laisser en perspective, c’est de la coupable négligence. De l’abus de n’en plus pouvoir. Alors je finis de gravir les marches. Je pousse la porte de fer, elle s’ouvre. Je pousse la monstrueuse grille pour prisonniers de films historiques, elle s’ouvre… Je m’engage dans le couloir visqueux, ça n’engage en rien. Mon pas sonne sous les voûtes. Je ne perçois que lui, en fait de bruit. Lorsque je m’arrête, le silence revient, à peine troublé par des suintements d’eau. Alors je repars en direction du jour. Je continue de douter de la réalité. C’est pas possible « qu’ils » me laissent en vie MAINTENANT ! La clarté s’élargit, comme l’aurore au fond du ciel. Voici le vaste hangar aquatique. Le canot ne s’y trouve plus. Des vagues clapotent contre les dalles. Je vois le canal inondé de soleil, au fond. Des gondoliers passent en faisant « Oï » à cause de la bifurcation imminente. Quelque part, une téloche retransmet un match de je ne sais quoi qui fait hurler un stade. La vie ! La liberté ! Est-ce vrai ? Est-ce possible ? N’ai-je point été trucidé avec les autres et ne m’engagé-je pas dans les mystérieux dédales d’une mort en forme de survie ?

Le long de la paroi, un étroit trottoir de pierre léché par le flot conduit au canal. Je le suis. La nappe de lumière se fourvoie jusqu’à mi-hangar. Ah ! beau soleil, quel bonheur de te retrouver après s’être arraché au cloaque ! Je presse l’allure. Me voici en bordure du canal ! Comme c’est beau, Venise !

— Oh, oh ! lance une voix.

Je tourne la tête. La marquise est là, assise dans une gondole, sur des coussins de velours fatigués par les intempéries. Elle est blottie sous une ombrelle grise bordée de dentelle blanche. On dirait un Renoir.

De sa main libre elle m’adresse un grand signe joyeux. Puis elle dit quelque chose au gondolier en canotier qui sifflotait, appuyé sur sa longue rame. L’embarcation quitte le renfoncement où elle s’était blottie et s’avance majestueusement vers moi.

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