Brown, Dan - Forteresse digitale
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— Si cet algorithme sort, murmura-t-elle, la cryptologie deviendra une science morte.
— Et c’est là le moindre de nos problèmes.
— On ne peut pas acheter Tankado ? Je sais qu’il nous déteste, mais si on lui offrait quelques millions de dollars... Ça pourrait peut-être le convaincre ?
— Quelques millions ? gloussa Strathmore. Avez-vous une vague idée de la valeur marchande de son invention ? Toutes les nations seront prêtes à vider leurs réserves d’or pour l’acquérir.
Vous me voyez annoncer au Président que nous continuons à intercepter des missives des Irakiens, mais que nous sommes incapables de les décoder ? C’est tout le renseignement qui va en pâtir, pas seulement la NSA. Tout le monde s’appuie sur notre travail – le FBI, la CIA, la DEA... ils vont tous devenir aveugles. Les cartels de la drogue vont pouvoir s’en donner à cœur joie, envoyer leur marchandise où bon leur semble, les multinationales expédier leurs capitaux vers les paradis fiscaux sans payer le moindre impôt, les terroristes chatter sur le net dans la plus stricte intimité – ce sera le chaos !
— Et le jour de gloire de l’EFF..., conclut Susan, pâle.
— L’EFF ne soupçonne pas le travail que nous accomplissons, lâcha Strathmore avec dégoût. S’ils savaient le nombre d’attaques terroristes que nous avons pu déjouer grâce au décryptage, ils changeraient de disque.
– 42 –
Susan était de cet avis. Mais il fallait être réaliste. Jamais l’EFF ne connaîtrait l’importance stratégique de TRANSLTR.
Grâce à cette machine, des dizaines d’attaques avaient été contrecarrées, mais toutes ces informations étaient classées secret-défense et ne seraient jamais divulguées. La raison en était simple : éviter la panique de la population. Comment réagirait le citoyen américain s’il apprenait qu’en une seule année il avait échappé de justesse à deux attaques nucléaires que préparaient des groupes extrémistes établis dans le pays ?
Et les bombes atomiques n’étaient pas la seule menace...
Quelques mois plus tôt, un attentat terroriste d’une ingéniosité hors pair avait été déjoué in extremis par TRANSLTR. Un groupe révolutionnaire avait échafaudé un plan machiavélique, baptisé Forêt de Sherwood. Il s’agissait d’attaquer la Bourse de New York et de « redistribuer les richesses ». Les membres du commando avaient placé vingt-sept charges EMP dans les immeubles situés autour de Wall Street, avec un compte à rebours de six jours. Ces bombes radio, au moment de la détonation, libéreraient un « souffle » électromagnétique. Elles avaient été placées à des endroits stratégiques et devaient toutes être déclenchées en même temps afin de créer un champ électromagnétique si puissant qu’il effacerait tous les supports magnétiques de la Bourse de New York – disques durs, mémoires ROM, sauvegardes sur bandes, jusqu’aux disquettes.
Toutes les informations disparaîtraient à jamais. On ne saurait plus à qui appartenait quoi.
Pour assurer la simultanéité des explosions, les charges étaient connectées entre elles via Internet. Pendant les deux derniers jours du compte à rebours, les horloges internes des bombes échangeaient constamment des données cryptées, pour assurer la synchronisation. La NSA intercepta ces impulsions en tant qu’anomalie sur le réseau. Ces données semblaient être un charabia sans importance. Mais une fois que TRANSLTR les eut décryptées, les analystes reconnurent immédiatement qu’il s’agissait d’un compte à rebours multiplex. Les charges furent localisées et désamorcées, trois heures à peine avant l’explosion prévue.
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Susan savait que, sans TRANSLTR, la NSA serait impuissante face au terrorisme qui utilisait désormais les nouvelles technologies. Elle jeta un œil sur le moniteur. La recherche continuait, depuis plus de quinze heures. Même si le code de Tankado était cassé à l’instant, la NSA était de toute façon vouée au naufrage. La Crypto déchiffrerait moins de deux codes par jour. Aujourd’hui déjà, malgré un rendement de cent cinquante codes cassés par jour, il restait toujours une montagne de fichiers cryptés en attente.
Strathmore interrompit les pensées de Susan.
— Tankado a appelé le mois dernier.
Susan releva la tête.
— Qui ça ? Vous ?
— Pour me mettre en garde, acquiesça-t-il.
— Pourquoi ? Il vous déteste.
— Il m’a annoncé qu’il avait achevé un algorithme capable de créer des codes incassables et qu’il peaufinait les derniers détails. Je ne l’ai pas cru.
— Mais pourquoi vous le dire ? Il voulait de l’ar gent ?
— Non. Me proposer un marché.
Le visage de Susan s’éclaira soudain.
— Il vous a demandé de le réhabiliter !
— Pas du tout, répondit Strathmore d’un air renfrogné. Ce qu’il veut, c’est TRANSLTR.
— Comment ça ?
— Il m’a ordonné de révéler son existence. Si nous déclarons publiquement que nous avons accès à tous les mails de la terre, il détruit Forteresse Digitale.
Susan n’était pas convaincue.
— De toute façon, le marché ne tient plus, poursuivit Strathmore avec un haussement d’épaules fataliste. Il a déposé une copie de son programme sur son site Internet. N’importe qui peut le télécharger...
— Il est fou ! s’écria Susan, livide.
— C’est un gros coup de pub. Rien de dangereux. La copie mise à disposition est cryptée. C’est vraiment très futé. Le code
– 44 –
source de Forteresse Digitale est brouillé, verrouillé à double tour.
— Comme ça chacun peut posséder une copie, mais personne ne peut l’utiliser...
— Exactement. Tankado agite une carotte.
— Vous avez vu l’algorithme ?
— Bien sûr que non ! répondit Strathmore, étonné par la question. Je vous ai dit qu’il était crypté.
Susan était troublée à son tour.
— Mais nous avons TRANSLTR. Il suffit de lui donner à déchiffrer...
Au regard de Strathmore, Susan comprit son erreur.
— Oh mon Dieu... Forteresse Digitale est auto-codée...
— Bingo !
Susan était stupéfaite. L’algorithme de Forteresse Digitale avait été codé par Forteresse Digitale. Tankado mettait à disposition une recette mathématique qui n’avait pas de prix, mais la liste des ingrédients était illisible... Et cette liste avait été brouillée, malicieusement, avec ladite recette...
— C’est le coffre-fort de Biggleman ! lâcha Susan avec un mélange d’admiration et de crainte.
Strathmore acquiesça. Le coffre-fort de Biggleman était un cas d’école en cryptographie. Un concepteur de coffres-forts écrit les plans d’un nouveau modèle inviolable. Pour que ces plans restent secrets, il construit ledit coffre-fort et les enferme à l’intérieur de celui-ci. C’est exactement ce qu’avait fait Tankado avec Forteresse Digitale.
— Et le fichier qui est actuellement dans TRANSLTR ?
— Je l’ai téléchargé sur le site de Tankado, comme n’importe quel péquin. La NSA a donc le privilège de posséder le précieux algorithme de la Forteresse Digitale ; sauf qu’on ne peut pas l’ouvrir.
Susan ne pouvait qu’admirer le génie d’Ensei Tankado. Il venait de prouver à la NSA que son algorithme était inviolable, sans même avoir eu besoin d’en dévoiler le contenu...
Strathmore tendit à Susan la traduction d’un article de presse. C’était un encart paru dans le Nikkei Shimbun , l’équivalent japonais du Wall Street Journal . On pouvait y lire
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que le programmeur japonais Ensei Tankado avait mis au point un algorithme, capable selon lui de créer des codes incassables, et qu’il était disponible sur Internet, sous le nom de Forteresse Digitale. Le concepteur le mettait en vente aux enchères, et le céderait au plus offrant. Dans la suite de l’article, on apprenait que cette nouvelle suscitait un vif intérêt au Japon, mais qu’en revanche les quelques sociétés américaines d’informatique qui avaient entendu parler de Forteresse Digitale n’apportaient aucun crédit à cette annonce ; selon elles, l’existence de cet algorithme miraculeux était aussi improbable que celle de la pierre philosophale changeant le plomb en or. Un canular qu’il ne fallait pas prendre au sérieux, au risque de se couvrir de ridicule.
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