La nécessité de la mort peut s'expliquer d'un autre point de vue. La mort est indispensable pour assurer l'équilibre entre les espèces. Si une espèce pluricellu-îaire se trouvait être immortelle, elle continuerait à se spécialiser jusqu'à résoudre tous les problèmes et devenir tellement efficace qu'elle compromettrait la perpétuité de toutes les autres formes de vie. Une cellule du foie cancéreuse produit en permanence des morceaux de foie sans tenir compte des autres cellules qui lui disent que ce n'est plus nécessaire. La cellule cancéreuse a pour ambition de retrouver cette ancienne immortalité, et c'est pour cela qu'elle tue l'ensemble de l'organisme, un peu comme ces gens qui parlent tout seuls en permanence sans rien écouter autour d'eux. La cellule cancéreuse est une cellule autiste et c'est pour cela qu'elle est dangereuse. Elle se reproduit sans cesse, sans tenir compte des autres et, dans sa quête folle d'immortalité, elle finit par tout tuer autour d'elle.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu , tome III.
Maximilien rentra en claquant la porte.
– Qu'y a-t-il, chéri? Tu parais nerveux, remarqua Scynthia.
Il la regarda et essaya de se souvenir de ce qui lui avait plu chez cette femme.
Il se retint de lui répondre quelque chose de méchant et se contenta de sourire en gagnant son bureau à grands pas.
Depuis ce matin, il y avait installé son aquarium et ses poissons, et il avait confié à Mac Yavel la gestion de son univers aquatique. L'ordinateur ne s'en tirait pas trop mal. En contrôlant le distributeur électrique de nourriture, la résistance chauffante et le robinet d'arrivée d'eau, il parvenait à veiller parfaitement à l'équilibre écologique de ce milieu artificiel. Mac Yavel avait tout naturellement inventé l'aquariophilie assistée par ordinateur et les poissons en étaient visiblement enchantés.
Le policier enclencha Évolution . Il suscita une petite nation insulaire de type anglais et sut l'amener à développer une technologie de pointe du seul fait qu'elle se retrouvait isolée et à l'abri des champs de bataille des civilisations voisines. Il la dota ensuite d'une flotte moderne afin de monter des comptoirs commerciaux un peu partout dans le monde. Il obtint de bons résultats mais, le Japon ayant opté pour la même stratégie, il en résulta une guerre sans merci et, en 2720, les Nippons battirent les Anglais grâce à leurs meilleurs satellites.
– Tu aurais pu gagner, remarqua sobrement Mac Yavel.
Maximilien s'agaça:
– Qu'est-ce que tu aurais fait puisque tu es si malin?
– J'aurais assuré une meilleure cohésion sociale, en instaurant par exemple le vote des femmes. Les Japonais n'y ayant pas songé, il aurait régné une meilleure ambiance dans tes villes, il y aurait eu un meilleur moral, donc une meilleure créativité des ingénieurs militaires, donc des armes meilleures et une plus grande motivation. Cela aurait suffi à te donner l'avantage.
– On se perd dans les détails…
Maximilien étudia les cartes et les champs de bataille puis mit un terme au jeu et resta là, sur sa chaise, le regard perdu face à l'écran. L'œil de Mac Yavel s'y agrandit et battit des paupières pour attirer son attention.
– Alors, Maximilien, tu te fais encore du souci pour ta Révolution des fourmis?
– Oui, tu peux encore m'aider?
– Bien sûr.
Mac Yavel effaça l'image de son œil, lança son modem d'autoprogrammation pour se brancher sur le réseau. Il prit quelques autoroutes, rejoignit des routes, puis des pistes de circulation de bits qui lui semblaient connues. Il afficha bientôt:
«Serveur de la SARL Révolution des fourmis».
Maximilien se pencha vers l'écran. Mac Yavel avait trouvé quelque chose de très intéressant.
«C'est donc ainsi qu'ils continuent à exporter leur révolution à la noix. Ils se sont débrouillés pour se procurer une connexion téléphonique par satellite et leurs informations circulent sans problème sur le réseau», comprit le policier.
Le menu du serveur signala que désormais la SARL «Révolution des fourmis» avait pour filiales:
– Le «Centre des questions».
– Le monde virtuel Infra-World .
– La ligne de vêtements «Papillon».
– L'agence d'architecture «Fourmilière».
– La ligne de produits alimentaires naturels «Hydromel».
Il y avait en outre des forums où tout un chacun pouvait discuter des thèmes et des objectifs de la Révolution des fourmis. D'autres où les gens pouvaient proposer de nouvelles sociétés avec des concepts nouveaux.
L'ordinateur précisa qu'une dizaine de lycées de par le monde étaient branchés sur Fontainebleau, reproduisant, peu ou prou, leur manifestation.
Mac Yavel avait trouvé un sacré filon.
Maximilien considéra différemment son ordinateur. Pour la première fois de sa vie, il ne se sentait pas seule ment dépassé par une nouvelle génération mais aussi par une machine. Mac Yavel lui avait ouvert une fenêtre dans la forteresse de la Révolution des fourmis. À lui de bien s'en servir pour examiner ce qu'il y avait à l'intérieur et y découvrir une faille.
Mac Yavel se brancha sur plusieurs lignes téléphoniques et, à l'aide du «Centre des questions», fit apparaître l'infrastructure de la SARL «Révolution des fourmis». C'était vraiment le comble: ces révolutionnaires étaient si naïfs, ou si sûrs d'eux, qu'ils fournissaient d'eux-mêmes des informations sur leur organisation.
Mac Yavel fit défiler les fichiers et Maximilien comprit tout. Rien qu'en utilisant les réseaux informatiques et les techniques les plus modernes, ces gamins étaient en train de se livrer à une révolution d'un genre tout à fait inédit.
Maximilien avait toujours pensé, par exemple, que pour faire une révolution, de nos jours, il était indispensable de disposer du soutien des médias et, surtout, de la télévision. Or ces lycéens avaient réussi à parvenir à leurs fins sans le secours des chaînes nationales ni même locales. La télévision avait pour but, somme toute, de délivrer un message impersonnel et pauvre en informations à une foule énorme de gens plus ou moins concernés. Alors que les émeutiers de Fontainebleau, eux, parvenaient, grâce aux réseaux informatiques, à lancer des messages personnels et riches en informations à peu de gens mais très concernés et donc très réceptifs.
Les yeux du commissaire se dessillaient. Non seulement, pour changer le monde, la télévision et les médias habituels n'étaient plus en pointe mais, au contraire, ils avaient pris un train de retard sur d'autres outils plus discrets et très performants. Seuls les réseaux informatiques permettaient de tisser des liens solides et interactifs entre les gens.
Deuxième surprise. D'ordre économique celle-ci. À voir leur comptabilité, la SARL «Révolution des fourmis» était en passe d'accumuler des bénéfices. Pourtant, elle ne comportait pas de grosses compagnies, elle ne regroupait qu'une galaxie de minuscules filiales.
Cela s'avérait finalement beaucoup plus rentable qu'une seule et énorme compagnie, généralement figée dans sa propre hiérarchie. De plus, dans ces minuscules entreprises, tout le monde se connaissait bien et on savait pouvoir compter les uns sur les autres. Il n'y avait pas de place pour les administratifs inutiles ou les potentats de bureau.
En parcourant le réseau, Maximilien découvrit que cette SARL éclatée en sociétés «fourmis» présentait encore un autre avantage: diminuer les risques de faillite. En effet, si une filiale s'avérait déficitaire ou peu rentable, elle disparaissait pour être aussitôt remplacée. Les mauvaises idées étaient rapidement testées et naturellement évacuées. Pas de risques de gros bénéfices mais pas de risques de pertes importantes non plus. En revanche, associées, toutes ces petites filiales à peine bénéficiaires finissaient miette après miette par accumuler un beau pactole.
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