Bref, c'est du modèle d'avant-guerre (je parle of course de celle de 1870). Le bonhomme est plutôt pas sympa, avec son regard en binocle et son nez qui ressemble à une piste de slalom. Présentations. Pas commode. Berthe mugit mon blaze dans l'entonnoir de Durandal. Béru est obligé de joindre son bel organe à celui de sa légitime. Enfin le visiteur a pigé.
— Oh ! très bien ! approuve-t-il. Commissaire San-Antonio, je suis au courant. San-Antonio, c'est votre nom ?
— Et commissaire, c'est son prénom ! vocifère le Gros, agacé.
— Alexandre, voyons ! proteste Berthe qui paraît avoir un coup de béguin pour l'acoustique.
— Qu'est-ce que ça peut fiche, ce qu'on lui dit, puisqu'il a du béton armé à la place des tympans, ricane sombrement l'Enflure. Cette vieille guenille vient nous faire tartir juste au moment où que ça m'a l'air de devenir passionnant. S'il se tient pas tranquille, je lui fous son standard en dérangement ! Où en étions-nous, San-A ?
— A Charlemagne. Bon, le Père du monde clabote comme tout un chacun et aussitôt ses héritiers foutent la gabegie en morcelant le gâteau impérial…
— Attendez-moi ! implore B.B. depuis sa cuistance où elle prépare le jus. Je ne veux pas en rater ! Vous devriez mettre M. Durandal au courant, pour qu'il puisse suivre !
— Tu charries ! fulmine Béru, s'il faut lui bonnir le résumé des chapitres précédents, on sera encore là demain !
Néanmoins, il se penche sur le pavillon de son invité.
— San-Antonio nous raconte l'Histoire ! hurle-t-il à s'en faire péter les ficelles.
L'autre hoche la tête en souriant.
— J'en connais une autre, fait-il, celle du perroquet qui plumait une perruche en lui disant « T'es trop belle, je te veux à poil » !
Il se marre comme un bossu.
— Je vous parle de l'Histoire de France ! barrit Béru. « ON » en est aux mouflets de Charlemagne, des espèces de gouapes qui ont vendu la ferme et les chevaux. Allez, continue, San-A, maintenant que je l'ai affranchi, et n'oublie pas de te mettre sur l'amplificateur si tu veux pas que ce vieux pot te fasse répéter même les virgules !
Berthe nous verse d'odorants cafés, et, après une première gorgée, je poursuis mon cours d'Histoire à marches forcées !
— A la mort de Charlemagne, et tandis que l'Empire se morcelle, voilà les Normands qui radinent !
— Par la Gare Saint-Lazare, je suppose ? fait Béru qui a toujours son sens de la déduction affûté.
— Eh, non, patate ! Ils arrivaient du Nord. Normands, ça veut dire hommes du Nord. Ils venaient de Scandinavie… Suède, Norvège, Danemark ! Ils fuyaient leurs terres froides pour conquérir des contrées plus fertiles. Montés dans d'immenses barques, ils s'élançaient sur la mer qu'ils appelaient la route des cygnes !
— T'es sûr que c'était pas sur le lac du bois de Boulogne ? s'exclame Béru, épris de vérité historique. J'ai jamais vu des cygnes sur la mer, moi !
— Tu vas la fermer ! proteste Berthe. C'est pas tenable si tu te mets à objecter.
— J'ai le droit de piger, non ! clame le Mahousse dont l'honneur est en cause. Je suis pas comme ce vieux débris (il désigne Durandal) qui roupille déjà derrière ses câbles à haute tension !
Je calme la colère de l'époux et je me hâte d'enchaîner.
— Ces nord-men, ou normands, envahirent la France et firent le siège de Paris. Au début, il y eut du suif, mais le roi Charles le Simple écrasa le coup en mariant sa fille Gisèle au chef des envahisseurs, un dénommé Rollon. Il lui donna pour dot un territoire qu'on appelait la Neustrie et qui, par la suite, prit le nom de Normandie, vous saisissez ?
— Voilà, voilà, fait Berthe. Je réalise maintenant la chanson « Je veux revoir ma Normandie ». C'étaient les réfugiés neustrons qui devaient la chanter, n'est-ce pas, Commissaire ?
— Pourquoi pas, ma douce amie…
Béru est tout renfrogné dans son fauteuil-club. Je lui demande la raison de cette mine déconfite et il explose.
— Tu te figures que c'est marrant de se savoir d'origine étrangère, San-A ? Maman était normande, tu saisis ! Alors ça me fait marrer d'apprendre que j'ai du raisin suédois dans les conduits. Mon dabe aurait su l'histoire dont tu causes, jamais il aurait marida ma vieille. Il était bien trop patriote : un homme qu'a fait Verdun du premier au dernier jour et qu'en a ramené tellement de médailles que, quand il voulait lacer ses pompes les jours de 11 Novembre, il fallait qu'on l'aide à se redresser tellement ça lui faisait du poids sur le placard !
Le Gros essuie un pleur composé d'un dixième de navrance, de deux dixièmes de ancœur et de sept dixièmes de juliénas.
— Enfin, bon, balbutie-t-il, tandis que sa généreuse compagne lui pétrit la main pour lui exprimer sa compassion, poursuis tout de même…
Je déguste ma tasse de Mokarex.
Mes amis sont tout ouïe, sauf évidemment le père Durandal qui hoche la tête de temps en temps pour donner à croire qu'il participe.
— Les rois qui se sont succédé après Charlemagne et jusqu'à Philippe-Auguste, fais-je, n'ont pas laissé un grand souvenir. Les Louis I er, Louis II, Louis III, etc… Les Robert II, les Henri I eret autres Philippe I ersont les maigres maillons d'une chaîne en toc dorée à la fleur de lys. Je vous citerai tout de même pour mémoire l'ami Hugues Capet parce qu'il fonda la dynastie des Capétiens, mais à quoi bon s'étendre sur ces bonshommes qui se servaient de leur sceptre pour se gratter le dos ou faire tomber leurs pellicules ?
— T'as raison, approuve véhémentement Bérurier, du reste je t'ai demandé de ne me causer que des tout grands.
Fort de cette approbation, j'aborde donc d'une salive régénérée le chapitre du camarade Philippe-Auguste. Durandal qui sent, à un discret frémissement de l'air, que ça va se corser, règle son transistor à pédales sur les grandes ondes. Il ouvre ses vasistas et je le vois passer une paluche faussement négligente sur le dossier de Berthe. M'est avis qu'il aime le gras-double, Durandal. Depuis qu'il a mis la main à son panier chez le crémier, il lui est arrivé des trucs, au sourdingue.
Le coup de foudre, c'est capricieux. Vous rencontrez des bonnes femmes pendant des années dans l'escadrin sans penser à autre chose qu'à leur dire bonjour, et puis un matin, comme ça, en les apercevant, l'envie vous prend de baisser votre grimpant au lieu de soulever votre bada. Les mystères de l'humain, quoi ! Ça ne s'explique pas !
Le constipé des feuilles se met à titiller d'un doigt mandolinesque la nuque de Berthe. Ça lui fait un court-jus, à la Gravosse. Les papouilles, faut pas lui en promettre ! Quand on la met en chantier, cette dadame, y a des heures supplémentaires à prévoir, moi je vous le dis ! On dépasse le devis initialement prévu.
— Donc, poursuis-je, R.A.S. avant Philippe-Auguste.
— Qu'est-ce qu'il a fait ce mec-là ? se pourléche Béru.
— De grandes choses.
— Et pourquoi qu'il portait pas un numéro comme tout le monde, ton Auguste ?
— Officiellement, c'était Philippe II, Gros. Mais les rois, c'est le contraire des fils d'hommes célèbres. Un fils à papa qui en a dans le bide cherche à se faire un prénom ; un roi, il naît avec un prénom ; par contre, si c'est pas une lavasse, il doit se faire un surnom. Nous l'avons déjà vu pour Charlemagne qui aurait dû être tout bêtement Charles I er. Philippe II, lui, c'est devenu Philippe-Auguste le Conquérant.
— Qu'est-ce qu'il a conquéri ? questionne Berthe d'une voix qui se pâme un peu sur les bords because les attouchements de M. Durandal.
— Il a repris aux Anglais les provinces que ceux-ci nous avaient sucrées à la suite de coups fourrés.
— C'est bien fait ! mugit le Gravos, soudain rasséréné.
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