— Parole contre parole, Meehan. Si tu le permets, j’accorde plus de crédit à mes services de renseignement qu’aux tiens. On a pris zéro risque, c’est tout.
Je n’ai pas refusé l’enveloppe qu’il m’a donnée. Cent cinquante livres pour mon taxi et le dérangement.
J’ai marché longtemps. J’ai traversé des quartiers hostiles, espérant en finir. J’ai enlevé ma veste, relevé mes manches de chemise. J’ai étalé mes tatouages comme on fait un doigt d’honneur. Le drapeau irlandais, la croix celtique et les chiffres 1916 en lettres noires.
Il ne m’est rien arrivé.
J’avais tué Danny. J’avais tué Jim et deux de nos enfants. Je n’étais plus un traître, j’étais un assassin. C’était fini. Et c’était sans retour.
*
J’ai de la fièvre. Le jour tarde. J’attends toujours ce lambeau de clarté. J’ai froid de mon pays, mal de ma terre. Je ne respire plus, je bois. La bière coule en pleurs sur ma poitrine. Je sais qu’ils attendent. Ils vont venir. Ils sont là. Je ne bougerai pas. Je suis dans la maison de mon père. Je les regarderai en face, leurs yeux dans les miens, le pardon du fusillé offert à ses bourreaux.
Mon Dieu maman, aide-moi.
J’ai tellement peur…
Épilogue
Le corps de Tyrone Meehan a été retrouvé par la garda síochána le jeudi 5 avril 2007, à 15 heures. Il était couché sur le ventre, dans le salon, devant la cheminée. Il revenait certainement de la forêt. Des branchages étaient éparpillés tout autour. Il portait sa veste et son écharpe. Sa casquette était sur le sol.
Ses assassins ont enfoncé la porte à coups de masse. Il a été touché par trois décharges de chevrotine calibre 12/76, une munition utilisée pour la chasse au gros gibier. La première lui a arraché la main gauche à hauteur du poignet, comme s’il avait tenté de se protéger. La deuxième l’a frappé au cou, emportant la joue droite et une partie de l’épaule. La troisième l’a atteint à l’abdomen.
L’IRA a immédiatement nié toute responsabilité dans la mort de Tyrone Meehan. Et c’est quatre ans plus tard, à Pâques 2011, qu’un groupe républicain opposé au processus de paix a revendiqué son « exécution pour cause de trahison ».
« Il n’a pas eu l’air surpris de nous voir, ont raconté les deux tueurs cagoulés. Il n’a pas crié, pas imploré. Il a tenté de s’enfuir vers la chambre, il a glissé et il est tombé. Il était au sol quand nous avons exécuté la sentence. »
Tyrone Meehan a été enterré le 14 avril 2007 au cimetière municipal de Belfast, accompagné de sa seule famille.
Aujourd’hui, Jack a émigré en Nouvelle-Zélande. Il travaille dans un pub irlandais de Christchurch. Et Sheila vit toujours au 16, Harrow Drive, Belfast.