— Allons, vous n’avez pas à me remercier, répondit le physicien avec un geste décontracté. Mais quelle est donc cette histoire de vie ou de mort dont vous m’avez parlé au téléphone ? J’avoue que vous m’avez semblé très inquiet…
Tomás soupira.
— Ne m’en parlez pas, murmura-t-il, en roulant des yeux. Il n’y a que vous qui puissiez m’aider…
Luís Rocha eut l’air intrigué.
— Eh bien ? Que se passe-t-il ?
— Écoutez, je suis impliqué dans une sombre affaire qui a commencé ici, à Coimbra, voilà quelques mois et qui, d’une certaine manière, vous concerne également.
— Vous êtes sûr ?
— Oui, oui, affirma Tomás. C’est une longue histoire, qui nous ferait perdre du temps si je vous la racontais maintenant. L’important, c’est que tout a commencé par un incident dont vous avez été témoin.
— Moi ?
— La disparition du professeur Siza.
En entendant le nom de son maître, le jeune physicien sembla tressaillir.
— Ah ! s’exclama-t-il, hésitant. Je comprends. Il hocha la tête et prit soudain un air grave. Suivez-moi.
Luís entraîna Tomás dans la deuxième salle et le conduisit jusqu’à une immense table en bois sombre installée dans un coin. Peu de gens fréquentaient la bibliothèque à cette heure-là, si bien que les deux professeurs se sentirent à l’aise ; seuls deux visiteurs admiraient les rayons de la troisième salle, tandis qu’un fonctionnaire époussetait le dos des livres au premier étage de la deuxième salle.
Luís s’installa sur son siège et croisa les jambes.
— Alors, dites-moi, professeur. Que se passe-t-il ?
— Je viens de rentrer du Tibet, où j’ai rencontré un moine bouddhiste nommé Tenzing Thubten. Il leva un sourcil, inquisiteur. Vous connaissez ce nom, je présume…
Le physicien chercha à feindre, mais fut très vite trahi. Il était évident qu’il connaissait Tenzing.
— Eh bien… oui, bredouilla-t-il, en réalisant qu’il était tombé dans le piège. Et alors ?
Tomás se redressa sur sa chaise.
— Écoutez, professeur Rocha, le mieux serait peut-être de ne plus tourner autour du pot, dit-il, en baissant la voix et en parlant très vite. J’ai été contacté il y a quelque temps pour déchiffrer un texte énigmatique signé de la main d’Albert Einstein. Le texte s’intitule La Formule de Dieu et, comme vous devez très bien le savoir, il était en la possession du professeur Siza et a été dérobé au moment où le professeur a disparu. Ce que vous ignorez sans doute, c’est que j’ai fini par le localiser à Téhéran.
Luís écarquilla les yeux.
— À Téhéran ?
— Oui.
— Mais… Comment ?
— Peu importe. Ce qui compte, c’est de l’avoir retrouvé.
— Mais, c’est fantastique ! Vous rendez-vous compte ? Ce manuscrit a disparu avec le professeur Siza. Or, si ce document a été retrouvé à Téhéran, il est possible que le professeur Siza y soit également…
— Laissez-moi terminer, s’il vous plaît, demanda Tomás, d’une voix patiente.
— Excusez-moi.
Tomás remit de l’ordre dans ses pensées.
— Toute cette enquête a fini par me conduire au Tibet, où j’ai rencontré Tenzing Thubten, un moine que vous connaissez bien d’après ce que vous venez de me dire.
— Seulement de réputation, précisa le physicien. Seulement de réputation. Le professeur Siza parlait beaucoup de lui. Il l’appelait le « Petit Bouddha ».
Tomás sourit légèrement.
— Le Petit Bouddha ? C’est bien vu, oui. Son sourire s’effaça et il reprit son récit. Donc, Tenzing m’a raconté une histoire très intéressante, ayant eu lieu en 1951, à Princeton, concernant Einstein, le professeur Siza et lui-même. Le Petit Bouddha, comme vous l’appelez, m’a révélé le contenu secret de La Formule de Dieu , mais pas la formule elle-même, qui est codée. Ensuite, il m’a dit que le professeur Siza l’avait contacté en début d’année pour l’informer qu’il avait découvert une seconde voie pour démontrer l’existence de Dieu. Il paraît que c’était là une condition imposée par Einstein pour pouvoir divulguer son manuscrit. Et il semble que le professeur Siza projetait de faire une annonce publique, destinée à révéler l’existence de ce manuscrit et à rendre public la seconde voie qu’il venait de découvrir.
Tomás fit une pause et pencha la tête, le regard inquisiteur, ce qui sembla affoler son interlocuteur.
— Hmm, murmura Luís, résolu à ne rien dévoiler.
— Alors ? Cette histoire est-elle vraie ?
— Je ne peux rien vous dire.
— Vous ne pouvez rien me dire ?
— Non, je ne peux pas.
— Mais vous étiez un proche collaborateur du professeur Siza. Vous savez forcément ce qui se passait.
Luís Rocha fit un geste d’agacement.
— Écoutez, les recherches du professeur Siza appartiennent au professeur Siza. Lui seul peut parler de ce qu’il a découvert.
— D’après mes informations, il avait l’intention de le faire, n’est-ce pas ?
— Je ne peux rien vous dire.
— Il avait l’intention de le faire, jusqu’à ce qu’il soit enlevé par des agents du Hezbollah commandités par l’Iran.
Le physicien hésita.
— Des agents du quoi ?
— C’est une histoire très compliquée, professeur Rocha. Il semblerait que votre mentor ait fait des déclarations ambigües et imprudentes lors d’un colloque international, des déclarations qui ont été entendues et mal comprises par des oreilles indiscrètes. Les paroles du professeur Siza ont été interprétées comme une allusion à une formule d’Einstein permettant la production d’une arme nucléaire bon marché et facile à concevoir ; et c’est ce malentendu qui a conduit à son enlèvement.
Luís Rocha le regarda d’un air dubitatif.
— Mais comment savez-vous tout ça ?
— Disons… qu’il m’a fallu participer aux efforts pour localiser le professeur Siza. Je vous en avais déjà parlé lors de notre première rencontre, vous vous rappelez ?
— En effet, mais j’ignorais qu’on avait découvert tant de choses concernant la disparition du professeur. Il a été enlevé et emmené en Iran à cause du manuscrit d’Einstein, dites-vous ?
— Oui.
— Vous en êtes sûr ?
— Absolument.
— Mais c’est complètement… délirant ! Il secoua la tête, comme s’il cherchait à se réveiller. Jamais je n’aurais imaginé une chose pareille !
— Peut-être, mais c’est bien ce qui est arrivé.
— C’est incroyable !
Tomás se pencha en avant, brûlant d’obtenir l’information dont il avait désespérément besoin.
— Dites-moi, professeur. Quelle était la seconde voie découverte par le professeur Siza ?
Le physicien digérait encore la révélation que venait de lui faire l’historien et le regarda d’un air embarrassé.
— Excusez-moi, mais il faudra attendre que… le professeur Siza soit libéré pour pouvoir en parler. Comme vous pouvez le comprendre, il s’agit d’une recherche conduite par lui et je… ne peux rien divulguer. J’ai un devoir de loyauté et de confidentialité. Quoi qu’il en soit, il me paraît important…
— Professeur Rocha.
— … d’entrer en contact avec les ravisseurs du professeur Siza pour…
— Professeur Rocha.
— … dissiper ce stupide malentendu.
Tomás fixa du regard son intarissable interlocuteur.
— Professeur Rocha, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer.
— Oui ?
— Le professeur Siza est mort.
Il y eut un bref silence d’ahurissement.
— Comment ?
— Le professeur Siza est décédé dans sa geôle. Les Iraniens étaient en train de l’interroger lorsqu’il est mort. Il baissa la tête, navré d’être le porteur de la nouvelle. Je suis désolé.
Читать дальше