– Il ne faut pas que je rie, c'est mauvais pour ma santé. Non, non, non, hélas, je vous assure que je ne suis pas Edmond Wells. Je ne suis qu'un vieillard malade qui s'est réfugié dans une cahute avec ses amis afin de travailler sereinement à une œuvre qui l'amuse.
Il les conduisit ensuite vers leurs quartiers.
– Nous avons prévu ici une trentaine de loges, sortes de petites chambres à l'intention des «gens du troisième volume». Nous ignorions combien vous seriez lorsque vous nous rejoindriez. Il y a donc largement de la place pour vous sept.
Francme sortit Jimmy le grillon et l'installa sur une commode. Elle avait réussi à le récupérer de justesse lors de l'assaut des forces de l'ordre.
– Le pauvre, si on ne l'avait pas tiré de là, il aurait terminé lamentablement sa carrière de chanteur dans une cage pour divertir les enfants.
Chacun aménagea sa pièce avant de dîner. Ils se rendirent ensuite dans la salle de télévision où se trouvait déjà Jacques Méliès.
– Jacques est accro à la télévision. C'est sa drogue et il n'arrive pas à s'empêcher de la regarder, dit Laetitia Wells, moqueuse. Il met parfois le son un peu fort, alors on l'engueule. Ce n'est pas facile de vivre en communauté dans un endroit exigu. Mais, depuis peu, il a isolé phoniquement sa salle de télévision avec des mousses et ça va mieux.
Jacques Méliès monta précisément le son car c'était l'heure des actualités. Tous se groupèrent pour regarder ce qui se passait dans le monde extérieur. Après avoir parlé de la guerre au Moyen-Orient, de la montée du chômage, le présentateur abordait enfin la Révolution des fourmis. Il annonça que la police était toujours à la recherche des meneurs. L'invité principal de ce journal était le journaliste Marcel Vaugirard qui prétendait être le dernier à les avoir interviewés.
– Encore lui! s'indigna Francine.
– Rappelez-vous sa devise…
Ils dirent tous les sept en cœur:
«Moins on en sait, mieux on en parle.» En effet, le journaliste ne devait vraiment rien savoir de leur révolution car il était intarissable. Il prétendait être le seul confident de Julie, qui lui aurait révélé sa volonté de renverser le monde grâce à la musique et aux réseaux d'ordinateurs. Enfin, le présentateur reprit le micro et déclara que l'état de l'unique interpellé, Narcisse, était en légère amélioration. Il était sorti du coma.
Tous furent soulagés.
– T'en fais pas, Narcisse. On te sortira de là! s'écria Paul.
Puis un reportage montra la détérioration du lycée après son occupation par les «vandales» de la Révolution des fourmis.
– Mais on n'a rien détérioré du tout, pesta Zoé.
– Les Rats noirs sont peut-être revenus pour tout casser, une fois le lycée évacué.
– À moins que la police ne s'en soit elle-même chargée pour vous discréditer, dit Jacques Méliès, l'ancien commissaire.
Leurs sept portraits apparurent de nouveau sur l'écran.
– N'ayez crainte, ici, sous la terre, personne ne pensera à venir vous chercher, signala Arthur.
Et il se mit à rire. Rire qui se transforma en une nouvelle quinte de toux.
Il expliqua que c'était son cancer. Il avait fait des études pour lutter contre sa maladie, mais sans résultat.
– Vous avez peur de mourir? demanda Julie.
– Non. La seule chose dont j'aie peur est de mourir sans avoir accompli ce pour quoi je suis né. (Il toussa.) On a tous une mission, aussi infime soit-elle et, si on ne l'accomplit pas, on a vécu pour rien. C'est du gaspillage d'humanité.
Il rit et toussa encore.
– Mais ne vous en faites pas, j'ai beaucoup de ressources. Et puis… je ne vous ai pas tout montré. J'ai encore un grand secret caché…
Lucie lui apporta sa trousse à pharmacie. Elle lui donna de la gelée royale d'abeilles tandis que le vieillard s'injectait de la morphine pour ne pas souffrir vainement. Les gens du nid le portèrent ensuite jusqu'à sa loge pour qu'il se repose. Le journal télévisé s'achevait sur une interview de la célèbre chanteuse Alexandrine.
Le présentateur:
– Bonjour, Alexandrine, et merci de vous être déplacée jusqu'à notre studio. Nous savons comme votre temps est précieux. Alexandrine, votre dernière chanson, «Amour de ma vie», est déjà sur toutes les lèvres. Comment l'expliquez-vous?
La vedette:
– Je pense que les jeunes se reconnaissent dans le message de mes chansons.
Le présentateur:
– Pouvez-vous nous parler de votre nouvel album, déjà premier en tête de toutes les listesde vente.
– Mais certainement! Amour de ma vie est mon premier album engagé. Il contient un profond message politique.
Le présentateur:
– Ah bon! Et lequel, Alexandrine?
La vedette:
– L'amour.
Le présentateur:
– L'amour? C'est génial. C'est même, comment dire? Révolutionnaire!
La vedette:
– Je compte d'ailleurs adresser une pétition au président de la République pour que tout le monde puisse vivre dans l'amour. S'il le faut, j'organiserai un sit-in devant l'Elysée et je propose qu'on prenne ma chanson, «Amour de ma vie», pour hymne. Beaucoup de jeunes m'écrivent qu'ils sont prêts à manifester dans la rue et à faire une révolution en ce sens. J'en ai déjà trouvé le titre. Ce sera la «Révolution de l'amour».
Le présentateur:
– En tout cas, je rappelle que votre dernier album, Amour de ma vie justement, est déjà dans les rayons de tous les bons magasins de disques, au prix modique de deux cents francs. Parrainé par notre chaîne, le clip sera diffusé toutes les heures avant le générique de nos émissions de vacances et, puisque nous en sommes aux départs de vacances, comment cela se passe-t-il sur les routes, Daniel?
– Bonjour, François. Ici, au P.C. de Rosny-sous-Bois, nous n'avons pas eu la chance de recevoir la sculpturale Alexandrine dans nos studios mais nous pouvons vous dresser un premier bilan des bouchons sur les routes de France, en ce premier jour des vacances de Pâques.
Vues des hélicoptères, des voitures s'alignèrent à l'infini sur l'écran, immobilisées sur plusieurs kilomètres. Des accidents et des carambolages avaient déjà provoqué des dizaines de victimes, commenta sobrement le journaliste, ce qui n'avait en rien dissuadé la foule de se précipiter sur les routes pour jouir de ses congés payés.
COURAGE DES SAUMONS : Dès leur naissance, les saumons savent qu'ils ont un long périple à accomplir. Ils quittent leur ruisseau natal et descendent jusqu'à océan. Arrivés à la mer, ces poissons d'eau douce tempérée modifient leur respiration afin de supporter l'eau froide salée. Ils se gavent de nourriture pour renforcer leurs muscles. Puis, comme répondant à un mystérieux appel, les saumons décident de revenir. Ils parcourent l'océan, retrouvent l'em bouchure du fleuve qui mène à la rivière qui mène au ruisseau où ils sont nés.
Comment se repèrent-ils dans l'océan? Nul ne le sait. Les saumons sont sans doute dotés d'un odorat très fin leur permettant de détecter dans l'eau de mer le goût d'une molécule issue de leur eau douce natale, à moins qu'ils ne se repèrent dans l'espace à l'aide des champs magnétiques terrestres. Cette seconde hypothèse semble cependant moins probable car on a constaté au Canada que les saumons se trompent de rivière quand celle-ci est devenue trop polluée.
Lorsqu'ils croient avoir retrouvé leur cours d'eau d'origine, les saumons entreprennent de le remonter jusqu'à sa source. L'épreuve est terrible. Pendant plusieurs semaines, ils vont lutter contre de violents courants inverses, sauter pour affronter les cascades (un saumon est capable de sauter jusqu'à trois mètres de haut), résister aux attaques des prédateurs: brochets, loutres, ours ou humains pêcheurs. Ce sera l'hécatombe. Parfois, des saumons se retrouvent bloqués par des barrages construits après leur départ. La plupart des saumons mourront en route. Les rescapés qui parviendront enfin dans leur rivière d'origine la transformeront en lac d'amour. Tout épuisés et amaigris, ils s'ébattront pour se reproduire avec les saumonés survivantes dans la frayère. Leur dernière énergie leur servira à défendre leurs œufs. Puis, lorsque de ceux-ci sortiront de petits saumons prêts à renouveler l'aventure, les parents se laisseront mourir.
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