L’heure suivante, Tomás la passa au téléphone. Il reparla au directeur du SEF et appela l’ambassade des États-Unis. Il chercha à persuader l’administration de la fondation Gulbenkian et du rectorat de l’Université nouvelle de Lisbonne d’user de leur influence. Il appela même Langley pour essayer de parler à Frank Bellamy.
Tout échoua. En réalité, Ariana venait de lui être enlevée. Comme si une muraille s’était soudain dressée autour de la femme qu’il aimait. Une muraille qui n’était rien d’autre que l’ambassade américaine à Lisbonne.
Il s’assit sur un banc dans la zone des arrivées et frotta son visage avec ses mains. Il se sentait désespéré, impuissant. Que pouvait-il faire maintenant ? Comment se sentait Ariana ? Trahie ? Une seule solution s’imposait. Il devait élucider le mystère du manuscrit d’Einstein. Il ne disposait d’aucune autre option.
Mais comment faire ? D’une part, il devait trouver la seconde voie découverte par le professeur Siza. D’autre part, il y avait la question toujours non élucidée du message codé, celui qui était censé cacher la formule de Dieu. C’était la formule sur laquelle, selon Tenzing, tout reposait. La formule qui générait l’univers, qui expliquait l’existence, qui faisait de Dieu ce qu’Il est.
Il plongea sa main dans la poche et en sortit la feuille de papier avec le poème déjà déchiffré. Juste en dessous, toujours aussi agaçante, se trouvait la dernière énigme, cachant encore son impénétrable secret.
Comment diable puis-je déchiffrer cette charade ? s’interrogea-t-il. Il fit un effort pour se remémorer les informations du Bodhisattva concernant la façon dont Einstein avait crypté ce message. Tenzing avait parlé d’un système à double chiffrage et aussi du recours à…
Son portable sonna. Tremblant d’anxiété, il le sortit de sa poche et décrocha.
— Allo, oui ?
— Allo ? Tomás ?
C’était sa mère.
— Oui, maman, murmura-t-il, en cachant mal sa déception. C’est moi.
— Ah, mon garçon. Enfin ! J’étais terriblement inquiète, tu n’imagines pas…
— Oui, je suis rentré. Qu’y a-t-il ?
— Je n’ai pas cessé de t’appeler mais tu ne répondais jamais. Aucune nouvelle, c’est incroyable !
— Mais maman, tu savais très bien que j’étais au Tibet.
— Tu aurais pu nous donner de tes nouvelles, non ?
— Mais je l’ai fait.
— Seulement le jour de ton arrivée. Après, plus aucun signe de vie.
— Écoute, maman, tu n’imagines pas les ennuis que j’ai eus là-bas, et oui c’est vrai, je n’ai pas eu le temps d’appeler. Mais je suis là maintenant, non ?
— Grâce à Dieu, mon garçon. Grâce à Dieu.
Madame Noronha commença à sangloter à l’autre bout de la ligne et Tomás changea de ton, se montrant aussitôt préoccupé.
— Allons, maman, que se passe-t-il ?
— C’est ton père…
— Que lui arrive-t-il ?
— Ton père…
— Oui ?
— Ton père a été hospitalisé.
— Papa a été hospitalisé ?
— Oui. Hier.
— Où ?
— Au centre hospitalier de l’université.
Sa mère pleurait à présent ouvertement à l’autre bout de la ligne.
— Maman, calme-toi.
— Ils m’ont dit de me préparer.
— À quoi ?
— Ils m’ont dit qu’il allait mourir.
L’odeur caractéristique des hôpitaux, ce léger relent aseptique qui semble suinter des murs blancs, mit Tomás mal à l’aise. Il regarda sur le côté et, dans un geste tendre, caressa les cheveux bouclés de sa mère. Madame Noronha serrait un mouchoir dans sa main. Ses yeux étaient rouges, mais elle essayait de se maîtriser ; elle savait qu’au moment où elle reverrait son mari, il lui faudrait se montrer confiante, positive, pleine d’énergie, et ce devoir lui donnait la force de dompter l’angoisse qui l’assaillait.
Ils virent la porte s’ouvrir. Un homme chauve, en blouse blanche et aux épaisses lunettes, entra dans la petite salle d’attente et s’approcha. Il embrassa madame Noronha sur les deux joues et tendit la main à Tomás.
— Ricardo Gouveia, se présenta-t-il. Comment allez-vous ?
C’était le médecin de son père.
— Bonjour, docteur. Je suis le fils du professeur Noronha.
— Ah, l’aventurier ! dit le médecin en souriant. Vos parents m’ont beaucoup parlé de vous.
— Ah, oui ? Et qu’ont-ils dit ?
Gouveia lui adressa un clin d’œil.
— Vous n’avez jamais entendu parler du secret médical ?
Le médecin leur fit signe de le suivre et les emmena dans une petite pièce, où trônait un squelette humain grandeur nature. Il les invita à s’asseoir devant son bureau et feuilleta des dossiers, laissant passer quelques minutes avant d’affronter les regards anxieux qui l’observaient. Il semblait chercher à gagner du temps, mais il finit par lever la tête.
— Je regrette, mais il n’y a pas de grand changement concernant l’état de santé de votre mari, dit Gouveia, en se tournant vers Madame Noronha. Il est toujours aussi mal en point qu’hier. La seule chose que l’on puisse dire c’est que son état semble se stabiliser.
— Et c’est bon signe ? demanda-t-elle, très nerveuse.
— Eh bien… disons que ce n’est pas mauvais signe.
— Manuel respire comment docteur ?
— Avec difficulté. Nous lui avons donné de l’oxygène et des médicaments qui dilatent les voies respiratoires, de manière à le soulager, mais les difficultés persistent.
— Ah, mon Dieu. Souffre-t-il beaucoup ?
— Non.
— Dites-moi la vérité, s’il vous plaît.
— Il ne souffre pas, rassurez-vous. Il est arrivé hier avec d’affreuses douleurs, si bien que nous lui avons administré un puissant narcotique et ça le soulage beaucoup.
Madame Noronha se mordit la lèvre inférieure.
— Pensez-vous qu’il a encore une chance ?
Gouveia soupira.
— Votre mari a une maladie très grave. Il ne faut pas l’oublier. À votre place, comme je vous l’ai dit hier, je me préparerais au pire. Il fit une moue. Dans tous les cas, il n’est pas impossible que son état s’améliore. Il y a beaucoup d’exemples de situations dramatiques qui, au dernier moment, s’inversent. Peut-être que ce sera aussi le cas. Mais, quoi qu’il en soit, je crois qu’il faut regarder la situation avec calme et lucidité. Il prit un air résigné. La vie est ainsi faite. Parfois, il faut prendre les choses comme elles viennent, même si c’est très difficile.
Tomás, qui jusque-là avait gardé le silence, s’agita sur sa chaise.
— S’il vous plaît, docteur, pourriez-vous m’expliquer de quoi souffre exactement mon père ?
— Votre père a un carcinome des cellules squameuses en phase quatre, répondit le médecin, visiblement soulagé de pouvoir entrer dans les explications techniques, terrain où il se sentait plus à l’aise.
— Il s’agit d’un cancer du poumon, c’est bien ça ?
— C’est un cancer du poumon qui s’est déjà étendu dans tout le corps. Il a des métastases dans le cerveau, dans les os, et maintenant dans le foie.
— Et c’est incurable ?
Le médecin hocha la tête.
— Je le crains, oui.
— Et le traitement ?
— Dans l’état où se trouve votre père, il n’y a plus de traitement efficace. Normalement, ce type de cancer doit être traité par la chirurgie, mais pas en phase quatre, où il s’est déjà disséminé partout. Lorsque le cas est inopérable, on a recours à la radiothérapie, comme on l’a fait avec votre père ces derniers temps.
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