Maintenant, la décoration proprement dite. Des verrières donnant sur la cour, ainsi tout devient translucide à l'intérieur et opaque à l'extérieur.
Beaucoup de plantes vertes. Des meubles japonais en bois précieux qu'il faudra au préalable laquer à la cire de miel teinte en noir. Elle aligne ensuite les parquets, répartit les tapis d'Orient dans les chambres d'amis, choisit des tentures. Son cerveau est enfin en pleine activité.
Son ordinateur travaillait sans relâche.
Jean-Louis Martin, pressé de trouver, finit par créer lui-même ses agents informatiques capables de traquer l'information sur le Net.
Athéna l'assistait, déesse minérale bienveillante et omniprésente.
Il se mit donc à récupérer de petits programmes qu'il modifia lui-même pour satisfaire ses besoins. En hommage à Ulysse, il baptisa ces nouveaux agents informatiques: ses «marins». Et tous ses «marins» étaient à la recherche non pas d'Ithaque, mais de l'Ultime Secret.
Les programmes qui activaient le cœur de ses «marins» étaient issus des dernières découvertes en intelligence artificielle, ils étaient donc capables de se reproduire et de s'améliorer pour atteindre un objectif donné. La première génération de «marins» se dispersa n'importe comment sur le réseau informatique à la recherche d'indices. Ensuite, sans aucune intervention humaine, ces centaines de «marins» firent le point, et désignèrent parmi eux les cinq à avoir obtenu les meilleurs résultats. Les autres disparurent et les gagnants furent autorisés à se reproduire. Ils fabriquèrent alors des centaines de programmes similaires à eux-mêmes mais encore plus spécialisés dans les domaines qui leur avaient valu leur élection.
Jean-Louis Martin avait eu l'idée de fabriquer ses «marins» en s'inspirant du darwinisme: sélection des meilleurs, encouragement des plus forts, aide aux plus doués et abandon de tous les incompétents.
Ce n'était certes pas un mécanisme moral mais, dans le domaine informatique, les programmes ne possédaient pas encore de conscience politique, songea-t-il.
La deuxième génération de marins se sélectionna elle-même de façon à permettre aux cinq meilleurs de donner naissance à des programmes beaucoup plus spécialisés dans leur recherche. Les marins de troisième génération profitaient ainsi de toute l'expérience et de toutes les connaissances des générations précédentes.
Il fallut quinze générations de marins pour parvenir à produire une bande de surdoués, qui finirent par toucher au but.
Celui-ci se trouvait en Russie, à Saint-Pétersbourg, au centre du cerveau dirigé par le docteur Tchernienko. Là, grâce à plusieurs indices infimes mais qui se recoupaient, les agents informatiques déduisirent que l'Ultime Secret avait été utilisé pour des expériences sur l'homme.
Les neurones de Lucrèce font du mieux qu'ils peuvent avec le stock de sucres qu'ils trouvent dans les graisses de la jeune fille.
Pour réfléchir et pour gérer sa peur, ils ont besoin de sucres lents, malheureusement, mode des magazines féminins oblige, Lucrèce consomme essentiellement des fibres et des légumes, pratiquement pas de pâtes, encore moins de beurre, de crème, de sucre, toutes ces choses qui ravissent les neurones et leur permettent de bien fonctionner.
Elle ne sait combien d'heures se sont écoulées. Elle a faim. Sa langue clappe dans le vide.
Comment ça fait quand on est fou…
Ne pas penser à ma situation, penser à mon château.
Son imaginaire choisit les lustres pour le petit salon, le grand salon, la salle à manger. Pour les chambres, des appliques; pour les bureaux, des halogènes. Une grande bibliothèque. Un sauna. Une salle de télévision avec écran géant. Une salle de billard. Une salle de sport avec tout le matériel pour se muscler. Mais arrive un moment où elle ne peut plus ajouter de meubles, sinon l'ensemble serait trop chargé, où elle ne peut plus ajouter de pièces, sinon elle se sentirait perdue dans un trop grand château.
Il manque pourtant quelque chose.
Un homme. Un homme, c'est le complément idéal d'un château.
Un homme, ça réchauffe le lit, ça peut accessoirement offrir des fleurs, faire la vaisselle, vous tenir blottie en regardant la télévision.
Jean-Louis Martin contacta le docteur Tchernienko à Saint-Pétersbourg via son adresse e-mail et lui signala qu'il souhaitait en savoir plus sur ses expériences sur le cerveau.
Il ne reçut pas de réponse.
Il lui expédia ensuite un fax. Athéna guida son écriture. Sans plus de résultat.
Comme le malade du LIS ne pouvait pas parler et que, de toute façon, il savait qu'il n'aurait aucun crédit face à une scientifique, il finit par raconter toute l'histoire à Samuel Fincher.
Lui contacta facilement son homologue russe, lui parla. En dépit d'un premier contact poli, elle refusa là encore toute communication sur ses recherches.
Athéna attira l'attention sur le point faible de la vie de cette femme, ce docteur Tchernienko. Certes, ce n'était pas très gentil comme méthode, mais Athéna avait aussi inscrit dans son programme la phrase de Machiavel: «La fin justifie les moyens.»
Grâce à ce moyen de persuasion, le savant français parvint à convaincre la Russe de coopérer en lui promettant de n'utiliser l'Ultime Secret que pour des expériences limitées et totalement contrôlées.
Le docteur Tchernienko accepta de leur donner l'emplacement de l'Ultime Secret, chez les souris. Un emplacement en trois dimensions, repérable au dixième de millimètre près. Elle leur envoya par e-mail le plan d'un cerveau de souris et une flèche indiquant l'endroit exact avec leurs coordonnées en hauteur, en largeur, en profondeur.
«Et voilà la carte du trésor», pensécrivit Jean-Louis Martin.
Ils contemplèrent le plan comme s'il s'agissait d'une formule magique.
– C'est dans le corps calleux! Le corps calleux est le cerveau le plus ancien. C'est le premier organisme du système nerveux, et il enregistre toutes les expériences de la naissance à deux ans. Après, des couches de cerveau s'ajoutent et se plaquent dessus. Chaque couche apporte un niveau de complexité, mais le plus important est caché au plus profond de nous… Tu avais raison, Jean-Louis.
Samuel Fincher avait effectué durant sa période d'études de petites opérations chirurgicales. Il sélectionna donc une souris, une capucine à tête noire et corps blanc, une espèce très débrouillarde utilisée normalement pour les numéros de cirque. Il fixa avec des lanières de caoutchouc la souris sur un support de liège, les pattes en croix.
Le neuropsychiatre lui rasa le haut du crâne puis prit quelques mesures avec une règle millimétrée et les inscrivit au feutre sur sa peau. Il anesthésia la souris afin que l'opération ne la traumatise pas et ne change pas les données. Il installa ensuite une caméra vidéo pour que le malade du LIS suive à distance le déroulement de l'expérience.
Il prit une scie circulaire osseuse et découpa finement le haut de la calotte crânienne de l'animal, comme s'il s'agissait du sommet d'un œuf coque. Le cerveau palpitant apparut sous l'éclairage des lampes. Lobotomie.
– Tu m'entends, Jean-Louis?
«Oui, je t'entends, Samuel», s'inscrivit sur l'écran fixé au-dessus de la caméra.
– Tu vois?
«Oui. Je dois t'avouer que je ne suis pas habitué à voir ça et je trouve cela un peu répugnant. Mais je pense que je suis de toute façon incapable de vomir.»
Samuel Fincher s'était accoutumé à parler à cette caméra avec écran comme s'il s'agissait de son ami en chair et en os.
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