« Quelle heure est-il ?
— Quatre.
— Du matin ?
— De l'après-midi. »
Elle était nue et tiède.
« Je suis réveillée depuis des heures, murmura-t-elle. Je n'ai pas osé bouger de peur de te réveiller. Tu me serrais comme si tu allais te noyer.
— Je ne te crois pas !
— Tu me parlais en dormant, tu m'embrassais… Une ou deux fois, j'ai voulu me lever, tu as failli m'étouffer.
— Terry…
— Oui ?
— Je suis bien… »
Elle se pencha, lui effleura la bouche de ses lèvres, caressa ses épaules.
« Tu veux du café ?
— Je veux toi.
— Je le prépare et je reviens.
— On dit ça !… »
Après le suicide de Nadia, il avait dû rester deux heures à La Volière. La police était arrivée, avait interrogé les nombreux témoins du drame. Il était revenu chez Terry, décomposé. Elle l'avait écouté, réconforté. Il s'était accroché à elle comme à une bouée de sauvetage. Il lui avait fait l'amour comme jamais encore il ne l'avait fait avec personne, quelque chose de profond, d'ininterrompu, de violent et de tendre à la fois. Le sommeil l'avait terrassé dans ses bras, corps à corps, bouche à bouche.
« Je me suis vraiment endormi contre toi ?
— Je ne pouvais plus respirer.
— Je n'ai jamais fait ça.
— Moi non plus, dit-elle en riant.
— Terry…
— Oui ? »
Il roula sur elle, chercha sa langue, reprit son souffle.
« Tu es patiente, Terry ?
— Comme un ange.
— Ça prend du temps, pour faire un enfant… Je veux dire, pour qu'il naisse… Neuf mois, non ? »
Il la sentit se cabrer involontairement.
« A qui veux-tu faire un enfant ? »
Il changea de position, posa sa tête contre la fourche émouvante de ses cuisses.
« Je veux vivre avec toi.
— Trois jours ?
— Toujours. »
Elle lui saisit le visage entre les mains, le regarda avec gravité.
« Ne me dis pas des choses comme ça.
— Pourquoi ?
— Je pourrais y croire.
— Tu voudrais ? »
Elle haussa les épaules.
« Terry, tu voudrais ? »
Nouveau regard : une interrogation intense. Tous deux furent parcourus par le même courant électrique.
« Oui… souffla-t-elle.
— C'est dingue, ce qui m'arrive…
— Dingue… répéta-t-elle en écho. Pourquoi souris-tu ?
— Une fraction de seconde, je suis devenu mon propre spectateur… Je nous suis vus, collés comme deux bonbons, la vraie carte postale !
— Tu te moques de moi !
— Pour la première fois de ma vie, je n'ai pas envie d'être ailleurs, de faire autre chose… Si on me demandait ce que je souhaite, où je veux être, avec qui, je répondrais ici… avec toi… Je n'ai besoin de rien, je suis parfaitement en accord. Tu comprends ? »
Il frissonna sous le contact de ses ongles qui lui labouraient lentement la nuque.
« Oui.
— On a eu si peu de temps… On ne s'est même pas parlé… Écoute, Terry… Je vais être très occupé dans les heures qui suivent. J'en ai pour deux jours au plus… Tu attendras ?
— Si tu me promets de ne plus faire de ski nautique.
— Non, non… Je t'expliquerai tout plus tard. Il se passe quelque chose d'extravagant dans ma vie, Terry ! Un coup formidable, un seul… Tu bascules de l'autre côté… La fortune !
— Pour quoi faire ?
— J'en ai bavé, tu ne me connais pas, j'étais à côté de mes pompes…
— Pour quoi faire ? » répéta-t-elle.
Il éclata de rire, pris de court.
« Ce serait trop long. Tu ne peux pas comprendre… »
Elle se jeta contre lui avec violence.
« Alan, murmura-t-elle… Il n'y a rien à comprendre. »
« Je suis dans la cabine du hall. Il faut que je vous voie. »
Ham Burger bondit en reconnaissant la voix de Cesare di Sogno.
« Vous les avez retrouvés ? haleta-t-il en serrant l'appareil à le broyer.
— Oui.
— Dieux du ciel, merci ! »
La chance tournait !… Pope était vivant, resterait en vie, et lui, Hamilton Price-Lynch, prendrait le contrôle de la Burger, se débarrasserait à jamais de sa femme, cracherait sur le visage de Sarah, sa garce de belle-fille, viderait Abel Fischmayer, prendrait du bon temps enfin, ne recevrait plus d'ordres, contemplerait ses magazines seulement pour se faire plaisir et non pour honorer une épouse hystérique qu'il vomissait depuis des années ! La grande vie !
« Il faut que je vous voie ! » répéta di Sogno.
Hamilton se sentit blessé par le ton autoritaire et pressant du petit voyou. Il avait rempli son office, qu'il disparaisse !
« C'est impossible ici. Je vous recontacterai. Au revoir.
— Monsieur Price-Lynch ! Ne raccrochez pas ! Cinq minutes chez vous, mais tout de suite !
— Non ! Ma femme est dans la pièce à côté.
— Faux ! Je viens de la croiser. Elle partait en voiture. Je vous conseille de me recevoir. Je monte ! »
Fou de rage, Hamilton contempla le combiné : Cesare s'était permis de couper ! Il alluma sa cinquantième Muratti de la journée, balança un coup de talon dans le pied d'une console, se fit mal, poussa un cri de colère, arpenta le salon à cloche-pied. On frappa.
« Vous voulez que tout le monde soit au courant de nos relations ? attaqua Hamilton d'une voix sèche.
— Il y a un tel va-et-vient dans l'hôtel… Personne ne m'a remarqué.
— Vous les avez joints ?
— Oui.
— Plus de danger ?
— Aucun.
— Qu'est-ce que vous voulez ?
— Il faut les payer.
— C'est déjà fait.
— De quoi parlez-vous ?
— De notre premier accord.
— Je fais allusion au second. »
Price-Lynch leva un sourcil hautain.
« Que je sache, le contrat n'a pas été exécuté ?
— Comment ?
— Pope est toujours en vie. Vos associés ont raté leur coup. Je ne vous dois rien ! »
Une ombre fugace passa sur la belle gueule de Romain de Cesare di Sogno.
« Monsieur Price-Lynch, vous vous foutez de moi ?
— Parlez-moi sur un autre ton ! éclata Hamilton.
— Vous leur devez trente mille dollars !
— Pas un sou ! Cette affaire ne me concerne plus. »
Cesare lui jeta un regard méprisant et dur.
« Vous feriez mieux de tenir votre parole…
— Sortez ! Vous n'avez plus rien à faire ici !
— C'est votre dernier mot ?
— Ne revenez plus jamais !
— Je vais les prévenir ! Vous vous débrouillerez avec eux !
— Levez le petit doigt et je vous fais coffrer ! » Cesare tourna les talons, s'arrêta sur le seuil et lança avant de claquer la porte :
« Je ne donne pas cher de votre peau ! »
A peine Alan eut-il franchi le seuil de sa suite que Bannister lui sauta dessus.
« Je te cherche depuis hier soir ! Tout le monde te cherche ! Price-Lynch n'arrête pas de téléphoner ! Sarah a dû venir dix fois ! J'ai cru qu'il t'était arrivé quelque chose ! J'ai failli téléphoner aux flics !… J'ai… »
Alan passait devant lui sans l'entendre, un étrange sourire béat sur les lèvres, les yeux dans le vague : un illuminé en état d'hypnose !
« Alan !
— Hello, Sammy… »
Il se dirigea vers le bar, se servit du whisky sans lui en proposer, sortit sur la terrasse. Sidéré, Samuel se lança à ses trousses.
« Tu m'écoutes ? Alan ! Où étais-tu ?
— Je vais me marier », dit Alan.
Comme s'il s'agissait d'une chose tout à fait ordinaire. La bouille équestre de Bannister se fendit d'un sourire radieux.
« Vrai ?
— Bien sûr.
— Je savais que tu y viendrais ! Formidable ! La fin de nos ennuis. Le plus riche parti d'Amérique !
— Riche ?… Terry ?
— Qui ?
— Terry.
— Terry ? Qui est Terry, Alan ? Parle ! »
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