— Tout quoi ? » lui demanda-t-il en la regardant fixement.
Mais elle, se retournant vers Leslie, crut bon de lui dire aussitôt : « Je désire que vous sachiez que de toutes les personnes qui travaillent ici, je suis la moins avisée, la moins brillante.
— De toutes les personnes qui sont ici, Tink est la plus charmante », dit Atkin en l’interrompant. Puis il poursuivit en disant : « Tous ici, nous avons été professeurs. Nous aimons notre travail, et il nous arrive parfois de ne pas nous montrer trop malhabiles, mais il demeure qu’il n’est pas un d’entre nous qui ait autant de charme que Tink. Une idée, si elle ne peut charmer, demeure chose morte, car alors personne ne s’y intéresse. Mais permettez à la fée du sommeil de vous inspirer une idée, et voilà que cette dernière vous charmera au point que vous ne pourrez vous empêcher de la mettre à exécution pour alors changer le monde. »
Incroyable ! me dis-je alors en moi-même. Certains aspects de nous-mêmes auraient emprunté d’autres chemins et seraient occupés à transmettre des idées qu’ils auraient fabriquées de toutes pièces au reste du monde. Ils seraient occupés à faire du savoir quelque chose de clair comme le cristal. Vraiment, cela semble impossible. Et pourtant, il ne peut en être autrement puisque ces autres aspects de nous-mêmes sont là, devant nous, pour en témoigner !
Alors que j’étais encore en train de réfléchir à tout ceci, un robot de la taille d’un chien berger fit son apparition ; il transportait un lingot vierge qu’il vint déposer avec toutes les précautions du monde sur la table derrière Atkin. Ensuite, il fit entendre un joli « bip bip », s’en retourna comme il était venu. Lorsqu’il eut tourné le coin, je demandai à Tink :
« C’est donc ici que sont fabriquées toutes les idées, toutes les questions ainsi que leurs réponses ? C’est donc d’ici que nous vient l’inspiration qui nous permet de donner forme à de nombreuses inventions ?
— Toutes les idées ne viennent pas d’ici, me répondit Tink. Car il en est que vous pouvez produire vous-mêmes, et qui sont les conclusions que vous tirez de vos propres expériences … Celles que nous créons ici sont ces idées merveilleuses qui viennent vous surprendre en ces moments où vous êtes capables de ne pas vous laisser hypnotiser par l’apparente réalité quotidienne. Sitôt façonnées, nous les mettons à votre disposition en les diffusant dans l’espace infini. Et alors, il ne vous reste plus qu’à choisir celles, parmi elles, que vous considérez les plus intéressantes.
— Et les idées pour des livres, lui demandai-je à la fin de ses explications, est-ce d’ici qu’elles nous viennent ? Est-ce vous qui m’avez inspiré Jonathan Livingston le Goéland ?
— L’histoire de Jonathan Livingston le Goéland vous seyait à merveille, me répondit-elle en fronçant les sourcils. Toutefois, vous étiez débutant dans le métier quand vous l’avez écrite, et trouviez difficile de m’écouter … Ainsi, vous ne vouliez écrire ce livre qu’à la condition qu’il ne soit pas trop étrange ou dérangeant. J’ai dû faire des pieds et des mains pour obtenir votre attention et pour que vous consentiez à m’écouter un tant soit peu au moment de la conception de cet ouvrage.
— Des pieds et des mains ? m’enquis-je alors.
— J’ai dû, si vous préférez, dit la pauvre Tink qui avait enfin trouvé un exutoire à sa frustration, avoir recours à une expérience psychique avec vous et vous souffler littéralement le titre de l’ouvrage, vous l’annoncer à voix haute même. Enfin, j’ai dû aussi vous en faire défiler les images et les textes devant les yeux, comme un film. Et quoique je n’aime pas avoir recours à ces méthodes, il m’a été impossible d’agir autrement. Car si je ne l’avais pas fait, jamais le pauvre Jonathan n’aurait vu le jour.
— J’ai l’impression que vous exagérez un peu, lui rétorquai-je, confus. D’abord, vous n’avez pas eu à faire des pieds et des mains pour que je vous écoute, puis vous n’avez pas eu à crier à tue-tête lorsque vous m’avez soufflé le titre.
— Avec tous les efforts qu’il m’a fallu déployer, c’est ce qu’il m’a semblé vraiment », rétorqua Tink.
C’était donc la voix de Tink que j’avais entendue au cours de cette nuit mémorable, et qui doucement me répétait : « Jonathan Livingston le Goéland. » C’était donc sa voix qui m’avait effrayé cette nuit-là, ne sachant d’où elle venait !
« Merci de m’avoir fait confiance, dis-je alors à Tink. — Il n’y a pas de quoi », me répondit-elle, cordiale. Puis me regardant d’un air solennel, elle ajouta :
« Les idées sont partout autour de vous et cependant, vous oubliez trop souvent de les saisir au vol. Quand vous êtes en quête d’inspiration, ce sont elles que vous cherchez. Et si vous errez dans le noir, ce sont elles encore qui doivent vous montrer le chemin. Mais il vous faut être vigilants et saisir ces idées au passage, puis les mettre à exécution.
— Oui, madame, lui répondis-je.
— Et, je vous avertis, poursuivit-elle sans même se soucier de mes dernières paroles, Jonathan Livingston le Goéland est la dernière idée de livre qui vous soit communiquée par le biais d’une expérience psychique. Car jamais plus je n’aurai recours à ces méthodes avec vous !
— Nous n’avons plus besoin de tels artifices, n’est-ce pas ? » lui répondis-je, l’air complice.
Et elle esquissa un sourire, comme Atkin fit entendre un petit gloussement et nous dit, à Leslie et à moi : « Vous êtes attendrissants tous les deux. À bientôt. » Puis il se remit au travail.
« Nous reverrons-nous un jour ? » dit alors Leslie à l’intention de Atkin et de Tink.
Ce fut cette dernière qui prit la parole et lui répondit, en s’essuyant le coin de l’œil :
« Bien sûr que nous nous reverrons. Et en votre absence, je prendrai des notes sur toutes les idées que nous aurons conçues. Et surtout prenez garde à ne pas vous éveiller trop tôt le matin et n’oubliez pas non plus les balades, les douches et la natation ! »
Et à peine avions-nous fait un dernier salut de la main à Tink et à Atkin que déjà nous entendions le grondement familier et voyions l’image de la salle dans laquelle nous nous trouvions se dissiper dans une espèce de brouillard. Puis en moins de deux, nous fûmes à nouveau transportés dans l’hydravion qui déjà s’élevait dans les airs, Leslie la main encore posée sur le levier de démarrage. Et pour la première fois depuis le début de cette étrange aventure, nous nous sentions heureux de ce qui venait de nous arriver.
« Quelle merveilleuse aventure ! » dit Leslie à l’intention de Pye. « Je vous en remercie infiniment.
— Je suis contente qu’elle vous ait plu et heureuse d’avoir pu vous satisfaire, répondit Pye. Maintenant, il me faut vous quitter.
— Vous nous quittez, dis-je, soudain alarmé.
— Je vous quitte pour une période indéterminée, me répondit-elle. Car maintenant vous savez comment faire pour entrer en contact avec vos moi parallèles ; et Leslie, quant à elle, sait comment faire pour vous conduire jusqu’à eux puis, le temps venu, pour vous ramener jusqu’ici. Et vous aussi, Richard, pourrez bientôt accomplir toutes ces choses, lorsque vous aurez appris à vous laisser guider par vos perceptions intérieures. »
Sur ce, elle nous offrit un sourire radieux, semblable à celui adressé par des instructeurs de vol à leurs élèves qui s’apprêtent à voler en solo. Puis enfin, elle prononça ces dernières paroles : « Les possibilités sont illimitées et l’important est que vous vous laissiez aller à explorer ensemble ce qu’il importe le plus que vous exploriez. Ceci dit, nous nous reverrons bientôt. »
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