– Nous n'avions pas besoin de creuser la maison dans la colline, il nous suffisait de transformer notre pyramide en colline en la recouvrant de sable.
Ji-woong intervint:
– C'était une idée de Léopold mais, en fait, elle est très ancienne. Dans mon pays, la Corée, au premier siècle après J.-C, les rois de la civilisation de Paikche avaient construit des tombes géantes pyramidales à la manière des pharaons égyptiens. Comme tout le monde savait qu'elles recelaient les richesses et les bijoux des défunts, elles étaient régulièrement pillées. Alors, les souverains et leurs architectes ont imaginé de les recouvrir de terre afin de les dissimuler. Ainsi, les tombes se confondaient avec les collines et il aurait fallu aux éventuels pillards creuser toutes les collines du pays pour mettre la main sur les trésors funéraires.
– Nous avons donc profité de ce que la police était occupée au lycée pour recouvrir notre pyramide de terre. En quatre jours, tout était terminé, conclut Laetitia.
– Vous avez fait ça à la main?
– Non. Arthur, notre bricoleur de service, a fabriqué des taupes robots capables de travailler très vite et de nuit.
– J'ai placé ensuite un arbre creux contenant une colonne de verre au sommet afin que nous bénéficiions de la lumière du jour par la pointe; Lucie et Laetitia ont décoré notre colline d'arbustes arrachés et replantés afin de donner à l'ensemble un aspect sauvage.
– Ce n'est pas facile de disposer des arbres de façon totalement anarchique. Naturellement, on a tendance à les aligner, dit Laetitia. Mais nous y sommes parvenues. À présent, nous vivons sous terre, dans notre «nid», à l'abri du monde.
– Chez nous, les Navajos, intervint Léopold, on prétend que la terre protège de tous les dangers. Lorsque quelqu'un tombe malade, on l'enfouit dans la terre jusqu'au cou, en laissant seulement dépasser la tête. La terre est notre mère et il est normal qu'elle nous protège et nous guérisse.
Arthur demeurait quand même perplexe.
– Espérons que lorsque ce policier fouineur reviendra, il ne déjouera pas notre stratagème…
Le vieil homme poursuivit sa visite guidée du «nid». L'électricité parvenait dans la pyramide au moyen de centaines de feuilles artificielles équipées de cellules photoélectriques, placées au faîte des arbres surmontant la colline et en tout point semblables aux vraies, nervures comprises. Ainsi, ils disposaient d'une énergie suffisante pour faire fonctionner toutes leurs machines.
– Quand il fait nuit, vous n'avez plus d'électricité?
– Si, car nous avons aussi installé de gros condensateurs qui la stockent.
– Vous disposez d'eau douce? demanda David.
– Oui, il y a une rivière souterraine à proximité. Il n'a pas été difficile de la canaliser jusqu'ici.
– De même, nous avons élaboré un réseau de tuyauteries pour assurer la bonne aération du bâtiment, dit Jonathan Wells.
– Enfin, nous avons mis en place notre propre agriculture à base de champignons qui nous permet des récoltes en sous-sol.
Plus loin, Arthur Ramirez leur présenta son laboratoire. Dans un aquarium de deux mètres de long, des fourmis couraient sur des mottes de terre.
– Nous les appelons nos «lutins», les informa Laetitia. Après tout, les fourmis sont les vrais lutins des forêts.
De nouveau, Julie eut l'impression de se retrouver en plein conte de fées. Elle était Blanche-Neige en compagnie de ses Nains. Les fourmis étaient des lutins et ce monsieur à barbe blanche avec ses fantastiques trouvailles, un vrai Merlin l'Enchanteur.
Arthur leur montra des fourmis affairées à manipuler de minuscules rouages métalliques et des composants électroniques.
– Elles sont très débrouillardes, regardez.
Julie n'en revenait pas. Les fourmis se passaient des pièces dont certaines étaient si minuscules que même un horloger armé d'une loupe ne les aurait peut-être pas distinguées parfaitement.
– Il a fallu les initier à nos technologies avant de pouvoir les utiliser, précisa Arthur. Après tout, même quand on installe une usine dans le tiers monde, on est bien obligé d'avoir recours à des instructeurs.
– Pour les travaux de l'infiniment petit, elles sont plus précises que nos meilleurs ouvriers, souligna Laetitia. Ce sont elles, et elles seules, qui parviennent à fabriquer nos fourmis volantes robots. Aucun homme ne réussirait à manipuler des rouages à ce point miniaturisés.
Armée d'une loupe, Julie observa les insectes en train d'œuvrer à l'élaboration d'une fourmi robot volante avec des outils à leur taille. Les minuscules techniciennes étaient autour de l'engin comme des ingénieurs en aéronautique autour d'un avion de chasse. En agitant nerveusement leurs antennes, elles se passaient de patte à patte une aile que deux d'entre elles emboîtèrent et fixèrent avec de la glu.
À l'avant, d'autres fourmis implantaient deux ampoules en guise d'yeux. À l'arrière, d'autres encore chargeaient le réservoir à venin d'un liquide jaune transparent. Une troisième équipe se transmit une pile qu'elle introduisit au niveau du thorax.
Les minuscules ingénieurs fourmis vérifièrent ensuite le bon fonctionnement de l'ensemble en déclenchant un œil-phare, puis l'autre. Elles mirent le contact et les ailes s'agitèrent à différentes vitesses.
– Impressionnant, fit David.
– De la simple microrobotique, répondit Arthur. Si nous étions moins malhabiles de nos dix doigts, nous y parviendrions de même.
– Tout cela a dû vous coûter très cher, remarqua Francine. Où avez-vous trouvé l'argent pour construire la pyramide et toutes ces machines?
– Hum, quand j'étais ministre de la Recherche, dit Raphaël Hisaud, je me suis aperçu que beaucoup d'argent était gaspillé pour étudier des choses inutiles. Notamment les extraterrestres. Le président de la République, entiché de ce thème, avait lancé un programme fort onéreux de type SETI ( Search for ExtraTerrestrial Intelligence ). Je n'ai eu aucune difficulté à détourner certaines sommes avant de démissionner. Car il est plus probable que nous arrivions à communiquer avec les infraterrestres qu'avec les extraterrestres. Les fourmis, au moins, on est sûrs qu'elles existent, tout le monde a pu le constater.
– Vous voulez dire que tout ça a été construit avec l'argent du contribuable?
Le ministre eut une mimique exprimant que ce n'était qu'un minuscule gaspillage par rapport à tous ceux qu'il avait eu l'occasion de constater lors de son mandat.
– Et il y a aussi, pour une moindre partie, l'argent de Juliette, ajouta Arthur. Ma femme, Juliette Ramirez, est restée hors du nid. Elle sert de porte-avions à nos fourmis volantes en ville et elle joue à «Piège à réflexion». Je vous assure que les jeux télévisés, ça rapporte.
– En ce moment, elle a plutôt du mal, non? signala David, se souvenant que l'énigme que Mme Ramirez avait tant de difficulté à trouver était précisément celle gravée sur la porte d'entrée.
– N'ayez.crainte, dit Laetitia, ce jeu est truqué. C'est nous qui envoyons les énigmes. Juliette connaît à l'avance toutes les réponses. Elle n'a plus qu'à faire grimper la cagnotte à chaque émission pour que cela nous rapporte un maximum.
Julie contemplait, admirative, ce que ces gens appelaient leur «nid». Peut-être parce qu'ils étaient installés ici depuis déjà un an, ils déployaient une ingéniosité que la Révolution des fourmis n'avait, elle, pas pu atteindre.
– Reposez-vous dans les loges. Je vous montrerai demain les autres merveilles de nos laboratoires.
Arthur, vous êtes vraiment sûr de ne pas être le professeur Edmond Wells? demanda Julie.
L'homme éclata d'un rire qui se transforma vite en une quinte de toux.
Читать дальше