Brown, Dan - Deception point

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Elle but la tasse et battit des pieds pour retrouver la surface, apercevant, non loin, ses deux compagnons qui l‘imitaient, emmêlés dans la corde qui les reliait. Au moment précis où elle s‘était stabilisée à la surface de l‘eau, Tolland hurla :

— Il remonte !

L‘écho de sa voix résonnait encore au-dessus de l‘océan furieux quand Rachel sentit l‘eau bouillonner sous elle. Comme une locomotive géante dont le conducteur aurait enclenché la

– 240 –

marche arrière, l‘iceberg amorçait sa remontée. Un grondement sourd monta des profondeurs et l‘iceberg refit progressivement surface à côté du glacier dont il s‘était détaché.

Il accéléra son ascension et sa masse claire surgit de l‘océan sombre, hissant Rachel et ses compagnons hors des flots. Dans l‘eau jusqu‘à la taille, la jeune femme se débattait pour retrouver l‘équilibre. L‘iceberg oscillait et cherchait lui aussi son centre de gravité. Le torrent d‘eau qui ruisselait à la surface entraînait Rachel vers la périphérie. Elle se sentit partir à toute allure vers le rebord.

« Tiens bon ! » C‘était la voix de sa mère, celle qu‘elle avait entendue, petite, alors qu‘elle se débattait sous la glace de l‘étang. « Tiens bon ! Ne te laisse pas aller ! »

Elle virevolta brutalement, tirée violemment par son harnais, et ses poumons expulsèrent le peu d‘air qui leur restait.

À une dizaine de mètres derrière elle, le corps mou de Corky, qu‘elle traînait toujours, s‘arrêta lui aussi. Avec la baisse du niveau d‘eau, elle distingua une autre forme sombre, à quatre pattes, accrochée à la corde, qui recrachait de l‘eau de mer.

Michael Tolland.

Toujours submergée par les dernières vagues qui s‘écoulaient de l‘iceberg, Rachel s‘immobilisa, écoutant mugir l‘océan. Frissonnant de froid, elle se redressa péniblement.

L‘iceberg continuait à ballotter sur les flots, comme un glaçon géant. Percluse de courbatures, complètement désorientée, elle rampa vers ses deux compagnons.

Du haut de la plate-forme Milne, derrière ses jumelles à vision nocturne, Delta 1 scrutait les vagues qui fouettaient les flancs du nouvel iceberg. Il ne fut pas surpris de n‘apercevoir aucun corps. Les combinaisons et les capuches de ses victimes étaient aussi noires que l‘océan.

Avec une visibilité de plus en plus faible, il survola du regard la surface de l‘iceberg qui s‘éloignait rapidement, emporté vers le large par les courants. Il était sur le point de détourner son regard vers le large quand il remarqua trois points noirs sur la glace. Des corps ?

— Tu vois quelque chose ? s‘enquit Delta 2.

– 241 –

Delta 1 ne répondit pas et ajusta la vision télescopique de ses lunettes. Sur le fond pâle de l‘iceberg, trois silhouettes immobiles se détachaient, blotties les unes contre les autres.

Mortes ou vives, il n‘en savait rien. Peu importait, d‘ailleurs.

S‘ils étaient vivants, ils seraient morts dans moins d‘une heure, malgré leurs combinaisons isothermes. Ils devaient être trempés, la tempête menaçait, et ils dérivaient vers le large, sur l‘un des océans les plus dangereux de la planète. On ne retrouverait jamais leurs corps.

— Non, ce ne sont que des ombres, répondit Delta 1 en rebroussant chemin. Rentrons à la base.

57.

Le sénateur Sedgewick Sexton posa son verre de cognac sur la cheminée et tisonna le feu, tâchant de rassembler ses pensées. Les six hommes assis dans son salon restaient silencieux, dans l‘expectative. Le moment des bavardages était terminé. Il était temps pour le sénateur de leur vendre sa camelote. Ils le savaient, il le savait. Un homme politique est d‘abord un bon vendeur.

— Comme vous le savez peut-être, commença Sexton, en se tournant vers eux, ces derniers mois, j‘ai rencontré beaucoup d‘hommes dans votre position.

Il sourit et s‘assit pour se mettre à leur niveau.

— Vous êtes les seuls que j‘aie invités chez moi. Vous êtes tous des entrepreneurs hors du commun et c‘est un grand honneur de vous rencontrer.

Sexton joignit les paumes et balaya le cercle d‘invités du regard, prenant grand soin d‘établir un contact visuel avec chacun d‘eux. Puis, il se concentra sur sa première cible. Un grand et fort gaillard coiffé d‘un chapeau de cow-boy.

– 242 –

— Space Industries of Houston, fit Sexton. Je suis content que vous soyez venu.

— Je déteste cette ville, grommela le Texan.

— Et je vous comprends très bien. Washington s‘est montrée injuste à votre égard.

Sous le rebord de son chapeau, le Texan lui lança un regard, mais ne dit rien.

— Il y a douze ans, commença Sexton, vous avez fait une proposition au gouvernement américain. Vous lui avez offert de construire une station spatiale américaine pour seulement cinq milliards de dollars.

— C‘est vrai. J‘ai encore les plans.

— Et pourtant la NASA a convaincu le gouvernement qu‘une station spatiale américaine devait être un projet de l‘Agence.

— Exact. La NASA a commencé la construction de la station il y a presque dix ans maintenant.

— Dix ans. Et non seulement cette station n‘est pas encore opérationnelle, mais le projet a coûté vingt fois votre offre. En tant que contribuable de ce pays, je suis écœuré.

La pièce résonna de murmures approbateurs. Sexton regarda à nouveau ses invités un à un pour rétablir le contact.

— Je suis bien conscient, continua le sénateur, que certains d‘entre vous ont offert de lancer des navettes spatiales privées pour la somme très modique de cinquante millions de dollars par vol.

Nouveaux murmures favorables.

— Et pourtant, la NASA vous a coupé l‘herbe sous le pied en ramenant ses tarifs à seulement trente-huit millions de dollars par vol... alors que le coût réel dépasse cent cinquante millions de dollars !

— C‘est leur façon de nous interdire la conquête spatiale, fit remarquer l‘un des hommes. Le secteur privé ne peut pas rivaliser avec une entreprise qui se permet de procéder à des lancements à quatre cents pour cent de perte, et pour laquelle la notion de faillite n‘existe pas.

— C‘est de la concurrence déloyale, ajouta Sexton.

Nouveaux hochements de tête en face.

– 243 –

Sexton se tourna vers son voisin, un entrepreneur au visage austère, un homme dont il avait consulté le dossier avec intérêt.

Comme nombre de ceux qui subventionnaient la campagne de Sexton, cet homme était un ex-ingénieur militaire que les lourdeurs de l‘administration et un salaire modeste avaient lassé, et qui avait démissionné de l‘armée pour chercher fortune dans l‘aérospatiale.

— Kistler Aerospace, reprit Sexton en secouant la tête d‘un air de profonde compassion. Votre entreprise a mis au point et fabriqué une fusée qui peut placer des satellites en orbite pour seulement quatre mille dollars le kilo alors que le coût de la NASA est de vingt mille dollars le kilo. (Sexton s‘arrêta pour ménager son effet.) Et pourtant vous n‘avez pas de clients.

— Comment pourrais-je dénicher le moindre client ?

répliqua l‘homme. La semaine dernière, la NASA nous a brûlé la politesse en facturant à Motorola seulement mille six cents dollars le kilo pour lancer un satellite de télécoms. Le gouvernement a lancé ce satellite avec neuf cents pour cent de pertes !

Sexton acquiesça. Les contribuables subventionnaient bon gré mal gré une agence dix fois moins efficace que l‘industrie privée.

— Il est devenu douloureusement clair, poursuivit le sénateur d‘une voix grave, que la NASA travaille dur pour tuer toute compétition dans l‘espace. Elle évince les entrepreneurs privés de l‘aérospatiale en fixant ses tarifs très en deçà de la valeur réelle des services qu‘elle offre.

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