COLUCHE :Je voudrais rectifier simplement le mot que vous avez dit de «charité ». Il ne s’agit pas du tout de charité, il s’agit de redistribution. Il s’agit en fait de politique. Je me suis présenté en 1981 pour rien, maintenant je ne me présenterai plus, mais je vous gênerai toujours un petit peu. Sur des détails, des choses, et surtout je veux faire participer le maximum de gens. Peut-être qu’à ce jeu-là je vais me casser les reins, mais je m’en fous, tout le monde a le droit de s’amuser. Moi, c’est mon jeu.
Qu’est-ce que j’ai l’impression de leur apporter, c’est ça la question ?
Il est évident que, dans le spectacle, on est des parasites, parce qu’on ne produit rien. Par contre, il est indéniable qu’on apporte quelque chose à des tas de gens. La profession… si vous prenez des artistes je dirais de sensibilité différente, eh bien, il y en a un qui plaît aux personnes âgées, un aux enfants de huit à douze ans, un aux adolescents… L’ensemble de l’affaire comble tout le monde. C’est ça, notre profession. C’est une vocation, on aime distraire.
QUESTION : Ne pensez-vous pas que, notamment, dans le cadre de ce renouvellement tout à fait quotidien ou hebdomadaire de ces contrats, le pouvoir du comédien n’est finalement qu’un peu illusoire, car s’il va trop loin, il suffit aux dirigeants de ne pas renouveler le contrat ?
COLUCHE :Absolument. Je suis tout à fait de cet avis. D’autant que ce pouvoir n’existe que parce que ce n’est pas une institution. Donc si ça en devenait une, il perdrait de son pouvoir. Il est vrai, parce qu’il est léger en même temps. C’est sûr, absolument sûr.
D’ailleurs, vous savez, vous parlez de ça comme d’un pouvoir, vous jugez le résultat, parce qu’en fait, au départ, comme le disait M. Dalmas, je ne suis ministre de rien d’une part, et puis, je n’ai même pas de culture.
Notre profession, notre vocation à nous les artistes, c’est de séduire, et de surprendre. Il faut être aussi là où on ne nous attend pas. C’est certain que si un jour toutes les forces se mettent contre nous, qu’on essaie de constituer ce pouvoir en institution, à ce moment-là, on n’aura plus la faveur du public, puisque justement on sera un pouvoir de plus. L’intérêt justement, c’est ça, c’est d’être frondeur.
On peut quand même faire beaucoup de mal à la politique. Cela dit, la politique nous le rend bien, même à ceux qui font rien. Mais on peut lui faire beaucoup de mal en appelant à l’abstention. Et en partant d’une idée, par exemple, qui serait inexploitée, parce qu’elle aurait été soit gardée secrète, soit endormie dans un coin, et qui pourrait rassembler tout le monde. Parce qu’en fait le problème c’est qu’aujourd’hui le public croit encore à certains hommes politiques, mais plus à aucun parti.
Voilà pourquoi le pouvoir est à prendre. Une fois c’est la gauche qui gagne les élections, une fois c’est la droite, mais c’est jamais la France. Alors on en a marre, on n’en veut plus. Ça nous sort par les yeux. Alors justement, si des fois il y en avait un qui se levait au milieu, et qui s’appelait Yves Mourousi, on pourrait le pousser loin. Eh oui, parce que c’est vrai, qu’il faudrait le pousser de loin, Mourousi, il va pas être président de la République l’année prochaine, mais en 2002… Ah, y a pas, c’est du boulot d’amener un mec à la présidence ! C’est pas demain qu’on peut faire ça !
Cela dit, mon exemple à moi… je dis que j’essaierai toujours de les emmerder, c’est vrai, mais y a rien qui prouve que j’y arriverai, vous avez raison. Mais l’exemple peut servir à un autre.
Si vous voulez, le truc… je crois, ce qui fait la fragilité des médias, c’est les situations. Moi j’ai fait mon histoire parce qu’on est dans une période électorale, où manifestement les journaux ne veulent parler que de ça pour sensibiliser l’opinion, et où les cadors retiennent leur souffle jusqu’au dernier moment pour dire leurs noms sur les listes. En même temps, on parle d’eux, mais eux ne parlent pas. Pour exploiter la politique en ce moment, on peut tout prendre. C’est comme ça que je me suis présenté aux élections en 1981, et c’est comme ça que j’ai fait les Restaurants du Cœur. C’est une situation qui est favorable, et qu’on a choisie à un moment précis.
QUESTION : Coluche, pensez-vous que ce soit une bonne chose que les artistes s’engagent politiquement ?
COLUCHE :Les artistes, ou les Nègres, hein ? Je ne suis pas raciste. Alors ça, les racistes, les pédés, les Nègres, les Blancs, les vieux, les jeunes, les femmes, tous ceux qui veulent peuvent s’engager. Y a aucun problème. Pourquoi, les artistes, on est différents ? Je sais pas quoi vous dire. Pourquoi pas ?
QUESTION : Coluche, j’ai eu l’occasion de rencontrer des comédiens, des metteurs en scène, des compositeurs de musique comme Francis Lai, et des metteurs en scène comme Robert Hossein et d’autres, et leurs motivations étaient très différentes. C’est pourquoi je me permets de vous demander : qu’est-ce qui vous motive en fait vous-même ? Est-ce que c’est l’argent, la notoriété, ou tout simplement le plaisir, sous toutes ses formes !
COLUCHE :Bonne question, comme disait le politique, je vous remercie de me l’avoir posée… Qu’est-ce qui me motive ? Je ne sais pas. C’est l’occasion, je crois. J’avais pas d’intention au départ. J’ai fait comédien, parce que je voulais plus être ouvrier. Alors j’ai commencé à chanter avec une guitare dans les restaurants, et puis j’ai rencontré des mecs qui ont fait un café-théâtre, le café-théâtre a marché, et je suis un miraculé du spectacle, au sens où j’ai jamais connu de salles vides…
J’étais dans une première affaire, qui s’appelait le Café de la Gare, qui a tout de suite marché, puis après ça, j’ai joué tout seul, ça a tout de suite marché. Donc j’avais pas une intention au départ. Je me suis pas dit : j’ai une culture donnée, à quoi est-ce que je vais utiliser ce talent. Non. J’ai découvert un talent au fur et à mesure que j’apprenais un métier, et je me suis retrouvé dans une situation…
Je me suis présenté en 1981 aux élections, pour ne pas être élu, parce qu’il faut quand même pas me soupçonner d’avoir voulu être élu, ça me fâcherait, ça me vexerait disons… je me dis que… le public étant totalement désintéressé de la politique, comme moi j’aime la politique, je trouve un moyen d’intéresser le public à la politique. Voilà.
Alors vous posez la question comme si j’avais pu calculer l’affaire, en fait… je vais vous répondre, pour l’argent, que quand j’ai gagné une certaine somme que je veux pas dépasser à cause des impôts, je m’arrête, en général dans l’année… la gloire m’intéresse parce que c’est ma vocation, et enfin, les comédiens veulent être le plus connu du plus grand nombre… En dehors de ça, je dirais que ce qui m’anime le plus, c’est l’efficacité du résultat. C’est vraiment ça qui me fait le plus marrer, qui me fait le plus plaisir. J’y passe beaucoup d’heures, aux Restaurants du Cœur, mais c’est d’une efficacité ! Qui a de quoi réjouir !
QUESTION : Vous avez démontré, en fait, on le sait, que les médias aujourd’hui, journaux, télévisions en particulier, radios, ont un impact considérable. Le problème que je me pose de temps en temps, c’est les gens qui en sont responsables, c’est-à-dire pas spécialement artistes, les journalistes en particulier, sont-ils parfois assez formés pour savoir ce qu’ils disent, et ne risquent-ils pas d’avoir dans les mains un instrument beaucoup trop puissant, qui risque d’orienter le public vers des voies… peu importe, qui sont fausses, mauvaises, vers d’autres…
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