Un jour, un colis lui était parvenu par erreur, le postier s'était sans doute trompé dans son circuit de distribution. Or, il contenait le second volume de l' Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu et était destiné à Laetitia Wells, la fille unique du professeur; un message précisait que ce serait là son seul héritage. Arthur et Juliette, son épouse, avaient immédiatement pensé lui faire suivre l'ouvrage, mais leur curiosité avait été la plus forte. Ils l'avaient d'abord feuilleté. Le livre parlait de fourmis, certes, mais aussi de sociologie, de philosophie, de biologie et surtout de compréhension entre différentes civilisations et de la place de l'homme dans le temps et dans l'espace.
Passionné par les propos d'Edmond Wells, Arthur s'était lancé dans la fabrication de la fameuse machine à traduire le langage olfactif fourmi en langage parlé humain, dite «Pierre de Rosette». Il était ainsi parvenu à dialoguer avec des insectes et, plus particulièrement, avec une fourmi très évoluée nommée 103e.
Ensuite, aidé de Laetitia Wells, la fille du savant, d'un policier qui s'appelait Jacques Méliès, ainsi que du ministre de la Recherche de l'époque, Raphaël Hisaud, il avait contacté le président de la République pour tenter de le convaincre d'ouvrir une ambassade formico-humaine.
– C'est donc vous qui avez envoyé la lettre d'Edmond Wells? interrogea Julie.
– Oui. Je n'ai fait que la recopier. Elle se trouvait déjà dans l' Encyclopédie .
La jeune fille aux yeux gris clair savait le peu de crédit qui avait été accordé à sa missive, mais elle s'abstint de lui signaler que son envoi constituait désormais un sujet de plaisanterie lors des réceptions mondaines en l'honneur de plénipotentiaires étrangers.
Arthur admit que le Président ne lui avait jamais répondu et que le ministre qui avait soutenu son projet avait été contraint à la démission. Dès lors, il avait voué tout ce qu'il lui restait d'énergie à relever ce défi: l'inauguration d'une ambassade formico-humaine qui permettrait enfin aux deux civilisations de coopérer pour le bien de tous.
– C'est vous aussi qui avez construit ce terrier-ci? demanda Julie pour changer de sujet.
Il acquiesça en précisant que s'ils étaient venus, ne serait-ce qu'une semaine plus tôt, ils auraient constaté que, de l'extérieur, l'endroit ressemblait davantage à une pyramide.
La pièce où avaient débouché Julie et David n'était qu'un vestibule. Plus loin, une porte ouvrait sur une pièce plus large. C'était une grande salle ronde avec, au centre, flottant à trois mètres de haut, une sphère de lumière d'environ cinquante centimètres de diamètre. L'éclairage provenait d'une fine colonne de verre grimpant jusqu'au sommet du plafond pointu, et qui apportait à l'intérieur de la pyramide l'éclat naturel du jour.
Autour, disposés en cercle, il y avait des modules de laboratoire où s'empilaient des machines complexes, des ordinateurs, des bureaux.
– Les engins de la grande salle sont des machines communes qui peuvent se connecter entre elles. Les portes que vous voyez ici et là donnent sur des laboratoires où mes amis travaillent à des projets exigeant plus de tranquillité.
Arthur désigna de la main une coursive, au-dessus d'eux, elle aussi truffée de portes.
– Il y a en tout trois étages. Au premier, on travaille, on effectue des expériences, on teste des projets. Au second, on vit en commun, on se repose. C'est là que se trouvent les salles à manger et celles consacrées aux loisirs ainsi que les réserves alimentaires. Au troisième, enfin, sont installés les dortoirs.
Plusieurs personnes sortirent des laboratoires pour venir se présenter aux «révolutionnaires des fourmis». Il y avait là Jonathan Wells, le neveu d'Edmond, ainsi que son épouse Lucie, leur fils Nicolas et Grand-Mère Augusta Wells. Il y avait aussi le Pr Rosenfeld, le chercheur Jason Bragel ainsi que les policiers et les pompiers qui s'étaient ancés à leur recherchel.
Ils se présentèrent comme les «gens du premier volume» de l' Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu .
Laetitia Wells, Jacques Méliès et Raphaël Hisaud, tout comme Arthur Ramirez d'ailleurs, étaient pour leur part «ceux du deuxi'me volume2». Il y avait vingt et une personnes dans les lieux, auxquelles venaient s'ajouter Julie et ses six am's.
– Pour nous, vous êtes les «gens du troisième volume», déclara Augusta Wells.
Jonathan Wells expliqua qu'après le désintérêt suscité par leur proposition d'une ambassade formico-humaine, les gens des premier et deuxième volumes avaient décidé de s'isoler du monde en restant ensemble, afin de préparer les conditions de l'indispensable rencontre. Dans la plus grande discrétion, choisissant un endroit particulièrement touffu de la forêt, ils avaient érigé une pyramide de vingt mètres de haut. Dix-sept mètres étaient enfouis sous terre et trois mètres dépassaient du sol, un peu comme un iceberg dont seule la pointe émergerait. Voilà qui expliquait que l'endroit soit si grand pour une pyramide si petite. Afin de camoufler la partie exposée, ils l'avaient recouverte de plaques de miroir.
Dans ce refuge essentiellement souterrain, ils pouvaient se livrer tranquillement à leurs recherches, perfectionner les moyens de communication avec les myrmécéennes et fabriquer ces fourmis volantes téléguidées qui protégeaient la pyramide des gêneurs.
En hiver, pourtant, l'inévitable chute des feuilles avait dévoilé la pyramide. Ses habitants avaient attendu avec impatience le printemps et la repousse mais ils n'étaient pas arrivés assez vite pour préserver l'édifice de la curiosité du père de Julie.
– C'est vous qui l'avez tué?
Arthur baissa les yeux.
– C'est un regrettable accident. Je n'avais pas encore eu l'occasion de tester les dards-seringues à effet somnifère de mes fourmis volantes. Quand votre père s'est approché, j'ai craint qu'il ne révèle aux autorités l'existence de notre bâtiment. Je me suis affolé. J'ai lancé sur lui un de mes insectes téléguidés qui lui a inoculé un anesthésiant.
Le vieil* homme soupira et caressa sa barbe blanche.
– Il s'agissait d'un anesthésiant couramment utilisé en chirurgie et je ne pensais pas qu'il puisse être mortel. Je voulais juste endormir ce promeneur qui s'intéressait trop à nous. J'ai dû commettre une erreur de dosage.
Julie hocha la tête.
– Ce n'est pas cela. Vous l'ignoriez; mon père était allergique aux anesthésiants contenant de l'éthylchlorène.
Arthur était surpris que la jeune fille ne lui en veuille pas davantage.
Il reprit son récit. Les habitants de la pyramide avaient installé des caméras vidéo dans les arbres avoisinants. Ils avaient ainsi vu que le badaud trop curieux était mort. Avant qu'ils n'aient pu sortir pour éloigner le cadavre, le chien avait alerté un autre promeneur qui lui-même avait prévenu la police.
Quelques jours plus tard, un policier était venu rôder autour de l'édifice. Il avait réussi à se débarrasser des fourmis volantes en les écrasant de sa semelle et avait rameuté une équipe d'artificiers pour dynamiter les parois.
– En fin de compte, c'est vous qui nous avez sauvés avec votre «Révolution des fourmis», annonça Jonathan Wells. Ce n'était plus qu'une question de secondes quand vous avez créé la diversion qui a éloigné le policier.
Normalement, les gens de la pyramide forestière auraient dû profiter de ce répit pour déménager. Mais il y avait trop de matériel lourd installé.
– C'est en nous branchant sur votre serveur «Révolution des fourmis» que nous avons trouvé la solution, expliqua Laetitia Wells. Une maison incluse dans une colline, quelle formidable idée de camouflage!
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