« Ça va, Wookie ? demandai-je à Leslie. Te sens-tu prête pour une nouvelle aventure ? »
Elle acquiesça. Alors, je fis les manœuvres que Pye m’avait demandé d’effectuer, puis je rentrai le train d’atterrissage, baissai les volets et coupai les gaz.
« Bien, dit Pye. Maintenant, déplacez-vous de deux degrés vers la droite et manœuvrez en direction du sentier jaune, droit devant vous, sur le plan, dans l’eau. Bon, maintenant augmentez un tant soit peu votre vitesse. Voilà. C’est parfait ! »
On se serait cru en enfer tant le vacarme était infernal et la chaleur insupportable. Partout autour, il y avait d’immenses fourneaux desquels jaillissaient des flammes d’un rouge vif, et des chaudières géantes dans lesquelles se trouvait du matériel en fusion que déposaient ensuite sur une surface d’acier des grues mécaniques.
« Oh ! mon Dieu », dis-je.
Une voiturette électrique tourna le coin et s’arrêta près de nous. Une jeune femme mince en salopette et chapeau à rebord rigide en descendit, et nous ne sûmes jamais si oui ou non elle nous avait salués, car si elle l’avait fait, le son de sa voix avait été étouffé par le bruit environnant. Puis, comme elle s’avançait vers nous, un chaudron faillit se renverser tandis que des étincelles couleur de jade jaillissaient des moules à lingots placés derrière elle.
La jeune femme était menue ; elle avait des yeux d’un bleu intense et des cheveux blonds bouclés.
« Quel endroit, n’est-ce pas ? » nous dit-elle en guise d’introduction. Puis elle nous tendit des chapeaux à rebord rigide et nous dit : « Vous n’en aurez probablement pas besoin, mais ferez quand même bien de les conserver à portée de la main, car si la direction vous surprend sans vos chapeaux … » Puis, nous gratifiant d’un large sourire, elle fit le geste de quelqu’un qui se fait trancher la gorge. Visiblement, elle semblait fière de travailler là où elle œuvrait.
« Mais nous sommes incapables de les toucher, dis-je en parlant des chapeaux.
— Ici, vous l’êtes », me répondit-elle en hochant la tête.
Alors, nous prîmes les chapeaux qu’elle nous tendait et non seulement nous pûmes les toucher, mais encore les mettre sur nos têtes, auxquelles ils s’ajustèrent parfaitement bien. Puis, la jeune femme nous intima l’ordre de la suivre.
Me demandant qui pouvait bien être cette jeune femme, je jetai un regard à Leslie. Celle-ci, lisant dans mes pensées, haussa les épaules et fit un mouvement de la tête qui signifiait qu’elle n’en avait pas la moindre idée.
« Pourriez-vous nous dire comment vous vous appelez ? » me risquai-je alors à demander à la jeune femme.
Surprise, elle s’arrêta net et parut réfléchir un instant. Puis, elle haussa les épaules et nous dit avec un large sourire : « Appelez-moi Tink. Tous les autres noms qui me sont donnés sont si formels. »
Puis, elle reprit sa marche et nous fit faire une visite guidée de l’endroit : « Le minerai est acheminé jusqu’aux cribleurs qui se trouvent à l’extérieur, nous expliqua-t-elle en nous montrant certaines installations. Ensuite il est lavé, puis dirigé vers une trémie principale. »
À ces paroles, Leslie et moi échangeâmes un regard qui en disait long sur notre ignorance.
« De là, poursuivit-elle, il est acheminé jusqu’à un creuset — et en passant je vous signale qu’il y en a vingt sur cet étage — où il est chauffé à cent cinquante degrés. Ensuite, il est amené jusqu’ici.
« Mais de quoi parlez-vous donc ? me risquai-je à lui demander.
— Mes explications, répondit-elle, au fur et à mesure que je vous les donnerai, constitueront autant de réponses à vos questions, et alors vous comprendrez de quoi je parle.
— Mais … » objectai-je.
Elle ne tint pas compte de mon objection et poursuivit en disant : « On infuse du xénon au mélange lors de son passage sur la chaîne de montage, puis on recouvre ce dernier d’une couche de chondrite en poudre d’une épaisseur de vingt microns, ceci pour en faciliter le démoulage. Et suite à toutes ces opérations, on obtient des lingots. »
Les lingots n’étaient pas d’acier, mais de verre, et passaient de l’orangé au translucide en se refroidissant.
Dans une pièce, des robots industriels taillaient les lingots comme si c’étaient des diamants.
« C’est ici que les blocs sont taillés, polis et énergisés, dit Tink. Et remarquez qu’aucun d’eux n’est semblable », ajouta-t-elle.
Puis notre guide nous conduisit à un autre étage et nous dit, l’air triomphant : « Nous sommes à l’étage de la finition, et c’est ici que vous êtes attendus ! »
Les portes, qui s’étaient ouvertes sur notre passage, se refermèrent derrière nous.
Dans la pièce où nous entrâmes, tout était calme, silencieux, propre et ordonné. Des tables et des bancs s’alignaient le long des murs et sur chaque table reposait un bloc de cristal poli. Les gens qui travaillaient aux tables étaient muets, et on se serait cru en face d’artistes plutôt qu’en présence d’employés d’usine. Ils travaillaient avec soin et étaient complètement absorbés par leur ouvrage.
Au bout d’un moment, nous ralentîmes le pas et nous nous arrêtâmes à la table d’un jeune homme costaud, assis sur une chaise pivotante et qui inspectait, au moyen d’une tourelle ultramoderne, un bloc de cristal géant. Ce bloc était si transparent qu’il était à peine visible, quoique travaillé de façon extraordinaire. À l’intérieur du bloc, on pouvait apercevoir un réseau de filaments lumineux et doucement colorés ainsi que des mini-lasers.
L’homme appuya sur l’un des boutons de l’appareil se trouvant à ses côtés, et l’on put voir que quelque chose se passait à l’intérieur du bloc de cristal.
« Il s’assure que toutes les connexions ont été faites, dit Tink, presque dans un murmure. Car il suffit d’un filament mal raccordé pour que toute la structure interne soit défectueuse !
À ces paroles, l’homme se retourna et nous observa pendant un moment. Puis, il nous dit bonjour et nous souhaita la bienvenue. Il avait l’air aimable et nous accueillit comme si nous avions été de vieilles connaissances. Immédiatement, je le trouvai sympathique.
Nous lui retournâmes son bonjour, puis je profitai de l’occasion pour lui demander si je le connaissais ou l’avais déjà rencontré.
Ma question le fit sourire et il me répondit : « Je crois effectivement que nous nous sommes déjà rencontrés, mais je doute que vous vous souveniez de moi. Je m’appelle Atkin et fus votre monteur-régleur dans une de vos vies et votre maître zen dans une autre. Mais cela n’a pas la moindre importance », ajouta-t-il en haussant les épaules.
Curieux, je lui demandai à quoi il travaillait.
« Voyez vous-même », me répondit-il en me montrant du doigt un microscope binoculaire posé à côté d’un bloc de cristal, nous invitant à nous en approcher.
« Oh ! mon Dieu ! dit Leslie après avoir regardé au travers du microscope binoculaire.
— Qu’y a-t-il ? lui demandai-je.
— Ce bloc de cristal, Richard, ce n’est pas un bloc de cristal, mais un bloc à idées ! À l’intérieur, y sont assemblées une foule d’idées. On dirait une toile d’araignée.
— Que veux-tu dire ?
— Ces idées ne sont pas traduites en mots ; toutefois, elles peuvent l’être si nous nous y appliquons !
— Essaie, lui dis-je. Dis-moi quels mots tu utiliserais pour traduire ce que tu vois.
— Oh ! fit-elle encore. C’est extraordinaire !
— Parle, dis-je. Parle. Je t’en prie.
— D’accord, je vais essayer. Ici, il est question de la difficulté à faire des choix éclairés et de l’importance de nous en tenir à ce que nous croyons être la vérité. On y dit aussi que nous avons une connaissance instinctive de ce qui est bon pour nous. » Puis, se tournant vers Atkin, elle lui dit : « Je m’excuse pour cette lecture malhabile. Mais peut-être pourriez-vous nous lire l’inscription sur cette section argentée ? »
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