Marc Levy - Mes amis, mes amours
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Mathias était déjà sur le palier, Audrey l’observa longuement.
– Pourquoi me regardes-tu comme ça ? demanda-t-il en appuyant sur le bouton de l’ascenseur.
– Tu n’as personne d’autre dans ta vie ?
– Si, ma fille…
– Alors file !
Et la porte du studio se referma sur le baiser qu’elle venait de lui envoyer.
*
– À quelle heure est ton train ? demanda Yvonne.
– Puisque tu ne veux pas que nous allions chez toi, et que le Kent est encore trop loin à tes yeux, que dirais-tu de dormir dans un palace ?
– Toi et moi dans un hôtel ? John, tu as vu nos âges ?
– Dans mes yeux tu n’as pas d’âge, et quand je suis avec toi, je n’en ai pas non plus. Je ne te verrai jamais autrement qu’avec le visage de cette jeune femme qui est entrée un jour dans ma librairie.
– Tu es bien le seul ! Tu te souviens de notre première nuit ?
– Je me souviens que tu as pleuré comme une Madeleine.
– J’ai pleuré parce que tu ne m’avais pas touchée.
– Je ne l’ai pas fait parce que tu avais peur.
– C’est bien parce que tu l’avais compris que j’ai pleuré, imbécile.
– J’ai réservé une suite.
– Allons déjà dîner dans ton palace, nous verrons après.
– Aurai-je le droit d’essayer de t’enivrer ?
– Je crois que tu le fais depuis que je t’ai rencontré, dit Yvonne en serrant sa main dans la sienne.
*
– 142 –
Dix-sept heures trente. L’Austin Healey filait sur des chemins de traverse. Le Sussex était une région magnifique. Antoine sourit, au loin la rame d’un Eurostar était arrêtée en pleine campagne. Les passagers à son bord n’étaient pas près d’arriver à destination, alors que lui serait à Londres dans deux heures environ…
*
Dix-sept heures trente-deux. Le contrôleur avait annoncé un retard de une heure sur l’horaire prévu. Mathias aurait voulu appeler Danièle pour la prévenir. Il n’y avait aucune raison pour qu’Antoine arrive avant lui, mais il était préférable de préparer un bon alibi. La campagne était magnifique, mais malheureusement pour lui, le long des voies ferrées, son portable ne captait aucun réseau.
– Je hais les vaches, dit-il en regardant par la fenêtre.
*
La journée tirait à sa fin, Sophie rangea les pétales éparpillés dans le tiroir pré-
vu à cet effet. Elle en dispersait toujours quelques poignées dans ses bouquets. Elle tira la grille du magasin, ôta sa blouse et sortit par l’arrière-boutique. L’air était frais, mais la lumière bien trop belle pour rentrer chez soi. Enya l’invita à choisir une table parmi celles qui étaient libres, et il y en avait beaucoup. Dans la salle de restaurant, un homme aux airs d’explorateur perdu dînait seul. Elle répondit à son sourire, hésita un moment puis fit signe à Enya qu’elle allait dîner au côté du jeune homme. Elle avait toujours rêvé de visiter l’Australie, elle aurait mille questions à poser.
*
Vingt heures. Le train arrivait enfin en gare de Waterloo. Mathias se précipita sur le quai et dévala le tapis roulant, bousculant tous ceux qui gênaient soir passage.
Il arriva le premier à la tête de station de taxis, et promit au chauffeur un pourboire substantiel s’il le déposait à South Kensington dans la demi-heure.
– 143 –
*
La pendule au tableau de bord affichait vingt heures dix, Antoine hésita et bi-furqua dans Bute Street. Les grilles du magasin de fleurs étaient évidemment fermées puisque ce week-end Sophie était en voyage. Le bras posé sur le fauteuil vide du passager, il fit une marche arrière et reprit le chemin de Clareville Grove. Il y avait une place juste devant la maison. Il s’y rangea et récupéra dans le coffre les deux minia-tures que le chef d’atelier lui avait confectionnées : l’oiseau en bois pour Emily, l’avion pour Louis. Mathias ne pourrait pas lui reprocher d’avoir oublié de rapporter des petits cadeaux pour les enfants.
Quand il entra dans le salon, Louis lui sauta dans les bras. Emily releva à peine la tête, elle était en train de terminer un dessin avec Tatie Danièle.
*
Sophie avait mangé son entrée à Sydney, découpé sa sole à Perth, et savourait une crème caramel en visitant Brisbane. C’était décidé, un jour, elle irait en Australie.
Bob Walley ne pourrait hélas lui servir de guide avant longtemps. Son tour du monde l’entraînerait dès le lendemain au Mexique. Un centre de vacances au bord de la mer lui avait promis un emploi de moniteur de voile pour six mois. Ensuite ? Il n’en savait rien, la vie guidait ses pas. Il rêvait de l’Argentine, puis en fonction de ses moyens il gagnerait le Brésil, le Panama. La côte Ouest des États-Unis serait la première étape du périple qu’il ferait l’année prochaine. Il avait rendez-vous avec des amis au printemps suivant pour chasser la grande vague.
– Où exactement sur la côte Ouest ? demanda Sophie.
– Quelque part entre San Diego et Los Angeles.
– Vous avez des points de chute précis, dit Sophie en riant de bon cœur. Comment faites-vous pour vous retrouver, avec vos amis ?
– Par le bouche à oreille, nous finissons toujours par savoir où nous joindre. Le monde des surfeurs est une petite famille.
– Et après ?
– San Francisco, passage obligatoire sous le Golden Gâte avec une voile, ensuite je chercherai un cargo qui voudra bien me prendre à son bord et je filerai vers les îles Hawaï.
Bob Walley comptait rester au moins deux années dans le Pacifique, il y avait tellement d’atolls à découvrir. Au moment de demander l’addition, Enya rappela au jeune surfeur de ne pas oublier la planche qu’il lui avait confiée. Elle l’attendait contre son mur, à l’entrée de l’office.
– Ils n’ont pas voulu vous la garder à l’hôtel ? demanda Sophie.
– 144 –
– J’avais parlé d’une chambre à un prix abordable…, répondit Bob, gêné.
Pour poursuivre son périple, il fallait qu’il gère son budget au plus serré. Il ne pouvait dépenser pour le lit d’une nuit ce qui lui permettrait de vivre presque un mois en Amérique du Sud. Mais Sophie ne devait surtout pas s’en inquiéter. Le temps était clément, les parcs de Londres magnifiques et il adorait dormir à la belle étoile. Il avait l’habitude.
Sophie leur commanda deux cafés. Un explorateur australien qui partait pour le Mexique et qui ne rentrerait de voyage qu’au siècle prochain… Ne pas s’inquiéter qu’il passe la nuit dehors ?… C’était mal la connaître ! Elle se sentait soudain très coupable de l’avoir mal aiguillé ce matin ; c’était quand même un peu de sa faute à elle, si ce beau surfeur n’avait pu trouver de quoi se loger à un prix raisonnable…
Qu’est-ce qu’elle était mignonne cette fossette qu’il avait au menton… Pour me déculpabiliser et pour me déculpabiliser seulement… C’est fou comme elle se creuse quand il sourit… Qu’est-ce qu’il a de belles mains… S’il pouvait sourire encore une fois, rien qu’une petite fois… Il faut juste trouver du courage… Après tout, ça ne doit pas être si difficile que ça à dire…
– Vous ne connaissez pas la région et c’est normal, mais à Londres il peut pleuvoir à n’importe quel moment… surtout la nuit… et quand il pleut, il pleut vraiment très fort…
Sophie fit discrètement glisser l’addition sur ses genoux, la roula en boule et la jeta sous la table. Elle fit signe à Enya qu’elle viendrait la régler le lendemain.
*
Un peu plus tard, Bob Walley cédait le passage à Sophie en entrant dans son appartement, John Glover faisait de même avec Yvonne au seuil de la suite qu’il avait réservée au Carlton, et quand Mathias inséra sa clé dans la serrure de la maison, ce fut Antoine qui lui ouvrit la porte. Il venait de raccompagner Danièle à un taxi…
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