Chez les Iné lens Caraïbes du Surinam, la phase initiale de Y ai orentissage chamanique dure vingt-quatre jours9 divisés en quatre périodes de trois jours d'instruction et trois jours de repos. Les jeunes apprentis, en général six jeunes d'âge pubère, car c'est l'âge où 1; personnalité est encore malléable, sont initiés aux traditions, aux chants et aux danses. Ils observent et imitent les mouvements et les cris des animaux pour mieux les comprendre. Pendant toute la durée de leur enseignement, ils ne mangent pratiquement pas mais mâchent des feuilles de tabac et boivent du jus de tabac. Le jeûne et la consommation de tabac provoquent chez eux de fortes fièvres et autres troubles physiologiques. L'initiation est, de plus, parsemée d'épreuves physiquement dangereuses qui placent l'individu à la limite de la vie et de la mort et détruisent sa personnalité. Après quelques jours de cette initiation à la fois exténuante, dangereuse et intoxicante, les apprentis parviennent à «visualiser» certaines forces et à se familiariser avec l'état de transe extatique.
L'initiation chamanique est une réminiscence de l'adaptation de l'homme à la nature. En état de péril, soit on s'adapte, soit on disparaît. En état de péril, on observe sans juger et sans intellectualiser. On apprend à désapprendre.
Vient ensuite une période de vie solitaire de près de trois ans dans la forêt, pendant laquelle l'apprenti chaman se nourrit seul dans la nature. S'il survit, il réapparaîtra au village, épuisé, sale, presque en état de démence. Un vieux chaman le prendra alors en charge pour la suite de l'initiation. Le maître tentera d'éveiller chez le jeune la faculté de transformer ses hallucinations en expériences «extatiques» contrôlées.
Il est paradoxal que cette éducation par la destruction de la personnalité humaine pour revenir à un état d'animal sauvage transforme en fait le chaman en super-gentleman. Le chaman à la fin de son initiation est en effet un citoyen plus fort tant dans sa maîtrise de lui-même, ses capacités intellectuelles et intuitives, que dans sa moralité. Les chamans yakoutes de Sibérie ont trois fois plus de culture et de vocabulaire que la moyenne de leurs concitoyens. Selon le professeur Gérard Amzallag, auteur du livre Philosophie biologique , les chamans sont aussi les gardiens et sans doute les auteurs de la littérature orale. Celle-ci présente des aspects mythiques, poétiques et héroïques qui constitueront la base de toute la culture du village.
De nos jours, dans la préparation aux transes extatiques, on constate une utilisation de plus en plus répandue de narcotiques et de champignons hallucinogènes. Ce phénomène trahit une baisse de la qualité de l'éducation des jeunes chamans et un affaiblissement progressif de leurs pouvoirs.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.
159. LE CRÉPUSCULE DE LA RÉVOLUTION DES FOURMIS
Un cocktail Molotov volait. Étrange oiseau de feu porteur de malheur. C'était un crachat de verre des Rats noirs de Gonzague Dupeyron. La bouteille expectora son feu comme un dragon. De nouveaux cocktails Molotov furent lancés. Les couvertures s'étaient enflammées, répandant une odeur de nylon fondu. Une fois les couvertures brûlées, les grilles redevinrent perméables.
Julie se rhabilla en catastrophe. Ji-woong tenta de la retenir mais, dehors, la Révolution criait sa douleur. Elle percevait cela comme s'il s'agissait d'un animal blessé.
Son foie s'empressa de se mettre au travail afin de filtrer tout l'alcool d'hydromel qui menaçait de ralentir ses réflexes. L'heure n'était plus au plaisir, mais à l'action.
Elle courut dans les couloirs. Partout, c'était l'affolement. Panique dans la fourmilière. Les filles du club de aïkido se précipitaient ici et là, les occupants charriaient des meubles pour tenter de combler les trous des grilles; tout allait trop vite et ils n'arrivaient pas à accorder leurs actes pour perdre le moins d'énergie possible dans cette chorégraphie improvisée.
Les Rats noirs, découvrant par la transparence des grilles l'aménagement du village, visèrent les stands.
Dans la cour, il se forma une chaîne pour passer des seaux d'eau mais la citerne était presque vide et ce n'était que gaspillage d'une matière précieuse. David conseilla d'utiliser plutôt le sable.
Un cocktail Molotov toucha la tête de la fourmi-totem et enflamma l'insecte de polystyrène. Julie considéra la statue géante de la fourmi qui brûlait. «Finalement, le feu c'est nul», pensa-t-elle. Quant à Molotov, elle avait lu dans l'Encyclopédie que le fameux ministre russe de Staline qui avait donné son nom à cette grenade était un réactionnaire de la pire espèce.
Le stand des produits alimentaires de Paul s'embrasa à son tour. Des bonbonnes d'hydromel explosèrent en répandant des fumées caramélisées.
Dans le car de police posté en face du lycée, on ne bronchait toujours pas. Les révolutionnaires étaient tentés de répliquer aux attaques des Rats noirs, mais la consigne de Julie, transmise partout par les amazones, fut nette: «Ne pas répondre à la provocation, ils seraient trop contents.»
– Au nom de quelle loi, doit-on prendre des gifles sans les rendre? interrogea une amazone énervée.
– Au nom de notre volonté de réussir une révolution sans violence, répliqua Julie. Et parce que nous sommes plus civilisés que ces voyous. Si on se comporte comme eux, on devient comme eux. Éteignez le feu et restez calmes!
Les assiégés étouffaient de leur mieux les flammes sous le sable mais les cocktails Molotov des Rats noirs tombaient dru. Certains révolutionnaires parvenaient parfois à les renvoyer en direction des assaillants mais c'était rare.
Le stand de vêtements de Narcisse fut atteint. Il se précipita:
– C'est une collection unique. Il faut la sauver!
Déjà, tout était carbonisé. Fou de rage, le styliste s'empara d'une barre de fer, ouvrit la grille et fonça sur les Rats noirs. Acte de bravoure inutile. Il se battit avec courage mais, vite désarmé, il fut roué de coups par la bande de Dupeyron et laissé bras en croix sur le parvis. Ji-woong, Paul, Léopold et David qui volèrent à sa rescousse arrivèrent trop tard. Les Rats noirs se dispersaient et une ambulance du SAMU, surgie comme par hasard, avait aussitôt ramassé Narcisse pour l'emporter toutes sirènes hurlantes.
Julie n'y tint plus:
– Narcisse! Ils veulent la violence, ils vont l'avoir!
Elle ordonna aux amazones d'attraper les Rats noirs.
La petite armée de jeunes filles sortit par les grilles et partit à la chasse aux Rats noirs dans les rues avoisi-nantes. Autant il était facile de gruger une armée compacte de CRS, autant il était difficile de courir après une vingtaine de petits fachos habillés en civil qui pouvaient se cacher n'importe ou se fondre dans la foule.
Dans le jeu du gendarme et du voleur, c'était mainte nant les amazones qui tenaient la place du gendarme, un rôle pour lequel elles s'avéraient peu douées en dehors de l'enceinte du lycée. Les Rats noirs attendaient dans les rues qu'une amazone soit isolée pour lui tomber dessus. Les échauffourées tournaient toujours à leur avantage.
Ji-woong, David ainsi que Léopold et Paul se firent de même rosser.
Le commissaire observait la situation de loin à la jumelle et remarqua qu'à présent presque tous les défenseurs du lycée étaient sortis. Les grilles étaient entrouvertes et les dernières forces vives des révolutionnaires étaient occupées à éteindre les incendies.
Le jeune Gonzague lui avait facilité le travail. C'était bien le sang de l'énergique préfet qui coulait dans ses veines. Maximilien regretta de ne pas avoir fait appel à lui plus tôt. Quant aux révolutionnaires, ils étaient moins malins qu'il ne l'avait cru. À peine avait-il agité un chiffon rouge devant eux qu'ils avaient foncé dessus, tête baissée, sans réfléchir.
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