Dans un souffle, la jeune fille dit : « J’y ai songé moi aussi !
— Je le sais, lui répondit mon épouse, et je sais à quel point il est difficile pour toi de persévérer !
— Mais vous, qui y êtes parvenue, comment avez-vous fait ? s’enquit à nouveau la jeune Leslie.
— J’ai abandonné mes études et j’ai accepté l’emploi que me proposait Conover », répondit Leslie, gênée.
La jeune fille était ébahie et restait là, immobile, comme paralysée. Au bout d’un moment, elle dit : « Comment avez-vous pu, vous qui parliez d’amour et de détermination ! »
Leslie, qui s’était détournée lorsqu’elle avait fait ses aveux à la jeune fille, la regarda alors droit dans les yeux et lui dit : « Je suis au courant de tout ce qu’il faut endurer lorsque tu te rends à Philadelphie pour tes études. Le long trajet par autobus, l’absence de nourriture, les nuits passées à dormir au terminus, tout cela parce que tu désires conserver ton argent pour acheter des partitions. »
La jeune fille acquiesça et Leslie poursuivit en disant : « Tout ce que tu vis là, je l’ai vécu moi aussi. Mais un jour, il est arrivé que je perde l’un de mes emplois et c’est alors qu’il m’est devenu impossible de poursuivre. J’étais furieuse, révoltée, désespérée, mais je crevais littéralement de faim et n’eus d’autre choix que de regarder les choses en face, comme le disait ma mère.
« Je m’étais juré que je ne passerais qu’un an à New York, que j’y travaillerais jour et nuit et que je mettrais de côté chaque cent économisé de sorte que l’année suivante, il me serait possible de faire ma maîtrise. » Puis, perdue dans ses pensées, elle omit de poursuivre.
« Ainsi, vous n’avez pu gagner suffisamment d’argent pour continuer vos études ! commenta la jeune Leslie.
— Oh si, j’ai gagné beaucoup d’argent et pas seulement de l’argent. J’ai aussi connu le succès. D’abord, je fus modèle, comédienne à la télévision. Ensuite, je me rendis à Hollywood où je tournai des films pour le compte de la Twentieth Century-Fox. Mais le succès que je connus alors, je fus incapable de l’apprécier, car il était relié à un travail que je n’aimais pas. Qui plus est, je doutais toujours de moi et pensais que je n’étais ni suffisamment jolie ni suffisamment intelligente pour faire le métier que j’exerçais. Bref, je ne sentais pas que j’appartenais à ce monde.
« Mais cet emploi me permettait de venir en aide à ma famille qui n’aurait pas compris que je l’abandonne au profit de la musique. Aussi, je continuai à faire des films, mais sans y trouver d’intérêt réel. J’en faisais parce qu’il fallait en faire et parce que j’étais sur place. Une décision par absence de décision, en quelque sorte. »
Elle s’arrêta un moment pour réfléchir, puis elle poursuivit en disant :
« Jamais, pendant cette période, je ne me suis permis d’obtenir un vrai grand succès, croyant que je ne le méritais pas en raison du fait que je ne faisais pas ce travail avec toute mon âme. Et à chaque fois que j’étais sur le point de connaître un immense succès, je m’empressais de faire le nécessaire pour que cela ne se produise pas. Je déclinais l’offre qui m’était faite, je quittais la ville ou je tombais malade. Jamais je ne pris la décision ferme de faire tout en mon possible pour atteindre le succès.
Pendant un moment les deux femmes demeurèrent silencieuses, réfléchissant à ce qui venait d’être dit. Puis, Leslie poursuivit en disant :
« De quel droit aurais-je pu me plaindre de toutes les belles choses qui m’arrivaient ? Et à qui aurais-je pu me plaindre de ma solitude ?
Puis, poussant un long soupir, elle ajouta : « Pendant des années, je fus malheureuse, souffrant de la solitude et obtenant autant de succès qu’il m’était possible d’en tolérer. Bref, lorsque j’abandonnai la musique, je connus l’aventure, relevai des défis, appris une foule de choses et vécus une vie que les autres qualifieraient d’excitante.
— Ça ne devait quand même pas être si mal ! » dit la jeune Leslie.
Mon épouse approuva de la tête et lui dit à son tour : « Tu as parfaitement raison et c’est pour cela qu’il m’aurait été difficile, voire impossible d’abandonner cette vie. Car si je l’avais fait, personne n’y aurait rien compris. Et ce n’est que beaucoup plus tard que je saisis qu’en ne poursuivant pas mes études en musique, je passais à côté d’une vie tranquille et heureuse de même qu’en retrait de la possibilité de faire ce que j’aimais réellement. Et de fait, pendant longtemps, cette vie me fut refusée. »
J’écoutais, attentif et surpris, car jamais avant ce jour, je ne m’étais rendu compte réellement que mon épouse, si elle avait poursuivi ses études en musique et laissé tomber sa carrière d’actrice à Hollywood, aurait pu connaître une vie tout à fait différente de celle qu’elle avait vécue.
Quant à la jeune Leslie, elle nageait dans la confusion la plus totale. « Si les choses ont ainsi tourné pour vous, dit-elle au bout d’un moment, tourneront-elles de la même façon pour moi ? Comment m’orienter ?
— Tu es la seule au monde qui puisses répondre à cette question, lui dit alors Leslie. Quant à moi, je pense que le mieux, c’est encore de chercher à découvrir ce que réellement tu désires faire, puis ensuite de l’accomplir. Cela vaut mieux en tout cas que de passer vingt ans de ta vie à vivre sans vraiment vivre, alors qu’il te serait possible d’agir tout autrement. L’important est de te demander ce que tu désires le plus au monde. »
Elle le savait et répondit : « Je désire apprendre, exceller en musique. Je désire apporter ma contribution au monde.
— Eh bien, il en sera ainsi. Maintenant, que désires-tu d’autre ? lui demanda Leslie.
— Je désire être heureuse et ne pas vivre dans la pauvreté.
— Bien, et quoi encore ? »
Manifestement le jeu lui plaisait et elle répondit : « J’aimerais croire que la vie a un sens et que nous ne sommes pas ici pour rien. Bref, j’aimerais avoir foi en une divinité qui me supporterait et m’aiderait à passer au travers des moments difficiles. Ceci dit, je ne crois pas en la religion qui, jamais, ne me fut d’un grand secours, non plus qu’aux prêtres qui, plutôt que de répondre à mes questions, se sont toujours contentés de me dire de garder la foi ! »
Leslie fronça les sourcils, car elle aussi se souvenait d’être passée par là.
Puis la jeune fille, soudainement gênée, poursuivit en disant : « J’aimerais croire qu’il existe une personne au monde qui me soit destinée, comme j’aimerais croire que nous nous rencontrerons un jour, que nous nous aimerons et que nous ne serons plus jamais seuls !
— Écoute-moi bien, lui répondit alors mon épouse. Tout ce que tu viens de mentionner se trouve déjà manifesté quelque part dans l’espace-temps. Bien sûr, il est possible que certains de tes désirs mettent un temps avant de se réaliser, mais ceci n’empêche pas qu’en cette minute présente, ils sont déjà réalité.
— Et cette personne qui m’est destinée ? Elle existe donc vraiment ?
— Oui, et elle s’appelle Richard. Aimerais-tu la rencontrer ?
— La rencontrer maintenant ? » dit alors la jeune fille, ébahie.
Pour toute réponse, Leslie me tira par la main et me fit me placer en face de la jeune fille. Quant à moi, j’étais flatté que cette jeune fille, en tout point semblable à la personne que je chérissais le plus au monde, veuille bien me rencontrer.
Lorsqu’elle m’aperçut, la jeune Leslie ne sut que dire et elle resta là à me regarder, surprise.
« Bonjour », lui dis-je, moi-même un peu mal à l’aise.
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