Raoul m'envoie une pensée de réconfort. Il me demande de me concentrer davantage sur mes travaux d'explorateur. J'ai toujours une fraction de seconde de retard dans les virages. D'accord. Je promets de m'ap-pliquer.
Raoul, Freddy, Marilyn Monroe et moi visitons des centaines de planètes. Parfois nous descendons à la surface et n'y trouvons que de la rocaille. Pas la moindre trace d'intelligence.
Je propose de n'«atterrir» que sur les planètes tempérées, avec des océans et une atmosphère. Raoul me répond qu'il n'y a pas de raison pour que la planète où s'est rendue Nathalie soit identique à la nôtre, mais Freddy m'approuve. Mes critères suffisent à diviser par dix le nombre de planètes à explorer. Au lieu de deux cent milliards, il n'y en a désormais plus que 20 milliards…
Nous ne nous attendions pas à être arrêtés par cet adversaire: l'immensité de l'espace.
Plus j'écris, plus j'éprouve des sensations étranges. Je tremble d'émotion en écrivant et je suis traversé de frissons proches de l'amour physique. Pendant quelques minutes, je suis «ailleurs». J'oublie qui je suis.
Les scènes s'écrivent d'elles-mêmes comme si mes personnages s'émancipaient de ma tutelle. Je les regarde vivre dans mon roman comme des poissons dans un aquarium. C'est agréable et, en même temps, cela me fait peur. J'ai l'impression de jouer avec un explosif dont je ne possède pas le mode d'emploi.
Quand j'écris, j'oublie qui je suis, j'oublie que j'écris, j'oublie tout. Je suis avec mes personnages, je vis avec eux dans l'histoire. C'est comme un rêve éveillé. Un rêve éveillé erotique car mon corps tout entier exprime sa joie. Sensation d'extase. Transe. L'instant magique ne dure guère. Juste quelques minutes, quelques secondes parfois.
Cependant, je ne suis pas à même de décider quand se produiront ces moments d'extase. Ils surviennent, c'est tout. Ils me sont offerts lorsque je tiens la bonne scène, la bonne musique, les bonnes idées. Lorsqu'ils cessent, je me retrouve en sueur, hébété. Ensuite, j'ai comme un coup de blues. Une nostalgie, un regret que le moment merveilleux n'ait pas duré plus longtemps. Je baisse alors le son de ma musique et je me saoule e télévision pour oublier la douleur de ne pas vivre en permanence sur de tels sommets.
Je bondis et je lance une grenade en plein milieu de l'escouade de Tchétchènes qui vient de surgir devant moi. Je m'éloigne en courant. Je ne réfléchis pas aux balles qui, par intermittence, passent entre mes mollets. Je me précipite vers le puits au centre du village et m'accroche au seau qui y est suspendu.
Les Loups se sont fait décimer. Je ne vois même pas Stanislas. J'abaisse le son de mon baladeur. La Nuit sur le mont Chauve décline. J'entends les sifflements de ma respiration et, derrière, le crépitement du feu, des cris, des ordres, des blessés appelant à l'aide.
Les jurés m'examinent en silence. Et moi de la scène j'examine les jurés. Au centre, le champion de boxe poids lourds fixe ma poitrine. A côté de lui: quelques vieux acteurs oubliés, des animateurs de télévision, un réalisateur de films érotiques, quelques photographes spécialisés dans les nus artistiques, un footballeur qui n'a pas marqué de buts depuis longtemps.
C'est ça, les jurés? Ce sont eux qui vont décider de mon sort? Je suis soudain prise d'un doute. Mais plusieurs caméras de télévision sont là pour retrans-237 mettre le spectacle à travers tout le pays. Des millions de gens sont en train de me regarder. Je leur souris et pousse la hardiesse jusqu'à leur adresser un clin d'œil. Ce n'est pas interdit par le règlement, que je sache.
J'ai peur. J'ai tellement peur. Heureusement que je me suis bourrée de tranquillisants.
JE NE SAIS PAS CE QUI EST BON ET CE QUI EST MAUVAIS (PETIT CONTE ZEN): Un fermier reçoit en cadeau pour son fils un cheval blanc. Son voisin vient vers lui et lui dit: «Vous avez beaucoup de chance. Ce n'est pas à moi que quelqu'un offrirait un aussi beau cheval blanc!» Le fermier répond: «Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose…»
Plus tard, le fils du fermier monte le cheval et celui-ci rue et éjecte son cavalier. Le fils du fermier se brise la jambe.
«Oh! quelle horreur! dit le voisin. Vous aviez raison de dire que cela pouvait être une mauvaise chose. Assurément celui qui vous a offert le cheval l'a fait exprès, pour vous nuire. Maintenant votre fils est estropié à vie!»
Le fermier ne semble pas gêné outre mesure. «Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose», lance-t-il.
Là-dessus la guerre éclate et tous les jeunes sont mobilisés, sauf le fils du fermier avec sa jambe brisée. Le voisin revient alors et dit: «Votre fils sera le seul du village à ne pas partir à la guerre, assurément il a beaucoup de chance.» Le fermier alors répond: «Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose.»
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu , tome IV.
Dans la constellation d'Orion, c'est le néant.
Dans la constellation du Lion, il y a quelques microbes unicellulaires. Niveau de conscience pas très éloigné de la pierre.
Dans la Grande Ourse, ce sont des planètes même pas complètement formées.
Autour de l'étoile de Luyten? Des météorites glacées.
Nous perdons notre temps.
Bon sang! et pendant ce temps que peuvent faire mes clients?
Je suis blotti sous la margelle du puits quand, à tout hasard, un type y expédie une grenade. Je la rattrape habilement dans ma main droite et je l'examine. Modèle afghan G34, blindage carrelé. Je ne prends pas le temps de trembler, je la renvoie aussitôt. Le type a compris qu'il y a quelqu'un là-dedans et il s'empresse de l'y relancer. Je n'hésite pas et je remets la grenade en jeu.
Question de nerfs. Heureusement que le sergent m'a appris à jongler. Comme l'autre persiste, je regarde plus attentivement l'engin et constate que la goupille est obstruée. Mauvais matériel. Les Afghans ne sont pas des orfèvres en technologie de pointe. Cette grenade-là n'explosera jamais. Alors je saisis l'une des miennes, une bonne grenade russe, fabriquée par une bonne mère russe, et dont je connais par cœur le fonctionnement. J'attends pile les cinq secondes nécessaires, calcule bien ma trajectoire et l'envoie sur le bonhomme. Le type l'empoigne pour me la relancer mais, cette fois, elle lui pète dans la main.
La guerre, c'est pas pour les amateurs. C'est un métier où il faut savoir rester méthodique et garder le rythme. Je sais par exemple que je ne dois pas m'attar-der trop longtemps dans ce puits. Alors je bondis au-dehors, ramasse le fusil à lunette d'un copain mort et je cours me cacher dans une des maisons. J'y trouve des autochtones, mais je les tiens en respect avec mon arme et j'enferme toute la petite famille dans la cuisine. Puis je prends position près de la fenêtre et j'observe tranquillement les environs. Grâce à ma visée laser, je dispose d'un énorme avantage sur mes adversaires. Je replace le baladeur sur mes oreilles. La Nuit sur le mont Chauve résonne à nouveau dans mes tympans. Un soldat ennemi traverse mon champ de vision. Il a soudain une lumière rouge au-dessus du sourcil. J'appuie sur la détente. Et d'un.
Je regarde mes six rats dans leur cage de verre. Ils me regardent. Le chat se tient à distance. J'ai l'impression qu'ils ont compris que je parlais d'eux. Alors ils se donnent de plus en plus en spectacle contre la vitre. Dommage que je ne puisse leur lire comment je les ai mis en scène.
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