— L’univers est constitué de particules élémentaires, dit-il après avoir reposé sa tasse. On pensait au début que ces particules étaient les atomes, si bien qu’on leur donna ce nom. « Atome » vient du grec qui signifie « indivisible ». Sauf qu’au fil du temps, les physiciens se sont aperçus qu’il était possible de diviser l’indivisible. On a découvert qu’il existait des particules encore plus infimes, respectivement les protons et les neutrons, qui s’assemblent dans le noyau de l’atome, et l’électron, qui gravite autour comme un satellite, mais à une vitesse incroyable.
Il imita le mouvement de l’électron en faisant tourniquer son index autour de la tasse posée sur la table.
— Imaginez que Lisbonne se réduise aux dimensions d’un atome. Dans ce cas, son noyau aurait la taille, disons, d’un de vos ballons de football, placé au centre de la ville. Et l’électron serait une bille évoluant dans un rayon de trente kilomètres autour de ce ballon, et capable d’en faire quarante mille fois le tour en moins d’une seconde.
— Fichtre.
— Ceci pour vous donner une notion du vide et de la petitesse d’un atome.
Tomás frappa trois légers coups sur la table.
— Mais si les atomes sont constitués par tant de vide, dit le Portugais, pour quelle raison, quand je frappe cette table, ma main la heurte-t-elle sans la traverser ?
— Cela s’explique par les forces de répulsion entre les électrons, et par un élément qu’on appelle le principe d’exclusion de Pauli, selon lequel deux atomes ne peuvent avoir le même nombre quantique.
— Ah.
— Ce qui nous conduit à la question des forces présentes dans l’univers. Toutes les particules interagissent entre elles à travers quatre forces. Quatre. La force de gravité, la force électromagnétique, la force forte et la force faible. La force de gravité, par exemple, est la plus faible de toutes, mais son rayon d’action est infini. Il refit le mouvement orbital autour de la tasse. Depuis la terre, on sent l’attraction de la force de gravité du soleil et même celle du centre de la galaxie, autour de laquelle nous tournons. Ensuite, il y a la force électromagnétique, qui allie la force électrique et la force magnétique. Le propre de la force électrique est que des charges opposées s’attirent et des charges semblables se repoussent. Il frappa du doigt sur la table. C’est ici que réside le problème. Les physiciens se sont aperçus que les protons ont une charge positive. Mais la force électrique suppose que des charges semblables se repoussent. Or, si les protons ont des charges semblables, puisqu’elles sont toutes positives, ils doivent obligatoirement se repousser. Finalement, on a découvert que, si on amplifiait les protons jusqu’à la taille d’un ballon de football, même si on les ceinturait avec une ligature métallique la plus résistante qui soit, la force électrique répulsive serait telle que cette ligature métallique se déchirerait comme du papier de soie. Ceci pour vous donner une idée de la puissance de force électrique qui éloigne les protons les uns des autres. Et pourtant, malgré toute cette force répulsive, les protons restent unis dans le noyau. Pourquoi ? Quelle force extraordinaire pourrait dépasser la puissante force électrique ? Il marqua une pause dramatique. Les physiciens se sont mis à étudier le problème et ont découvert qu’il existait une force inconnue. Ils l’ont appelée la force nucléaire forte. C’est une force si grande qu’elle est capable de maintenir les protons unis dans le noyau. Il serra le poing, comme si sa main était l’énergie qui maintenait la cohésion du noyau. En fait, la force forte est environ cent fois plus forte que la force électromagnétique. Si les protons étaient deux trains s’éloignant l’un de l’autre à une très grande vitesse, la force forte serait suffisante pour les maintenir l’un contre l’autre, et les empêcher de s’éloigner. Voilà ce qu’est la force forte. Mais, malgré toute sa formidable puissance, la force forte a un rayon d’action très court, inférieur à la taille d’un noyau atomique. Si un proton réussit à s’échapper du noyau, alors il cesse d’être sous l’influence de la force forte et n’est plus soumis qu’à l’influence des autres forces. Vous me suivez ?
— Oui.
— Brave garçon.
Bellamy réfléchit quelques instants au moyen d’expliquer la suite. Il se tourna vers la fenêtre et observa le soleil sur le point de disparaître derrière les immeubles qui se découpaient sur l’horizon.
— Regardez le soleil. Pour quelle raison brille-t-il et dégage-t-il de la chaleur ?
— Parce qu’il y a des explosions nucléaires ?
— C’est ce qu’on pourrait croire, bien sûr. En vérité, ce ne sont pas des explosions, mais les mouvements d’un plasma dont l’origine première provient de réactions nucléaires qui se produisent dans le noyau. Savez-vous ce qu’est une réaction nucléaire ?
Tomás haussa les épaules.
— Heu… sincèrement, je l’ignore.
— Les physiciens ont continué de creuser et ont découvert que, dans des conditions déterminées, il était possible de libérer l’énergie de la force forte contenue dans le noyau des atomes. On y parvient par le biais de deux processus, la scission et la fusion du noyau. En cassant un noyau ou en fusionnant deux noyaux, la prodigieuse énergie de la force forte qui unit le noyau se libère. Sous l’action des neutrons, les autres noyaux proches vont également être cassés, dégageant encore plus de force forte et provoquant ainsi une réaction en chaîne. Or, vous avez vu combien la violence de cette force forte est extrême ? Maintenant imaginez ce qui se produit quand son énergie est libérée en grande quantité.
— Il y a une explosion ?
— Il y a une libération de l’énergie des noyaux des atomes, où réside la force forte. On l’appelle, pour cette raison, une réaction nucléaire.
Tomás ouvrit la bouche.
— Ah ! s’exclama-t-il. J’ai compris.
L’Américain se remit à contempler la sphère orangée qui se couchait sur les toits de tuiles de Lisbonne.
— C’est ce qui se passe dans le soleil. La fusion nucléaire. Les noyaux des atomes ne cessent de fusionner, libérant ainsi l’énergie de la force forte. On a longtemps pensé que cela ne pouvait se produire que dans la nature. Mais en 1934, un scientifique italien avec lequel j’ai travaillé à Los Alamos, du nom d’Enrico Fermi, a bombardé de l’uranium avec des neutrons. L’analyse de cette expérience a permis de découvrir que le bombardement avait généré des éléments plus légers que l’uranium. Mais comment était-ce possible ? La conclusion a été que le bombardement avait cassé le noyau d’uranium, ou, en d’autres termes, avait provoqué sa scission, permettant ainsi la formation d’autres éléments. On a compris alors qu’il était possible de libérer artificiellement l’énergie de la force forte, non pas par le biais de la fusion des noyaux, comme c’est le cas dans le soleil, mais par le biais de leur scission.
— C’est donc ça la bombe atomique.
— Rien d’autre. Au fond, la bombe atomique est la libération en chaîne de l’énergie de la force forte par le biais de la scission du noyau des atomes. À Hiroshima, on a utilisé l’uranium pour obtenir cet effet, à Nagasaki on a recouru au plutonium. Ce n’est que plus tard, avec la bombe à hydrogène, qu’on a abandonné le procédé de la scission des noyaux pour adopter celui de la fusion, comme cela se produit à l’intérieur du soleil.
Frank Bellamy se tut, se recala sur sa chaise et avala le café qui restait dans sa tasse. Puis il croisa ses mains et se détendit. Il semblait avoir terminé son exposé, ce qui laissa Tomás quelque peu interloqué. Le silence se prolongea durant une trentaine de secondes, d’abord gênant, puis carrément insupportable.
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