Il y eut un échange de sourire, le flamboiement d’un rayon laser de couleur bleue, puis plus rien. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Pye avait disparu.
Je ne sais pas si tu as la même impression, mais l’aventure semble moins tentante depuis qu’elle n’y est plus, dit Leslie en jetant un regard aux sentiers qui tapissaient le fond de l’océan. Et n’as-tu pas l’impression que tout est sombre au-dessous et qu’aucun sentier ne semble attirant ?
J’avais la même impression car l’océan, jusque-là étincelant, avait pris une allure menaçante aux reflets non plus dorés et argentés, mais bordeaux et cramoisis. Quant aux sentiers, ils étaient couleur de suie.
Je manœuvrai avec difficulté et dis à Leslie : « J’aurais aimé pouvoir lui poser d’autres questions !
— Mais pourquoi crois-tu qu’elle soit si sûre que nous pouvons maintenant tenter l’expérience nous-mêmes ? me demanda Leslie.
— Elle est à un niveau d’évolution supérieur au nôtre, a vécu ce que nous avons vécu et doit par conséquent être sûre de ce qu’elle avance, lui répondis-je.
— Mm, fit-elle en guise de réponse.
— Bon, passons maintenant aux choses sérieuses et tentons une nouvelle expérience », lui dis-je encore.
Leslie acquiesça. J’aimerais, dit-elle, suivre les conseils de Pye et faire la connaissance d’un aspect de moi-même qu’il est particulièrement important que je connaisse. Puis elle ferma les yeux et essaya de se concentrer.
Mais comme rien ne se produisait, elle les rouvrit au bout de quelques minutes et dit : « Comme c’est étrange, il n’y a rien vers quoi je sois emportée. Peut-être devrais-tu me laisser piloter et tenter l’expérience à ton tour ? »
Du coup, je sentis mon corps se tendre et je me dis : Ce n’est pas l’effet de la peur, mais de la prudence. Puis, je pris une grande respiration, fermai les yeux, chassai toute tension et essayai de me concentrer. « Coupe les moteurs et passe à l’atterrissage, dis-je enfin à Leslie, car nous voici arrivés. »
* * *
Là où nous atterrîmes, filtrait un clair de lune et une grande tente se dressait dans le ciel. Le toit qui la recouvrait était fait de peaux de cuir enduites de poix le long des coutures. À la lueur des torches allumées, les pans de la tente, couleur de terre, paraissaient rougeâtres. Nous nous trouvions manifestement dans le désert et, partout autour de nous, on avait allumé des feux de camp. Au loin, on pouvait entendre le piaffement et le hennissement des chevaux ainsi que les voix des hommes enivrés.
À l’entrée de la tente se tenaient des gardes qui, s’ils n’avaient pas été en haillons, auraient pu passer pour des centurions. Écorchés et meurtris, ils portaient des tuniques renforcées de bronze, des casques, et des bottes de cuir et de fer visant à les protéger du froid. À la ceinture, ils portaient épée et poignard.
« En pleine nuit, et dans le désert de surcroît, dis-je. Dans quoi donc nous sommes-nous embarqués ? »
Surveillant les gardes du coin de je me tournai vers Leslie et lui pris la main. Les gardes, bien sûr, ne nous voyaient pas, mais s’ils l’avaient pu, c’en eût été fini de Leslie.
« As-tu la moindre idée de ce que nous faisons ici ? lui demandai-je en chuchotant.
— Non, mon chéri, me répondit-elle en chuchotant à son tour, car c’est toi qui es le responsable de cette aventure. »
Tout à côté, une bataille éclata entre des hommes ivres, et personne ne s’aperçut de notre présence.
« J’ai l’impression que la personne que nous cherchons se trouve dans la tente », dis-je à Leslie.
À ces paroles, elle me regarda avec appréhension, puis dit courageusement : « S’il s’agit d’un autre toi-même, il ne peut y avoir de danger, n’est-ce pas ?
Peut-être n’est-il pas nécessaire que nous le rencontrions celui-là, lui répondis-je. Peut-être est-ce une erreur et qu’il vaudrait mieux que nous partions ?
— Mais Richie, objecta-t-elle, ce n’est pas par hasard que nous nous trouvons ici. L’homme dans la tente a certainement quelque chose d’important à nous apprendre. N’es-tu pas curieux de savoir de quoi il peut s’agir ?
— Non, lui répondis-je. Tout ceci ne me dit rien qui vaille. » Et de fait, j’étais aussi enthousiaste à l’idée de rencontrer cet homme que je ne l’aurais été à l’idée de me retrouver face à une araignée géante.
Leslie eut un moment d’hésitation, puis elle me dit : « Tu as sans doute raison. Nous nous contenterons par conséquent de jeter un regard rapide à cet homme, puis nous nous en retournerons. Je désire seulement savoir qui il est. »
Et avant même que je ne puisse l’arrêter, elle avait glissé dans la tente. La seconde d’ensuite, elle se mit à hurler.
Sans plus attendre, je la rejoignis et vis un homme à la figure bestiale qui la menaçait d’un couteau.
« Non », fis-je au moment même où l’homme se précipitait sur elle, mais sans succès, Leslie étant immatérielle.
Dans son élan, l’homme avait été projeté par terre et son couteau lui était tombé des mains. Mais comme il était très rapide, il avait pu le saisir avant que celui-ci ne cesse de rouler sur le sol. Puis, se redressant, il se jeta sur moi, et, tant bien que mal, je tentai de l’esquiver en m’éclipsant de côté. Mais il avait aperçu mon geste et me frappa durement à la poitrine. Son mouvement l’entraîna vers l’avant, et je demeurai immobile tandis qu’il me traversait de part en part avec toute la masse de son corps lourd et trapu. On aurait dit une roche qui aurait traversé la flamme et serait venue rebondir dans cette tente.
Sans perdre une minute, l’homme se releva, puis tira une épée de sa botte et se prépara à me plaquer à nouveau. Mais une fois de plus, il passa à travers moi comme à travers de l’air et vint atterrir au pied d’un tabouret aux angles marqués, démolissant un chandelier sur son passage. Cela n’eut pas l’heur de le déranger, car en un instant, il était à nouveau sur pied, épée à la main et les poings relevés dans un geste de combat. Dans ses yeux, on pouvait lire la rage.
Puis, à petits pas, il s’avança vers nous et nous examina attentivement. Il arrivait à peine à l’épaule de Leslie, mais cela ne l’empêchait pas de vouloir nous tuer. Sans autre avertissement, il fit le geste d’empoigner Leslie par le col, un mouvement aussi rapide que l’éclair, mais ne trouva rien à agripper. L’air stupéfait, il resta là à regarder sa main vide.
« Stop ! » criai-je alors.
À ces paroles, il se retourna vivement et me lança son couteau par la tête.
« Je ne veux plus de violence », hurlai-je à nouveau.
Il s’arrêta net et me regarda droit dans les yeux. Je lui rendis son regard et pensai que ce n’était pas tant la violence que l’intelligence émanant de ce regard qui était effrayante. Lorsque cet homme tue, me dis-je en moi-même, il le fait par plaisir.
« Saurez-vous me parler, lui demandai-je au bout d’un moment. Et qui êtes-vous ? »
Je ne m’attendais pas à ce qu’il comprenne mes paroles, et pourtant cela fut le cas, car il me répondit, l’œil mauvais et la respiration haletante : « At-Elah. Je suis At-Elah, le Fléau de Dieu. » Et il se frappa la poitrine avec fierté.
Quel langage il parlait, nous ne le sûmes jamais, et pourtant nous le comprenions tout comme lui nous comprenait.
« At-Elah ? dit alors Leslie. Attila ?
— Attila le Hun ? » dis-je à mon tour, surpris.
Le guerrier sembla se réjouir de ma surprise, car il grimaça de plaisir. Puis ses yeux se rétrécirent et, aboyant presque, il ordonna à un de ses gardes de venir.
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