— Ce qui fait que tu n’es plus obligée de conserver ton calme ! lui dit son époux pour la taquiner.
— Vanya, je t’en prie, lui répondit-elle. Cela signifie simplement que maintenant je peux faire de mon mieux, donner ma pleine mesure puisque tout est plus simple ! Qui plus est, je suis on ne peut plus calme !
— Nous souhaiterions tellement que tout soit plus simple au gouvernement, dit Leslie en engageant la conversation.
— Votre gouvernement commence à ressembler au nôtre, renchéris-je, et ceci ne peut être que très bien. Mais ce qui est terrible toutefois, c’est que le nôtre commence à ressembler au vôtre.
— N’est-il pas préférable de se ressembler que de passer son temps à se quereller, rétorqua Ivan. Mais ceci dit, nous ne comprenons pas que votre président ait pu faire une telle déclaration !
— Vous faites sans doute allusion à la déclaration qu’il a faite relativement à l’empire du mal ? s’enquit Leslie, qui sans même attendre la réponse de Ivan, s’empressa d’ajouter : Mais ne vous en faites pas, le président a parfois tendance à dramatiser !
Qu’il nous ait traités de toutes sortes de noms n’est pas dramatique, mais plutôt ridicule, et se veut maintenant chose du passé, rétorqua Tatiana en s’adressant à nous. Non, nous faisons référence à cette déclaration dont il est fait mention dans les journaux d’aujourd’hui. » Puis s’emparant du journal, elle l’ouvrit et commença à nous faire la lecture du fameux passage dans lequel étaient rapportées les paroles du président. Il se présentait comme suit : « La tache superficielle causée par l’irradiation en sol étranger n’est rien par rapport à la tache indélébile faite sur l’esprit des enfants américains par le communisme. Ceci dit, je suis fier du courage dont ont su faire preuve nos citoyens et je leur suis reconnaissant pour leurs prières. Si Dieu me le permet, je conduirai le peuple à la victoire et je ferai triompher la liberté. »
À ces paroles, mon sang ne fit qu’un tour et je me dis en moi-même : Lorsque le dieu de la haine montre le bout de son nez, mieux vaut le surveiller !
« Oh ! mais voyons, dit Leslie. Cela n’a pas de sens. La tache superficielle causée par l’irradiation ? Et le triomphe de la liberté ? De quoi veut-il bien parler ?
— Il affirme qu’il possède la faveur du peuple et que celui-ci l’appuie dans ses décisions, dit alors Ivan. Et cela signifie-t-il que les Américains veulent détruire les Soviétiques ?
— Bien sûr que non ! dis-je. Mais le président laisse entendre une façon un peu bizarre de s’exprimer. Toujours, il affirme qu’il détient l’appui de ses citoyens et ce, jusqu’à ce qu’une esclandre ou une manifestation devant la Maison-Blanche ne vienne prouver le contraire. Et il espère que nous le croirons.
— Nos mentalités étaient en train de changer, me fit alors remarquer Tatiana et nous en étions même arrivés à penser que nous consacrions trop d’argent à la défense contre les États-Unis. Mais ces paroles insensées nous prouvent le contraire et peut-être devrons-nous consacrer plus d’argent encore au budget de la défense. Mais quand donc cette roue cessera-t-elle de tourner ? Et qui dira qu’elle a assez tourné ?
— Quelle serait votre réaction, dis-je, si vous héritiez d’une maison que vous n’avez jamais vue auparavant et que vous vous rendiez compte en y entrant qu’aux fenêtres sont braqués des …
— Des fusils, enchaîna Ivan, étonné. Mais comment se fait-il, ajouta-t-il aussitôt, que vous autres, Américains, vous connaissiez cette histoire inventée par un Russe qui n’est autre que moi-même ? »
Puis il poursuivit en disant : « Des mitrailleuses, des canons et des missiles pointés en direction d’une autre maison, située non loin de là. Et aux fenêtres de cette autre maison, seraient aussi braqués en direction des fenêtres de la première, des mitrailleuses, des canons et des lance-missiles. Bref, les habitants de ces deux maisons disposeraient d’un nombre d’armes qui leur permettraient de se détruire plus de cent fois les uns les autres … »
Puis, s’accompagnant d’un geste de la main, il me retourna la question et me dit : « Quelle réaction aurions-nous si nous héritions de ces maisons ?
— Nous dormirions à côté de nos fusils, dis-je, et nous appellerions cela être en bons termes avec notre voisin. Et, constatant qu’il vient de s’acheter d’autres armes, nous en achèterions aussi afin de ne pas être en reste avec lui. Et enfin, nous ne nous soucierions pas que nos toits coulent ou que la peinture de nos murs s’écaille et nous nous contenterions de savoir que nos armes sont bien astiquées et prêtes à servir.
— Et le voisin ? s’enquit alors Leslie. Quand croyez-vous qu’il serait le plus enclin à se servir de ses armes ? Quand nous aurions retiré nos armes des fenêtres, ou au moment où nous en aurions ajouté d’autres ?
— Et si nous ne retirions que quelques-unes de nos armes et que nous ne pouvions tuer notre voisin que quatre-vingt-dix fois au lieu de cent, dit Tatiana, croyez-vous que cela inciterait ce dernier à se servir de ses armes ? Eh bien, il est probable que non et ce, même s’il était le plus fort. Aussi, pour cette raison, nous enlèverions quelques-unes de nos armes de nos fenêtres.
— Et cette décision, Tatiana, lui demandai-je, vous la prendriez unilatéralement ? Vous n’insisteriez pas pour qu’il y ait des négociations et pour qu’un accord soit signé ? Vous procéderiez à un désarmement unilatéral même en sachant que les armes de vos voisins sont encore braquées sur vous ?
— Oui, répondit-elle, convaincue. Nous prendrions cette décision de façon unilatérale. »
Son époux approuva de la tête et il enchaîna en disant :
« Ensuite, nous inviterions notre voisin à prendre le thé et nous lui dirions : "Mon oncle m’a légué sa maison tout comme votre oncle vous a légué la sienne. Or, nous sommes devenus des voisins et nous n’avons pas à imiter nos oncles qui l’étaient aussi et passaient leur temps à se quereller. Personnellement, je suis bien disposé à votre égard et espère qu’il en va de même pour vous. Et en passant, auriez-vous, vous aussi, un problème de toit qui coule ? " »
Puis, en se joignant les mains, il jeta un regard à la ronde et nous demanda : « Et comment croyez-vous que le voisin réagira maintenant ? Est-ce que, après avoir bu son thé et dégusté sa pâtisserie, il rentrera chez lui et s’empressera de nous tirer dessus ? »
Puis, se tournant vers moi, il me dit en souriant : « À mon avis, les Américains sont fous, Richard ! Mais vous, qu’en pensez-vous ? Et croyez-vous aussi qu’aussitôt rentrés chez eux, ils s’empresseraient de nous tuer ?
— Les Américains ne sont pas fous, lui répondis-je, ce sont des gens astucieux. »
À ces paroles, il me jeta un regard oblique et je poursuivis en disant :
« Vous croyez à tort que les Américains dépensent des fortunes pour la fabrication de missiles et de systèmes téléguidés des plus sophistiqués. Car, en vérité, nous économisons des millions de dollars sur la fabrication de ces systèmes. Vous vous demandez sans doute de quelle façon, lui dis-je en le regardant droit dans les yeux.
— De quelle façon ? me demanda-t-il.
— Eh bien, Ivan, lui répondis-je. Nous économisons en ne fabriquant pas de systèmes téléguidés, car en vérité nos missiles ne sont pas téléguidés et il ne s’y trouve rien, sinon des ogives à l’intérieur. Pour ce qui est du reste et de tout ce qu’on affirme à leur sujet, ce n’est que de la frime. Ceci dit, c’est bien avant l’incident de Tchernobyl que nous avons compris qu’il n’importait guère de savoir où allaient les ogives. »
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